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Dosages sériques : À quel moment ? Avec quelle(s) cible(s) ? [62]

pharmacodynamiques dans l’antibiothérapie en réanimation :

IV. Importance du dosage antibiotique en réanimation : quand et comment demander et interpréter les tests ?

2. Dosages sériques : À quel moment ? Avec quelle(s) cible(s) ? [62]

Les dosages sériques sont pratiqués à des moments différents selon que la molécule utilisée exerce une bactéricidie de type temps ou concentration-dépendant, et selon que l’on cherche à optimiser la bactéricidie ou s’exposer au moindre risque de néphrotoxicité.

Pour des raisons pratiques évidentes, il est impossible en routine de mesurer les aires sous la courbe des concentrations, ce qui supposerait de multiplier les prélèvements. Ne sont donc utilisables en clinique que les objectifs de PD (pharmacodynamique) faisant appel à un seul (ou deux) prélèvement(s) : Cmax ou Crés pour les antibiotiques administrés en discontinu, Css pour les antibiotiques administrés en perfusion continue à débit constant.

Pour une molécule à activité temps-dépendante (bêtalactamines, glycopeptides, linézolide), c’est la Crés qui est prédictive du niveau de bactéricidie. Celle-ci doit être supérieure à la CMI (ou à un multiple de la CMI) pour garantir le caractère permanent de la bactéricidie. Pour les molécules à activité concentration-dépendante (aminosides et fluoroquinolones), c’est la Cmax qui doit être optimisée pour ne pas descendre au-dessous d’un seuil (exprimé en multiple de la CMI) dont les études cliniques et/ou expérimentales ont montré qu’il entraînait un risque d’échec. Le Tableau résume, par classe thérapeutique, les principaux paramètres de monitorage de la bactéricidie.

Tableau XVII : Principes d’ajustement posologique des antibiotiques en réanimation

2.3.Antibiotiques concentration-dépendants [62] : 2.3.1. Aminosides :

Depuis la célèbre étude de Moore en 1987, il est acquis avec les aminosides qu’un rapport Cmax/CMI inférieur à 8–10 est associé à une augmentation de la probabilité d’échec dans les infections graves à bacilles à G-. Cela a conduit à de multiples essais dans lesquels la traditionnelle dose fractionnée en trois injections par jour a été remplacée par la dose uni-quotidienne permettant de garantir une Cmax bien supérieure à ce seuil.

La méta-analyse de M. Barza en 1996, portant sur 21 essais randomisés réunissant plus de 3000 patients a confirmé la moindre néphrotoxicité de la dose uni-quotidienne, mais sans pour autant démontrer de façon éclatante la supériorité de la méthode en termes de résultats cliniques. Plus récemment, la néphrotoxicité et l’ototoxicité de la dose uni-quotidienne vs biquotidienne des aminosides ont fait l’objet d’une étude portant sur 123 patients traités pour des

infections respiratoires urinaires ou cutanées. Cette étude a confirmé la moindre néphrotoxicité de la dose unique. En analyse multi-variée, l’administration concomitante de vancomycine et l’aire sous la courbe des concentrations des aminosides sont les facteurs associés à la néphrotoxicité.

Pour la gentamicine, une dose de 7 mg/kg en injection uni-quotidienne est recommandée chez le patient à fonction rénale normale. Chez l’insuffisant rénal, la dose unitaire ne doit pas être diminuée, et il vaut mieux préférer un espacement des doses.

La Cmax doit être mesurée dès la première injection de la dose totale uni-quotidienne, environ 30 minutes après une perfusion d’une demi-heure, et la Crés doit être mesurée à la vingt-quatrième heure, juste avant l’injection suivante.

L’objectif de Cmax doit être voisin de dix fois CMI pour les bactéries les moins sensibles, c’est-à-dire entre 20 et 25 mg/L pour gentamicine, tobramycine et nétilmicine, et d’environ 60 mg/L pour amikacine et isépamicine. Lorsque les aminosides sont administrés en aérosols, c’est le poumon qui devient le compartiment central à partir duquel l’antibiotique va diffuser en systémique. Les dosages sériques de la Cres restent néanmoins utiles pour prévenir la néphrotoxicité.

L’utilisation de la Colimycine® en aérosols (jusqu’ici réservée aux patients mucoviscidosiques) redevient d’actualité pour la prise en charge d’infections respiratoires à bactéries multi-résistantes en réanimation. Aucun seuil prédictif de l’activité ou de la toxicité (rénale ou neurologique) n’a encore été établi.

