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Dossier de liaison : obstacles à son utilisation comme support

Les médecins avaient tendance à utiliser le dossier de liaison laissé au domicile par les

organismes de soins comme support au dossier médical. Les pratiques étaient diverses selon

les médecins : une simple consultation du dossier, l’archivage des éléments médicaux ou la

fusion avec le dossier médical.

a) Intérêt parfois discuté

Les dossiers de liaison étaient jugés de qualité variable mais ce qui gênait davantage

les médecins, était leur caractère peu informatif. Ils jugeaient l’intérêt du dossier de liaison

limité. Selon les médecins, les dossiers infirmiers résultaient d’une obligation légale et

comportaient donc peu d’éléments utiles pour la prise en charge du patient.

Le dossier infirmier est effectivement décrit dans le décret relatif aux règles

professionnelles des infirmiers et des infirmières.(45) Dans l’article 2 du décret, « l’infirmier

est responsable de l’élaboration, de l’utilisation et de la gestion du dossier de soins

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infirmiers ». L’article 28 précise que « l’infirmier ou l’infirmière peut établir, pour chaque

patient, un dossier de soins infirmiers contenant tous les éléments relatifs à son rôle propre et

permettant le suivi du patient ». Les infirmiers ont donc la possibilité de réaliser un dossier de

soins infirmiers qui contiendra tout élément nécessaire à la continuité des soins. Ces textes de

loi s’opposent donc aux propos recueillis concernant le fait que le dossier de liaison relevait

d’une obligation légale et serait dénué de toute utilité de par son caractère contraint.

L’intérêt des médecins pour le dossier de liaison a été évalué en 2014, lors d’une

enquête descriptive et observationnelle auprès de médecins traitants et de patients de plus de

65 ans.(46) Seulement 9% des médecins considéraient le « carnet de liaison sénior » novateur

et 31% n’avaient aucunement l’intention de poursuivre son utilisation.

b) Le dossier de liaison est disponible que par l’intermédiaire des organismes de soins

Les médecins étaient confrontés à sa disponibilité. En effet, le dossier de liaison n’était

disponible qu’à deux conditions : s’il y avait d’autres intervenants à domicile, et si les

organismes de soins le mettaient à disposition. D’autre part, le médecin pouvait être confronté

au manque de place disponible pour pouvoir le compléter convenablement. Ces obstacles à sa

présence pourraient être levés par le médecin en créant lui-même un tel dossier à domicile.

Cependant ils éprouvaient des difficultés à le concevoir.

c) Difficulté à préciser le contenu du dossier de liaison en raison du secret médical

Lorsque le dossier de liaison était disponible, les médecins étaient en opposition sur le

contenu à y consigner. Certains considéraient que le secret médical pouvait être compromis

puisque le dossier était au domicile. En effet, ils expliquaient que le secret médical était

toujours bafoué à domicile et qu’ils n’en avaient pas forcément conscience. Ils remplissaient

donc peu le dossier et considéraient que le contenu devait se limiter aux informations utiles à

la communication interprofessionnelle.

D’autres considéraient que le secret médical ne devait pas être un obstacle aux soins.

Le patient vu à domicile est un patient fragile, nécessitant une prise en charge

multidisciplinaire. Dans ce contexte, la coordination des soins est primordiale. La volonté de

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préserver le secret médical pouvait rendre les dossiers succincts et inexploitables pour les

intervenants au domicile, les remplaçants ou les médecins de garde.

Ce dilemme entre préservation du secret médical et amélioration de la prise en charge

multidisciplinaire est une spécificité de la visite à domicile. Le serment d’Hippocrate

réactualisé par le Conseil de l’Ordre stipule que « [Le] premier souci [du médecin] sera de

rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments … ». On peut

considérer que la prise en charge multidisciplinaire peut contribuer à promouvoir la santé. Or

le même serment stipule aussi que « admis dans l’intimité des personnes, [le médecin taira]

les secrets qui [lui] seront confiés ».(47) Ces deux injonctions placent le médecin dans une

position délicate.

En outre, lorsque le secret médical n’est pas préservé, le médecin ou le professionnel

de santé intervenant à domicile encourent un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende

selon l’article 226-13 du Code pénal.(48)

d) Les différentes visions du soin entre les médecins et les infirmiers rendent

l’utilisation commune du dossier de liaison difficile.

Certains médecins se plaignaient quant à la mauvaise utilisation par les infirmiers de

leurs observations consignées dans le dossier de liaison. Ils avaient l’impression que les

infirmiers ne lisaient pas leurs transmissions ou qu’ils archivaient sans précaution des données

importantes. Ils considéraient qu’il y avait une incompatibilité d’utilisation du fait qu’ils ne

partageaient pas la même vision des soins. Les médecins avaient besoin de pouvoir récupérer

des informations anciennes tandis que l’infirmier avait une vision à court terme du soin.

e) Le dossier médical fusionné avec le dossier de liaison est inaccessible depuis le

cabinet.

Les médecins ont parfois besoin d’avoir accès au dossier médical en dehors de la

présence du patient pour pouvoir soit réaliser un archivage des informations obsolètes, soit

échanger avec d’autres spécialistes. Lorsque le support du dossier médical était le dossier de

liaison, il était donc au domicile et devenait inaccessible au médecin au cabinet.

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f) Difficulté à mettre en place un dossier de liaison entre l’hôpital et l’ambulatoire.

Certains médecins expliquaient leur crainte de laisser les données dans le dossier de

liaison car il était souvent perdu après une hospitalisation. L’étude descriptive et

observationnelle de 2014 met en évidence les difficultés à établir un support aux échanges

entre l’hôpital et l’ambulatoire. En effet, le principal motif de la non-récupération du carnet

après l’étude était la perte du dossier à l’hôpital dans 33% des cas. Par ailleurs, la rubrique

« Fiches de liaison ville-hôpital » était utilisée dans 11% des cas.(46)

g) Conclusion

Le maintien à domicile de la personne âgée est une préoccupation de la médecine

actuelle. Il s’articule entre les différents intervenants au domicile. La conception d’un dossier

de liaison, pouvant être le support au dossier médical, doit se faire en concertation afin de

définir les rôles de chacun, et l’organisation des données recueillies.