Le DMP, depuis la loi santé promulguée le 26 janvier 2016, ne signifie plus « Dossier
Médical Personnel » mais « Dossier Médical Partagé », répondant ainsi à la tendance actuelle
de promouvoir le partage d’informations.(49)
Les médecins se sont appropriés la question concernant le DMP de diverses manières.
Certains pouvaient y être opposés, tandis que d’autres doutaient de sa faisabilité ou de son
intérêt. Ils croyaient peu que le DMP puisse solutionner le problème de la tenue d’un dossier
patient au domicile.
a) Les réticences étaient de plusieurs types :
Les raisons éthiques et sécuritaires.
Les médecins ont exprimé une grande inquiétude quant au risque de compromission
du secret médical : Ils craignaient le piratage illégal, bien entendu, mais surtout que les bases
de données ainsi constituées puissent un jour être partagées légalement avec les assurances et
les employeurs. Ils auraient donc tendance à n’écrire que des éléments peu informatifs, et ce
support ne pouvait donc pas s’apparenter à un vrai dossier médical. A l’extrême, quelques
médecins craignaient que le DMP fût un moyen de ficher la population. Ils semblaient
craindre l’avènement d’un système s’apparentant au régime totalitaire décrit dans « 1984 » de
Georges Orwell (50) et ne souhaitaient pas y contribuer.
Une autre crainte très présente était qu’il fût possible pour toute personne accédant au
DMP d’obtenir l’ensemble des informations médicales. Ceci allait à l’encontre du respect du
secret médical, même si les personnes pouvant accéder au DMP étaient uniquement des
médecins. La création et la configuration de zones réservées, c’est-à-dire munies
d’autorisations spécifiques, pouvait être une solution. Outre la difficulté technique de les
réaliser, les médecins craignaient que ce système soit complexe et donc incompris de la part
des patients. Ces derniers pourraient s’autocensurer par crainte que leur état de santé fût
visible sur un dossier dont ils maitrisaient mal la sécurisation.
Il était abordé l’intérêt du recueil du consentement avant la création du dossier. Or les
personnes pour lesquelles celui-ci aurait pu être particulièrement intéressant étaient entre
autres, les personnes atteintes de troubles cognitifs. Les médecins s’interrogeaient quant à la
valeur de leur consentement dans ces conditions.
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Les réticences d’ordre technique
En premier lieu, la constitution et l’actualisation de ce DMP posait question : Certains
médecins pensaient qu’il serait nécessaire d’utiliser une solution informatique identique pour
tous, alors que d’autres pensaient que les différents logiciels existants pourraient produire des
informations compatibles avec le DMP. Concernant la première possibilité, le fait de devoir
abandonner leur ancien logiciel et de s’adapter au nouveau pouvait être un frein important. La
seconde possibilité était jugée compliquée, longue et coûteuse.
C’est clairement cette seconde solution qui est actuellement privilégiée : En octobre
2013, l’HAS et l’ASIP Santé, ont produit un document « volet de synthèse médicale élaboré à
partir du modèle métier de synthèse médicale »(51) . Ce document avait pour vocation d’aider
les éditeurs à faire évoluer leurs logiciels, de façon à ce que la synthèse produite
automatiquement, soit compatible avec le DMP. On peut donc voir ici la volonté d’épargner
au médecin la nécessité de se conformer à une architecture qui ne serait pas la sienne. Mais
comme nous l’avons vu précédemment au paragraphe « Synthèse informatique », ceci n’est
pas dénué de toute lourdeur.
Il a été aussi cité la nécessité d’avoir un accès internet pour y accéder, ce qui pouvait
particulièrement poser problème au domicile.
Les réticences liées à l’aspect possiblement pesant du DMP.
Par ailleurs, les médecins exprimaient de franches inquiétudes quant à la lourdeur que
le DMP pouvait induire au quotidien : Certains craignaient l’aspect chronophage que son
remplissage pouvait impliquer, surtout s’il se surajoutait au dossier médical. D’autres
craignaient que le DMP fût saturé d’éléments parfois obsolètes, imposés par les cadres
administratifs. Ils redoutaient de ne plus parvenir à retrouver les informations pertinentes qui
pouvaient varier d’un spécialiste à l’autre.
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b) Le DMP : Une idée novatrice à la pointe de la technologie ?