2.3.2. Fluoroquinolones

Même si le dosage des fluoroquinolones n’est pas encore développé dans beaucoup d’hôpitaux, il a pu être démontré expérimentalement, mais aussi par des études cliniques, qu’une Cmax (réalisée cinq minutes après la fin de la perfusion) supérieure à 12 fois la CMI du germe à traiter permettait d’optimiser les résultats cliniques et bactériologiques des maladies infectieuses graves. Cet objectif n’a aucun intérêt dans les infections de l’appareil urinaire, mais semble raisonnable pour toutes les infections systémiques. Certains laboratoires de pharmacologie (comme à la Pitié-Salpêtrière à Paris) proposent le calcul d’une aire sous courbe des concentrations à partir de trois points de PK sérique. Il suffit ensuite de rapporter la valeur ainsi calculée à la CMI du germe identifié pour s’assurer que la valeur optimale (> 100) est atteinte.

2.4.Antibiotiques temps-dépendants : 2.4.1. Bêtalactamines :

Tenant compte du caractère temps-dépendant de leur activité bactéricide, de nombreuses études ont cherché à évaluer l’intérêt de la perfusion continue de ces molécules, dont la plupart ont une demi-vie courte. Sur le modèle d’endocardite expérimentale à P. aeruginosa, la comparaison de la perfusion continue de ceftazidime par rapport à l’administration discontinue traditionnelle a montré l’efficacité au moins égale de la perfusion continue en termes de bactéricidie dans les 24 premières heures. Quand la souche de Pseudomonas ne possède aucun mécanisme acquis de résistance, la perfusion continue chez l’adulte de quatre grammes par 24 heures qui permet d’obtenir une concentration à l’équilibre à 30 mg/L, est aussi efficace que le dosage intermittent à deux grammes toutes les huit heures. En revanche, dès lors que la

souche produit un mécanisme de résistance responsable d’une élévation de la CMI (8 mg/L), la perfusion continue doit être de 6 g/ 24 h pour être équivalente à l’administration intermittente.

Dès lors que la souche produit une céphalosporinase (responsable d’une CMI à 8 mg/L), aucun mode d’administration de la ceftazidime ne démontre un intérêt en termes de bactéricidie précoce. Ainsi l’objectif d’obtenir des concentrations sériques entre quatre et six fois la CMI des germes sensibles, soit en Crés (administration discontinue), soit à l’état d’équilibre (Css, perfusion continue) est généralement admis. Cet objectif initial correspond à une concentration d’environ 40 mg/L pour les germes les moins sensibles (CMI à 8 mg/L), qu’il convient ensuite d’adapter à la CMI du germe identifié, lorsqu’il est connu. L’objectif est le même pour ceftazidime et céfépime. Dans une méta-analyse récente portant sur neuf études randomisées, il existe une tendance non significative à la diminution des échecs cliniques avec la perfusion continue, et un rapport coût/efficacité favorable à la perfusion continue, y compris en prenant en compte le coût des dosages sériques. Le principal avantage de cette méthode réside dans la possibilité de mesurer une concentration sérique qui est stable à l’état d’équilibre. Dans une étude portant sur 50 patients de réanimation, la même dose de céfépime (4 g/j) administrée en perfusion continue sur 24 heures permet de garantir des concentrations sériques d’antibiotique supérieures à cinq fois la CMI, alors que l’administration discontinue conventionnelle de deux grammes toutes les 12 heures ne permet d’atteindre cet objectif que pendant 72 % du temps. D’une façon plus générale, si l’on prend en compte les données cinétiques moyennes des patients de réanimation, à dose quotidienne égale, c’est la perfusion continue qui permet d’atteindre les cibles de

concentrations suffisantes pour céfépime, aztréonam, ceftazidime et pipéracilline–tazobactam, au moins pour les entérobactéries.

L’un des reproches fréquemment formulés aux dosages sériques est leur insuffisance à prédire la concentration d’antibiotique dans les tissus. Dans plusieurs études ouvertes portant sur des patients de réanimation porteurs d’une pneumopathie nosocomiale, il a pu être montré qu’à l’état d’équilibre, après une dose de charge initiale de deux grammes suivie d’une perfusion continue de 4 g/24 h, les concentrations obtenues dans le liquide alvéolaire étaient suffisantes, avec une concentration sérique atteignant 40 mg/L en perfusion continue, au moins pour le céfépime. La pénétration alvéolaire est moindre pour la ceftazidime administrée dans les mêmes conditions.

