CHAPITRE 4 : DISCUSSION
1.1 Dok-1 et Dok-2 sont nécessaires pour le maintien de la réponse T CD8 + spécifique au VHS-1
CD8
+spécifique au VHS-1
1.1.1 Rôle des Dok dans la formation des cellules T CD8
+mémoires
Dans notre étude, nous avons travaillé avec des souris déficientes en Dok-1 et Dok-2 que nous avons infectées par le VHS-1 au niveau du site oculaire. Nous avons observé qu’en l’absence des protéines Dok-1 et Dok-2, le nombre de lymphocytes T CD8+ spécifiques au VHS-
1 était significativement réduit au pic de la réponse effectrice dans les organes lymphoïdes (rate et ganglions lymphatiques drainant) et dans les sites de réplication du VHS-1 (cornée, et ganglions trigéminaux). Plus encore, la réduction du nombre des lymphocytes T CD8+ spécifiques
au VHS-1 était plus prononcée durant la phase mémoire dans les souris DKO comparativement aux souris WT.
Dans notre modèle murin, la déficience en Dok-1 et Dok-2 affecte tout le compartiment hématopoïétique. Toutefois, une étude rapporte que suite à l’infection par le virus de la vaccine (VV-ova), le défaut de la formation de la réponse mémoire T CD8+ spécifique à l’épitope ova est
intrinsèque aux cellules T (Laroche-Lefebvre et al., 2016). En effet, l’utilisation de transfert adoptif de cellules T CD8+ DKO ou de cellules T CD8+ WT a permis de mettre en évidence une diminution
significative au cours de la phase d’expansion, et plus sévère lors de la phase mémoire des cellules T CD8+ DKO comparativement aux cellules T CD8+ WT suite à l’infection par VV-ova
(Laroche-Lefebvre et al., 2016). Comme décrit précédemment, Dok-1 et Dok-2 semblent agir comme des « freins » pour prévenir une activation excessive des cellules T activées et de ce fait leur mort prématurée. Nous pouvons imaginer que dans notre modèle d’étude le même scénario se produit et qu’en l’absence des protéines Dok, l’hyperactivation des cellules T CD8+ empêche
les cellules d’entrer en état de quiescence, et de ce fait elles meurent par apoptose. Toutefois, dans notre modèle d’étude, nous ne pouvons pas exclure d’autres hypothèses et que d’autres cellules immunitaires soient impliquées dans le maintien de la réponse mémoire contre le VHS- 1. En effet, l’absence de Dok-1 et Dok-2 pourrait influencer la maturation, la fonctionnalité des CPA, l’environnement inflammatoire, l’aide des lymphocytes T CD4+ durant l’activation des
lymphocytes T CD8+, etc… L’utilisation de transferts adoptifs de lymphocytes déficients en Dok-
1 et Dok-2 avec un TCR spécifique à gB498-505 serait alors nécessaire pour confirmer que le défaut
de la formation de la réponse mémoire T CD8+ spécifique au VHS-1 est intrinsèque aux cellules
T.
Nous avons observé que la déficience en Dok-1 et Dok-2 n’affecte pas la capacité des lymphocytes T CD8+ spécifiques au VHS-1 à se différencier en précurseurs mémoires (MPEC).
En effet, l’évaluation des marqueurs KLRG-1 et CD127 (récepteur chaîne α de l’IL-7) au sein de la population des lymphocytes T CD8+ spécifiques au VHS-1 présente dans la rate à 8 jours post-
infection (8 jpi) nous a permis de confirmer que les proportions des MPEC et des cellules effectrices à court terme (SLEC) étaient similaires dans les souris DKO et les souris WT. Ainsi, la réduction sévère du nombre de lymphocytes T CD8+ spécifiques au VHS-1 observée durant la
phase mémoire dans les souris DKO n’est pas due à leur incapacité à se différencier en précurseurs mémoires. Nous avons également constaté que la déficience en Dok-1 et Dok-2 n’affecte pas la capacité des lymphocytes T CD8+ spécifiques au VHS-1 à proliférer in vivo. Ainsi,
la diminution du nombre de ces lymphocytes dans la rate est plutôt due à une réduction de leur survie qu’à l’altération de leur capacité proliférative.
