• Aucun résultat trouvé

Données paléoenvironnementales hors-sites et intra-sites sur le Néolithique dans la Plaine de Caen

Cécile Germain-Vallée

1. Données paléoenvironnementales hors-sites et intra-sites sur le Néolithique dans la Plaine de Caen

Les enregistrements polliniques hors-sites

Les premiers agriculteurs du Néolithique s’installent sur les plateaux de la Plaine de Caen dans un environnement très forestier, dominé par le chêne et le noisetier qu’accompagnent l’orme et le tilleul. Dans les fonds de vallées, la sédimentation organique qui se met en place démontre la généralisation des espaces fluvio-palustres en lien avec le haut niveau des nappes d’eau souterraines. Les cours d’eau peu actifs se divisent alors en de multiples chenaux sinuant au sein d’une végétation dominée par les herbacées hygrophiles et les Cypéracées, et longés par une ripisylve plus ou moins dense (Clet-Pellerin et al. 1977; Lespez et al. 2005; Lespez et al. 2008 ; Lespez, 2012). La sédimentation organique qui se dépose dans une majorité des fonds de vallées au cours de cette période a fourni des enregistrements polliniques précieux. Ces données sont quasiment les seules à apporter des informations sur l’influence des populations néolithiques. Pourtant elles sont très ténues. En effet, comme dans le reste du Bassin Parisien entre le Néolithique ancien et le Néolithique moyen, l’impact des pratiques agricoles sur la végétation semble restreint et très dépendant de la densité de peuplement (Leroyer 2003; Leroyer 2006; Leroyer et Allenet 2006). Dans notre secteur d’étude, pour le Néolithique ancien, aucun indice d’anthropisation n’a été observé sur les séquences tourbeuses étudiées. Elles sont trop éloignées des sites archéologiques connus qui, pour cette période, sont localisés sur les plateaux dans la Plaine de Caen (Figure 1).

Figure 1. Les données paléoenvironnementales hors-sites et intra-sites disponibles pour le Néolithique (modifiée de Lespez et Germain-Vallée 2011).

En revanche, pour le Néolithique moyen, trois séquences (Cairon, Rots et Blainville-sur-Orne) qui se situent à proximité immédiate d’occupations fournissent des enregistrements polliniques qui témoignent de l’influence des activités agricoles (Lepsez et al. 2005; Barbier-Pain non publié). Les diagrammes montrent principalement une diminution des pollens d’arbres au profit des pollens de prairies, de rudérales et des spores de fougères. Ces données attestent d’une ouverture du couvert forestier par défrichement de clairières. En revanche, très peu d’indices témoignent du développement des cultures céréalières. Seules les séquences de Rots et Blainville-sur-Orne fournissent quelques rares occurrences de pollens de plantes cultivées. Ces indices d’anthropisation ténus ont généralement été associés aux occupations proches. Pourtant le manque de datations sur ces séquences polliniques ne permet pas de les corréler précisément aux données archéologiques. Entre la fin du Néolithique moyen et le début du Néolithique récent l’ensemble des données polliniques indiquent l’essor de l’aulne qui vient coloniser les fonds de vallées. Cet essor survient également dans les marais de Chicheboville-Bellengreville dans un secteur éloigné des occupations anciennes connues (Clet-Pellerin non publié, données brutes de comptage disponibles sur European Pollen Database). Les pollens de céréales sont absents des diagrammes pour le Néolithique récent et final, mais des marqueurs d’anthropisation sont pourtant toujours présents. A Fontaine-Henry, ces marqueurs ont été corrélés à l’occupation du site de l’éperon barré de Basly daté du Néolithique final (Lespez et al. 2005). Mais à Blainville-sur-Orne, ils ne correspondent à aucune occupation proche et contemporaine de cette période. L’enregistrement de ces indices d’anthropisation, malgré le filtre lié au développement de l’aulne, pourrait témoigner d’une empreinte plus forte et plus durable des populations de la fin du Néolithique sur le paysage.