À l’heure actuelle, seule la ceftazidime fait l’objet d’une AMM (autorisation de mise sur le marché) pour la perfusion continue, mais pratiquement toutes les bêtalactamines à demi-vie courte ont fait l’objet d’études cliniques publiées. L’utilisation de la perfusion continue doit néanmoins être réfléchie par rapport aux données concernant la stabilité des solutions à température ambiante, et leur compatibilité avec d’autres médicaments possiblement employés en réanimation par voie veineuse. La prudence fait recommander de perfuser l’antibiotique sur une voie veineuse séparée en cas de doute. À titre d’exemple, la perfusion continue de céfépime a fait l’objet d’études pharmacologiques visant à tester sa stabilité et sa compatibilité avec d’autres médicaments habituellement perfusés en réanimation ou au cours de la mucoviscidose.

À 25° Celsius, le céfépime peut être considéré comme stable pendant 24 heures, mais cette stabilité tombe à 14 heures à 30° Celsius. Des incompatibilités

ont été observées avec l’érythromycine, le propofol, le midazolam, la phénytoïne, la théophylline, la nicardipine, la N-acétylcystéine, ainsi que les concentrations élevées de dobutamine. Il faut donc utiliser le céfépime en perfusion continue avec précaution en milieu de réanimation, dans des conditions de température et de co-administration de médicaments strictement contrôlées [62].

2.4.2. Glycopeptides :

Seule la vancomycine peut être administrée en perfusion continue. Wysocki et al. ont démontré que ce mode d’administration était moins coûteux que l’administration en discontinue (avec atteinte plus rapide des taux cibles) mais qu’en termes d’efficacité et de tolérance, ces deux modes d’administration étaient comparables. Gauzit et al. Ont mis en évidence une hétérogénéité des pratiques quotidiennes vis-à-vis des glycopeptides. Lors de l’administration de la vancomycine en perfusion continue, 70 % des prescripteurs avaient recours à une dose de charge, l’objectif étant d’obtenir une concentration sérique optimale le plus rapidement possible. La dose de charge de la vancomycine doit tenir compte du poids du patient et de la clairance à la créatinine, toutefois la quantité du « bolus » prescrit ne fait pas l’objet de consensus pour l’instant. Les concentrations sériques proposées à l’équilibre de vancomycine pour la perfusion continue varient de 20 à 25 mg/l pour une infection avec une souche de staphylocoque de CMI < 1 mg/l, toutefois les concentrations sériques proposées doivent être supérieures (de l’ordre de 25 à 30 mg/l) lorsque les souches de staphylocoques ont des CMI > 1 mg/l pour la vancomycine.

Pour la teicoplanine, une concentration sérique résiduelle de 20 à 30 mg/l est requise dans les infections ostéo-articulaires, chez les grands brûlés et dans

les endocardites. La concentration résiduelle de teicoplanine est un paramètre corrélé à l’efficacité clinique. Dans les infections sévères, l’objectif de cette concentration sérique résiduelle doit être > 8 CMI [64].

2.4.3. Linézolide :

Les concentrations sériques et intra-pulmonaires de linézolide ont été mesurées chez des patients de réanimation présentant une PAV assistée. Les résultats montrent l’équivalence des concentrations entre le liquide alvéolaire et le sérum aux posologies usuelles (600 mg toutes les 12 heures), et des Cres à 12 heures à 2,4 et 2,6 mg/L dans le sérum et le liquide alvéolaire, respectivement. Le linézolide est dosé en HPLC (chromatographie liquide à haute performance), et compte tenu de la toxicité potentielle de cette molécule, notamment sur le plan hématologique, et du risque d’accumulation déjà décrit, son monitorage apparaît souhaitable. Ses caractéristiques PK suggèrent une activité supérieure à celle de la vancomycine. Une étude expérimentale sur le modèle d’endocardite à

S. aureus résistant à la méticilline (SARM) a montré la supériorité de

l’administration continue vs discontinue avec les doses usuelles de 1200 mg/j, avec des concentrations sériques à l’équilibre entre 20 et 30 mg/L [62].