La déficience en Dok-1 et Dok-2 touche davantage la différenciation finale et/ou la survie des cellules TEM (CD44hi CD62L-) que les cellules TCM (CD44hi CD62L+). En effet, le nombre de
lymphocytes TEM CD8+ gB-spécifiques est six fois moindre dans les souris DKO comparé aux
souris WT, alors que le nombre de lymphocytes TCM CD8+ gB-spécifiques est deux fois moindre
dans les souris DKO durant la phase mémoire. La compréhension des mécanismes à l’origine de la réduction sélective des cellules TEM dans les souris DKO est centrale, puisque leur présence
en grand nombre a été associée à une meilleure protection contre les pathologies induites par le VHS-1 chez l’homme (Srivastava et al., 2017b). À ce stade de l’étude, il est difficile d’expliquer pourquoi la survie des TEM est plus affectée que celle des TCM en l’absence desprotéines Dok ;
des analyses supplémentaires sont nécessaires mais quelques éléments dans la littérature peuvent y contribuer. Le modèle selon lequel la force du signal du TCR est un facteur majeur dans la différenciation des cellules T, et que les TCM sont générés par une stimulation sous-
optimale du TCR comparé aux TEM pourrait aider à la compréhension de nos résultats (Chang et
al., 2014; Daniels & Teixeiro, 2015; Sallusto et al., 2004). Les MPEC qui se sont différenciées en
TEM suite à une stimulation du TCR plus élevée pourraient ne pas être capables de rentrer en
quiescence en l’absence de Dok-1 et Dok-2 et une majeure partie des TEM serait supprimée
pendant la phase de contraction. Les MPEC qui se sont différenciées en TCM suite à une
stimulation plus faible du TCR seraient alors moins affectées par l’absence de la boucle de rétro- inhibition exercée par Dok-1 et Dok-2. Un autre élément pourrait expliquer cette différence de survie entre les TEM et les TCM. En effet, bien que nous n’ayons pas évalué le facteur de
transcription eomesodermin (Eomes), Laroche-Lefebvre et al. rapportent que les lymphocytes T CD8+ DKO effecteurs présentent une augmentation de l’expression de Eomes durant la phase
de l’expansion. L’expression d’Eomes immédiatement après l'activation des lymphocytes T CD8+
ne conduit pas à une meilleure formation de la mémoire au sens large mais contribue plutôt à une formation efficace des TCM (Paley et al., 2013). D’autres facteurs de transcription sont
impliquées dans la formation soit des TEM, soit des TCM comme inhibitor of DNA binding (ID)3 et
ID2 (Yang et al., 2011). Ainsi, il conviendrait d’évaluer si l’absence des protéines Dok dans le contexte de l’infection par le VHS-1 a un impact sur les facteurs de transcription comme Eomes, T-bet, et autres facteurs pro- et anti-apoptotiques au sein même des cellules TEM et TCM (Chang
et al., 2014).
1.1.2 Influence de Dok-1 et Dok-2 sur le répertoire des épitopes reconnus par les
lymphocytes T CD8
+spécifiques au VHS-1
Au cours de cette étude, nous avons suivi la réponse spécifique T CD8+ contre le peptide
immunodominant de la glycoprotéine virale gB498-505. D’autres épitopes viraux sont reconnus par
les lymphocytes T CD8+ : ils sont au nombre de dix-neuf dont onze dérivent de protéines à
cinétique précoces et huit sont issus de protéines à cinétique tardive dans les souris C57BL/6 (St Leger et al., 2011; Treat et al., 2017). Il a été établit que 50% des lymphocytes T CD8+ spécifiques
au VHS-1 reconnaissent gB498-505 (gB-spécifiques) et 50% reconnaissent les épitopes
les lymphocytes T CD8+ des ganglions trigéminaux (TG) et de la rate (St Leger et al., 2011). La
majorité des lymphocytes T CD8+ qui infiltrent et qui sont retenus dans les TG sont spécifiques
au VHS-1, et le ratio de 1:1 (gB-spécifiques:non-gB-spécifiques) est maintenu durant la latence virale (Sheridan et al., 2009; St Leger et al., 2011). Nous avons observé qu’en moyenne 40% des lymphocytes T CD8+ infiltrant les TG des souris WT étaient gB-spécifiques. Nos observations
sont en accord avec la littérature et les variations minimes observées entre les différentes études peuvent être reliées au type de tétramère utilisé et à la technique de dissociation des TG (Treat
et al., 2017). Nous avons caractérisé les lymphocytes T CD8+ provenant de ces TG à l’aide d’un
anticorps dirigé contre le CD103. Le CD103, la chaine α du récepteur intégrine αEβ7 pour la
cadhérine-E, permet aux lymphocytes T CD8+ d’être retenus dans les tissus. Nous avons observé
qu’environ 60% des lymphocytes T CD8+ gB-spécifiques présents dans les TG des souris WT et
DKO durant la phase mémoire expriment le CD103. Il s’agit de la première étude à évaluer le CD103 sur la population de T CD8+ gB-spécifiques présente dans les TG durant la phase de
latence.