Les enregistrements polliniques de la Plaine de Caen ne fournissent, en outre, presque aucune information sur l’influence environnementale des courtes fluctuations climatiques survenues durant le Néolithique (Mayewski et al. 2004). En Europe de l’Ouest, elles sont la plupart du temps marquées par des périodes plus froides et humides, et favorisent un hydrodynamisme plus important. La séquence pollinique de Chicheboville-Bellengreville est la seule à montrer des variations de la végétation qui peuvent témoigner de ces fluctuations. Dans ce diagramme, l’essor des pollens de Cypéracées parallèlement à une diminution des pollens du noisetier illustrent l’extension de la zone humide, et témoignent de cinq périodes de haut niveau de la nappe durant le Néolithique (Lespez 2012).

Les données paléoenvironnementales intra-sites

Les données paléoenvironnementales intra-sites dans la Plaine de Caen, en plus d’être nombreuses, fournissent des informations sur toutes les périodes du Néolithique (Figure 1). Elles proviennent principalement des sites de Colombelles (Billard et al. 2014), Mondeville, Grentheville (Chancerel

et al. 2006), Tilly-la-Campagne (Charraud et al. 2016), Fontenay-le-Marmion (Giraud et al. 2012),

Verson (Germain-Vallée et al. 2014), Cairon (Ghesquière and Marcigny 2011), Condé-sur-Ifs, Ernes (Dron et al. 2016) et Cagny (Giraud et al. 2015). En dehors des sites d’Ernes et de Condé- sur-Ifs, l’ensemble des occupations connues est situé sur les plateaux limoneux dans la partie nord de la Plaine de Caen. Les données archéobotaniques et archéozoologiques témoignent du développement des activités agropastorales aux alentours des sites dès le Néolithique ancien. Les lots carpologiques présentent des restes de céréales et de légumineuses cultivées, et les ossements d’animaux domestiques indiquent la présence de cheptels dominés par les bovins, et suivis à part quasi égale par les porcs et les caprinés. Malgré leur fertilité relative, la texture légère des sols limoneux était compatible aux techniques agricoles des Néolithiques et a pu favoriser l’installation des premiers agriculteurs. Les luvisols de la Plaine de Caen témoignent de la stabilité des paysages végétaux tout au long du Mésolithique. En revanche, les recherches géoarchéologiques conduites sur les plateaux apportent la preuve de premières phases érosives au Néolithique ancien à Fontenay-le-Marmion et au Néolithique final à Banneville-la-Campagne (Béguier et al. 2011 ; Germain-Vallée et Lespez 2011). L’exploitation des espaces défrichés est alors probablement temporaire car elle est toujours suivie d’une recolonisation durable par la

végétation forestière attestée par la résilience des luvisols. Les clairières sont abandonnées après quelques générations, et l’influence des pratiques agricoles sur le couvert forestier des plateaux est encore restreinte (Lespez 2012 ; Germain-Vallée et Lespez 2016, 2018). Le maintien de ce couvert protecteur empêche l’arrivée des particules limoneuses arrachées aux sols cultivés dans les fonds de vallées qui ne présentent aucune trace de sédimentation détritique contemporaine du Néolithique (Lespez 2008, 2012 ; Germain-Vallée et Lespez 2011a).

Si les données archéobotaniques et archéozoologiques confirment que la forêt est encore bien présente durant l’ensemble du Néolithique, le développement de l’agriculture a probablement entraîné l’apparition d’un paysage en mosaïque autour de certains sites, les espaces forestiers encore parfois très denses sont entrecoupés de prairies, de cultures et de friches. Au Néolithique moyen et final, l’impact des pratiques humaines semble même s’intensifier autour des habitats. L’augmentation des espèces héliophiles dans les lots anthracologiques des sites de Cairon, Condé-sur-Ifs et Ernes suggère l’essor des écosystèmes de fourrés post-forestiers, de landes ou de friches. La présence des restes osseux du cheval à Cairon implique aussi l’existence d’étendues ouvertes. Ces changements peuvent attester d’une multiplication des clairières cultivées ou abandonnées, de l’influence croissante du pâturage, mais également d’un essor de la pression démographique sur le paysage végétal au cours de ces périodes. En effet, les données archéologiques suggèrent que la construction des monuments collectifs funéraires et des grandes enceintes au Néolithique moyen II traduit le passage à un seuil démographique plus important (Ghesquière et al. 2014).