L’idée d’une solution informatique distante d’accès aux données médicales d’un
patient n’est pas récente. Jean Claude Quiniou et Jean Marc Font, dans leur livre « les
ordinateurs, mythes et réalités » datant de 1968, écrivaient comme prologue de ce livre
visionnaire : « Sauver, grâce à l'ordinateur, plusieurs milliers de vies humaines par an. ». Ils
développaient ensuite « Imaginons chaque hôpital, chaque médecin […] relié à un ordinateur
installé au centre de Paris. Le médecin compose son numéro de Sécurité sociale sur un
cadran semblable à ceux du téléphone […] : sur l'écran apparaît aussitôt un texte d'une
trentaine de lignes donnant [une synthèse de son dossier médical] ... ».(52)
Plus récemment, Delphine Quesada Cabanel a montré en 2013 que le DMP était perçu
comme une possible solution aux difficultés de communication entre médecins généralistes et
urgences.(53) Lionel Frère a conclu en 2015 que le DMP « constitue un enjeu important pour
les usagers afin d’établir un rapport de force équilibré autour de l’information médicale ».(54)
Force est de constater que depuis le lancement du projet en 2004, son avènement en
2011, et malgré des annonces successives de « relances », celui-ci est actuellement très peu
utilisé : En février 2016, 571000 DMP ont été créés, ce qui représente 0,87 % de la population
française.(55) Néanmoins, le projet continue d’exister, et la loi du 26 janvier 2016 semble
préciser la direction suivie et les moyens d’y arriver.
c) Loi de santé du 26 janvier 2016 et orientation du DMP
L’alimentation du DMP : Une obligation pour le médecin ?
Ce dossier peut être créé sans l’accord du médecin traitant. Cependant, ce dernier est
contraint par la loi d’interagir régulièrement avec. En effet, il est dit dans l’article L1111-15
que « Le médecin traitant mentionné à l'article L. 162-5-3 du code de la sécurité sociale verse
périodiquement, au moins une fois par an, une synthèse dont le contenu est défini par la Haute
Autorité de santé ».(56) Il est donc important pour les médecins de s’approprier la fonction
« volet de synthèse médical » (VSM) proposée par les logiciels informatiques.
D’autre part, il est nécessaire que les éditeurs proposent des solutions informatiques
techniquement fiables pour la production et l’exportation de ces synthèses médicales. En
effet, Céline Capape a mené en 2013 une étude concernant l’exportation du VSM sur le DMP
par des médecins généralistes, et elle concluait que « la pratique reste limitée compte tenu des
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Le DMP : Un support surajouté, ne visant pas à remplacer les supports
actuels du dossier patient.
La nouvelle signification de l’acronyme « DMP » peut être interprétée comme le
souhait d’expliciter l’objectif de ce support : partager certaines données choisies. Il perd son
caractère de dossier « personnel », utilisé jusqu’alors, qui pouvait faire penser aux médecins
qu’il pourrait remplacer les supports existants.
L’utilisation du DMP comme dossier unique nécessiterait une complète compatibilité
des différents logiciels. Mais préalablement au lancement du DMP, le Pr Marius Fieschi
écrivait en 2003 dans un rapport adressé à la Ministre de la Santé : « l’interopérabilité des
systèmes d’information complexes demande également un codage des données suivant des
normes et standards. La mise en œuvre de ces standards […] est un objectif majeur mais il
convient de ne pas faire de cette évolution des systèmes d’information un préalable au
partage de l’information. Le partage à court terme […] doit emprunter temporairement une
autre voie ». En 2016, le DMP nouvellement nommé incarne cette voie.(16)
Il est désormais pensé comme étant un système d’archivage accessible à tous les
professionnels de santé, permettant la communication et non comme un support pouvant
constituer un outil de travail se substituant aux solutions actuelles de dossier papier ou
informatisé. La confusion entre ces deux possibilités a pu contribuer au désintéressement
exprimé par certains médecins à l’encontre du DMP.
d) En attendant le DMP national, le DMP local comme solution ?
Enfin, certains médecins considéraient qu’un DMP local, possiblement sous format
papier, était tout aussi performant et éviterait de tomber dans certains écueils induits par le
DMP national. C’est l’objet d’une étude de 2005 menée par Perrot P, nommée : « Le dossier
de liaison du patient dépendant à domicile : complément ou alternative au dossier
électronique » et qui a montré l’efficience d’un dossier de liaison papier. Elle concluait : « Le
[DMP] est un dispositif qui sera mis en place au cours des prochaines années. Le dossier de
liaison sur support papier, appartenant à la personne dépendante, offre une solution alternative
et complémentaire. Il permet, à partir de l’existant et sans autres dispositifs organisationnels
nouveaux, de coordonner l’activité sanitaire et sociale. »(58)
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Dans le document
DIRECTEUR DE THÈSE : Docteur Jean Paul Carme
(Page 77-81)