Nous avons observé qu’en l’absence de Dok-1 et Dok-2, seulement 26% des lymphocytes T CD8+ infiltrant le TG sont gB-spécifiques à 8 jpi contre 39.5 % pour les souris WT. Leur
proportion diminue à 19% durant la latence virale dans les souris DKO contre 38% pour les souris WT. Compte tenu que les lymphocytes T CD8+ retenus dans les TG sont tous spécifiques au
VHS-1, il convient alors de se demander quelle est la spécificité des lymphocytes T CD8+ restants
? Il est généralement admis que la phase de contraction affecte de la même manière les cellules T CD8+ reconnaissant les épitopes immunodominants et subdominants. Il serait alors intéressant
de voir si les lymphocytes T CD8+ reconnaissant les épitopes subdominants sont aussi affectés
par l’absence de Dok-1 et Dok-2 dans la rate et les TG. En effet, la stimulation antigénique varie en terme de « force de signal » dépendamment des épitopes reconnus par le TCR. Il est alors probable que la hiérarchie dans la reconnaissance des épitopes soit perturbée en l’absence des protéines Dok (Corse et al., 2011). Il serait notamment intéressant d’évaluer si le ratio de 1:1, à savoir 50% des lymphocytes T CD8+ gB-spécifiques et non-gB-spécifiques est maintenu dans les
TG pendant la phase de la latence virale dans les souris DKO (Sheridan et al., 2009). On pourrait s’attendre à ce que l’amplitude de la réponse T CD8+ spécifique augmente pour un ou plusieurs
autres épitopes subdominants connus du VHS-1. En effet, une récente étude démontre que l’infection oculaire des souris C57BL/6 avec le VHS-1 qui ne contient pas l’épitope immunodominant (gB498-505) conduit à une infiltration similaire en terme de nombre de
lymphocytes T CD8+ dans les TG et le répertoire des épitopes reconnus habituellement par le
En effet, les auteurs observent une réponse compensatoire avec l’expansion des lymphocytes T CD8+ reconnaissant les épitopes subdominants (Treat et al., 2017). Néanmoins, on ne peut pas
exclure qu’en l’absence des protéines Dok le répertoire des TCR soit différent puisqu’il a été rapporté que la suppression de la séquence codante pour un peptide immunodominant peut conduire à l’apparition d’autres épitopes « cryptiques » (Holtappels et al., 2008; Stock et al., 2006).
1.1.3 Rôle des Dok dans les capacités effectrices des lymphocytes T CD8
+gB-
spécifiques
Les protéines Dok ne semblent pas affecter les fonctions effectrices des lymphocytes T CD8+ gB-spécifiques, car en l’absence des Dok ils conservent leurs capacités cytotoxiques et
leurs capacités à produire de l’IFN-γ, et du TNF-α. L’évaluation des fonctions effectrices a été effectuée à partir des splénocytes issus des souris DKO et WT à 8 jpi que nous avons stimulés
ex vivo avec le peptide gB498-505. Nos résultats diffèrent des études précédentes dans lesquelles,
suite à une infection par VV-ova, le pourcentage de cellules T CD8+ OT-I déficientes en Dok-1et
Dok-2 produisant du granzyme B à 4 et 7 jpi ou de l’IFN-γ et du TNF-α à 7 jpi était supérieure à celui des cellules T CD8+ OT-I WT (Laroche-Lefebvre et al., 2016). Cependant, l’augmentation
des capacités effectrices en l’absence de Dok-1 et Dok-2 dépend du jour post-infection où les rates sont récoltées et des cytokines évaluées. Par exemple, à 4 et 35 jpi, le pourcentage des cellules T CD8+ OT-I déficientes en Dok-1 et Dok-2 produisant de l’IFN-γ et du TNF-α est similaire
à celui des cellules T CD8+ OT-I WT I déficientes en Dok-1 et Dok-2 produisant seulement de
l’IFN-γ est similaire à celui des cellules T CD8+ OT-I WT (Laroche-Lefebvre et al., 2016). Aussi,
que ce soit à 4, 7 ou 35 jpi, le pourcentage des cellules T CD8+ OT-I déficientes en Dok-1 et Dok- 2 produisant seulement de l’IFN-γ est similaire à celui des cellules T CD8+ OT-I WT (Laroche- Lefebvre et al., 2016).De plus, la stimulation du TCR in vitro d’une population polyclonale de lymphocytes T CD4+ issus de souris déficientes en Dok-1 et Dok-2 produisent plus d’IL-2 et d’IFN-
γ comparativement aux lymphocytes T CD4+ provenant de souris WT (Yasuda et al., 2007). Nous
ne pouvons pas exclure dans notre étude que les capacités effectrices ont pu être altérées de manière transitoire avant 8 jpi et des expériences supplémentaires sont nécessaires pour évaluer l’impact des Dok sur les capacités effectrices au cours de l’infection par le VHS-1.
1.1.4 Redondance de fonction des protéines Dok
Nous avons aussi déterminé que la simple déficience en Dok-1 ou en Dok-2 ne diminue pas le nombre de lymphocytes T CD8+ gB-spécifiques dans la rate à 8 jpi (Annexe 2). Nos
résultats sont en accord avec des études précédentes qui montrent également une redondance de fonction pour Dok-1 et Dok-2. Par exemple, les souris simples knock-out ne développent pas de syndrome myéloprolifératif (Niki et al., 2004; Yasuda et al., 2004), ni de défaut dans la maturation des cellules NK en périphérie (Celis-Gutierrez et al., 2014) contrairement aux souris DKO. De plus, des lymphocytes T CD4+ issus de la rate de souris simples knock-out présentent
une prolifération et une production en IL-2 relativement similaire aux lymphocytes T CD4+ des
souris WT suite à la stimulation de leur TCR (Yasuda et al., 2007). À l’opposé, les lymphocytes T CD4+ issus de la rate de souris DKO présentent une augmentation plus marquée de la
prolifération et de la production en IL-2 comparativement aux lymphocytes T CD4+ des souris WT
et simples knock-out (Yasuda et al., 2007).