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La domination de la camelote est un des côtés du grand

Dans le document PRIX : 1 Fr. 50 (Page 130-136)

problème intellectuel et social, qui préoccupe les penseurs et les sociologues.

La camelote nous est imposée par l'industrie parce qu'elle sert à faire gagner de l'argent et que le monde d'aujourd'hui tend à devenir une immense machine à produire, à commer-cer, à échanger ; nul souci des exigences et des idéaux supé-rieurs n'existe plus.

Notre ère mercantile en développant le penchant vers les affaires, m e t t a n t toujours, en première place, les ques-tions économiques, a donné au public une inclination mor-bide pour les solutions pratiques, ou qui semblent l'être, res-treignant singulièrement son horizon et qui aura pour consé-quence fatale un abaissement général et la perte de ces valeurs qui seules donnent du prix à l'existence humaine.

L'industrie et le commerce sont des dieux ; l'on dirait, de plus en plus, qu'entre ces deux voies de l'activité humaine, rien n'existe.

Nous venons de voir ce qu'un tel état d'esprit produit sur le consommateur ; pour celui qui travaille, pour l'ouvrier, il n'est pas meilleur. Ce dernier jadis aimait son métier, car il lui avait fallu d'abord l'apprendre.

E t c'était quelque chose que de se perfectionner dans sa profession, que d'y passer maître.

Aujourd'hui, avec la machine, à l'usine ou dans les vastes ateliers, l'ouvrier n'a plus de métier, il sent qu'il n'est qu'un rouage et qu'on n'emploie pas son intelligence ni son savoir faire. Il ne pense donc q u ' à sa vie matérielle, éprouvant pour tout le reste un profond dégoût et c'est là une des causes profondes du malaise social.

La machine sera toujours, et de plus en plus, puisque son emploi augmente, un terrible ennemi des arts rustiques qui ont spécialement le bois comme matière à travailler.

Pour l'industrie du fer, la mécanique peut avec moins de danger, prendre un rôle capital dans les transformations d'une matière toujours homogène et semblable à elle-même.

Pour le bois, si divers, qui change avec l'essence, l'âge, le terrain même où l'arbre a poussé, jamais la machine ne remplacera l'ouvrier qui connaît sa matière, ses ruses, ses défauts, et sait jouer au plus fin avec elle.

J a m a i s non plus l'automatisme ne remplacera la main de

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-l'homme, avec sa force, son adresse, ses caresses, ses hési-tations, bref avec t o u t ce qui v a u t justement aux objets rustiques, même ébauchés, de nous donner une émouvante impression d'art.

Ce qui déterminait ces délicieuses créations de l'Art populaire et villageois, ce qui permettait d'y employer un travail long et patient, c'est que, jadis, on avait du temps, et que le temps n'était pas de l'argent.

L'existence était beaucoup plus monotone. On sortait peu de chez soi, l'hiver donnait des loisirs, les communica-tions étant difficiles on restait à la maison et c'est alors qu'on prenait l'outil, qui, d'une grossière bûche de bois, faisait un objet qui nous ravit encore. Maintenant, quand les heu-res paraissent interminables, on enfourche sa bicyclette, on va en ville, on fait une tournée chez des amis ; les jours de repos et de fête sont des jours de voyage, d'excursion, on est de moins en moins casanier.

Enfin le temps v a u t tellement d'argent, qu'on n'ose plus aborder des t r a v a u x ne procurant pas un gain en rapport avec eux. Orner, décorer sa maison, ses meubles, c'est per-dre un temps précieux.

Du reste, chacun met bien plus sa satisfaction dans son salaire que dans son ouvrage.

Le travail n'est plus qu'un moyen gênant, enuyeux, dé-testé, mais encore obligatoire, de s'assurer des jouissances qui n ' o n t rien d'esthétique celles-là !

Un écrivain français, connu pour l'originalité de son esprit M. Maurice Talmeyr, a prétendu que l'état de préoccup-a lions politiques, où vivent les peuples modernes, était une des causes de l'extinction de l'Art populaire.

Peut-être a-t-il raison, car la politique distrait, passionne, absorbe ; le journal vient tous les jours, renouveler un monde de sensations, éveiller, mécontenter ou réjouir, stimuler des sentiments contradictoires, générateurs d'agitations et de disputes.

On discute, on va à des assemblées, on fait partie de sociétés multiples, tout cela détourne les esprits du culte direct du foyer et les occupe à d'autres choses.

Le peuple est souverain, il doit gouverner, voter, élire, hélas, il n'a plus le temps de faire des chefs-d'œuvre.

Il faut noter encore que le village n'est plus la création unique du paysan, la gare, des hôtels, des magasins, des maisons ouvrières, des fabriques modifient sa physionomie

«t sa mentalité.

Il est loin de former, comme autrefois, la base économique principale de toute la culture nationale ; dans ces conditions nouvelles, comment s'étonnerait-on qu'il ne puisse plus avoir un art bien à lui, v e n a n t de lui et n'existant que pour lui ? D'un pas accéléré, sans précédent dans l'histoire, brisant en quelques dizaines d'années tous les anciens groupements, la Suisse bucolique s'est transformée en un E t a t industriel important, ayant à compter avec les exigences d'une con-currence internationale formidable.

• Notre pays s'est métamorphosé, aussi en une vaste hôtel-lerie, le monde entier y passe et, par ce flot mouvant, tout est emporté de nos mœurs ancestrales.

Qu'on me permette, en terminant, d'insister sur les re-lations intimes qui existent entre les choses et les âmes. La transformation des premières compte parmi les origines de bien des fléchissements moraux et sociaux..

La perte de nos arts régionaux n'est pas sans avoir une importance politique, puisque notre fédéralisme constitu-tionnel voit son existence menacée par les empiétements continus d'une centralisation outrancière.

Celle-ci dispose d'un terrain favorable à ses envahisse-ments grâce à l'anémie progresssive de certaines forces de résistance ; l'abandon de nos arts rustiques compte aussi dans les causes de ce dépérissement.

Un art populaire vivant est le complément indispensable de t o u t régionalisme agissant ; sans lui, it perd de sa vitalité et de sa vigueur : Il a besoin d'un art pour s'exprimer, se manifester et se maintenir.

Cette étude serait incomplète et sans utilité, si je ne lui donnais pas une conclusion en indiquant les remèdes à ap-porter à tous les m a u x signalés par moi.

J e place en to^-t premier lieu, l'éducation du goiit com-mencée dans l'école et poursuivie devant la foule par des projections m o n t r a n t les bons et les mauvais exemples, par des conférences, par des écrits populaires largement répandus.

De même que les sermons n'atteignent que les gens dévots.

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les publications artistiques ne parviennent jamais entre les mains du peuple. 11 faut donc en rédiger à son usage et les pouvoirs publics doivent faciliter cette propagande.

C'est aux architectes que revient le devoir de s'inspirer de nos types régionaux ; en Suisse ils sont déjà dans une meil-leure voie, mais ils ont encore à compter avec le client et ses idées saugrenues, avec le mauvais goût des entrepreneurs.

Les architectes peuvent devenir les apôtres du beau, et ainsi, ils relèveront leur profession.

Pour restaurer les métiers, il y a lieu d'établir l'apprentis-sage sur des bases nouvelles. Il faut apprendre avec plus de soin au d é b u t a n t à se servir du crayon pour exprimer sa pensée, il faut former et diriger son esprit d'observation en éveil, en lui m o n t r a n t les œuvres du passé, non pour qu'il les recopie ou les reproduise plus tard, mais pour qu'il en comprenne l'esprit, pour qu'il s'en inspire dans ses oeuvres futures afin qu'il conserve à ses ouvrages le caractère du pays qui l'a vu naître et où il doit vivre.

C'est ainsi que, peu à peu, on meublera de nouveau nos maisons paysannes d'objets bien en rapport avec les mœurs et les coutumes de leurs h a b i t a n t s .

Il faudrait commencer par établir des ateliers régionaux, qui, t o u t en formant les élèves ouvriers, construiraient des meubles adaptés au milieu qui actuellement ne se trouvent plus sur le marché ; leur vente serait déjà un apostolat.

Nous n'aurions là que la continuation du mouvement commencé par les écoles ménagères, et on compléterait la transformation hygiénique et culinaire des foyers qu'elles poursuivent en y ajoutant un renouveau esthétique.

J e propose enfin la fondation d'une « Ligue pour le relè-vement des industries rurales » pareille à celle fondée en France par MH" Bressac, qui a commencé, avec succès, ses tentatives en Auvergne.

Des institutions de ce genre existent en Suède et en Italie.

Mais dans ces derniers pays on a surtout envisagé la renais-sance des métiers féminins de la broderie, de la dentelle, comme une femrne intelligente et généreuse l'a fait dans la Gruyère, pour ses filets, p a r t o u t recherchés.

Ces t r a v a u x sont destinés surtout à l'exportation, ils contribuent sans doute, grandement, à former la main et le

sentiment artistique des ouvrières, mais ces dernières ne travaillent pas pour elles et leur foyer,

MUe Bressac veut, au contraire, faire rentrer dans la chaumière auvergnate les jolies choses dont elle était a u t r e -fois remplie, tout en rendant la vie à une région entière, t o u t en r a m e n a n t la gaieté avec le bien-être, dan? des villages au-jourd'hui morts ou endormis. C'est un exemple à suivre.

J e dois signaler ici comme une tentative heureuse, digne d'être soulignée et encouragée, l'initiative prise tout récem-ment par la section bernoise du Heimalschulz, d'installer à l'exposition cantonale de Berthoud, une chambre modèle, présentée sous le titre : chambre des visites paysannes.

D'un agencement très moderne, elle est cependant bien dans un style de chez nous, par son plafond, ses boiseries, son fourneau en catelles, plus encore que par son mobilier.

A ce dernier on pourrait reprocher un genre Bidermeier ou Louis-Philippé dont la résurrection ne me paraît pas dési-rable, même sous une forme moderne.

Mais l'idée maîtresse de cette reconstruction est digne de louanges et montre combien les préoccupations, dont je me fais l'écho ici, sont partagées. Cette chambre villageoise a été honorée par le j u r y de l'exposition d'une médaille d'or.

Des personnes plus compétentes que moi trouveront, sans doute, d'autres moyens d'action outre ceux sommaire- . ment indiqués ici.

J ' a i simplement voulu, dans ces pages, profiter des ensei-gnements et des révélations contenues dans l'ouvrage de M. Baud-Bovy, pour montrer le passé fécond de l'Art rustique en Suisse, sa décadence actuelle, la nécessité de travailler à son relèvement.

Puisse cette étude contribuer, pour sa part, à ouvrir la voie à des recherches, à des t r a v a u x , à des initiatives, me paraissant s'imposer à tous ceux qui, derrière des ques-tions esthétiques, savent comprendre que c'est l'avenir moral, social et politique de la Suisse qui est compromis . par cette transformation et cette urbanisation du village et des villageois, se poursuivant chaque jour, sans rencontrer une résistance sérieuse.

G. de MONTENACH, député au Conseil des Etats Suisses.

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