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3. Trois articles définitifs 1. Introduction

3.1.2. la Doctrine du droit

3.1. Introduction

3.1.1. présentation

Avec la deuxième section contenant les articles définitifs en vue de la paix perpétuelle entre les États, on rentre dans le corps théorique de l'essai.

Le paragraphe d'introduction de la deuxième section résume la philosophie politique de l'essai de 1793, Sur l'expression courante : il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rien. La thèse principale de Kant est hobbesienne : l'état de nature des hommes est un état de guerre. L'état de paix doit être institué. Ceci est valable sur le plan étatique et sur le plan interétatique. Et le postulat au fondement des trois articles est : "tous les hommes qui peuvent agir les uns sur les autres de manière réciproque doivent appartenir à une constitution civique quelconque"149.

Les trois articles définitifs :

1. "La constitution civique de chaque État doit être républicaine."

2. "Le droit des gens doit être fondé sur un fédéralisme d'États libres."

3. "Le droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l'hospitalité universelle."

correspondent aux trois sections du droit public tel qu'il sera défini dans la Doctrine du droit : le droit politique (ou droit civique, jus civitas), le droit des gens (jus gentium) et le droit cosmopolitique (jus cosmopoliticum), cette division étant nécessaire par rapport à l'idée de paix perpétuelle150.

3.1.2. la Doctrine du droit

149 Vers la paix perpétuelle - Esquisse philosophique, p. 83.

150 Si la fin de la note du paragraphe d'introduction de Vers la paix perpétuelle - Esquisse philosophique n'est pas des plus claires, ce principe, en revanche, l'est.

Revenons un moment sur la théorie du droit. Kant sépare droit privé et droit public et il écrit : "La division suprême du droit naturel ne peut être (comme il arrive parfois) celle du droit naturel et du droit social, mais celle du droit naturel et du droit civil; le premier de ces droits est appelé le droit privé et le second le droit public. En effet l'état de nature n'est pas opposé à l'état social, mais à l'état civil, car il peut y avoir une société à l'état de nature, mais non pas une société civile (garantissant le mien et le tien par des lois publiques), ce pourquoi le droit dans le premier état s'appelle le droit privé."151 Kant écrit encore : "On appelle état de nature…

l'état qui n'est pas juridique, c'est-à-dire celui en lequel il n'y a pas de justice distributive. Ce n'est pas l'état social… qui lui est opposé, mais l'état civil… d'une société qui est soumise à une justice distributive"152 (le principe de la justice distributive consistant "à juger de la légalité d'une possession, non selon ce qu'elle est en soi en relation à la volonté privée de chacun (dans l'état de nature), mais seulement selon ce qu'elle serait devant un tribunal dans un état constitué par une volonté universelle et unifiée (dans un état civil)"153.

Le droit privé traite essentiellement de la propriété, de l'acquisition,

"du tien et du mien en général"154. "La possibilité de cette acquisition, quel que puisse être l'état des hommes entre eux (même ainsi dans l'état de nature), est un principe du droit privé, qui autorise chacun à exercer la contrainte155 par laquelle seule il lui est possible de sortir de cet état de nature et d'entrer dans l'état civil qui est seul capable de rendre toute acquisition péremptoire."156 Donc le droit naturel (privée) se subsume sous le droit politique qui fonde et par là même justifie le droit naturel en le réalisant.

Et, comme le note A. Philonenko, "la contrainte n'est pas fondée sur la morale… la contrainte se révèle comme condition de possibilité de l'État."157 Autrement dit, la contrainte est la condition de réalisation de la

151 Doctrine du droit, p. 116, c'est nous qui soulignons.

152 Doctrine du droit, §41, p. 188, c'est nous qui soulignons.

153 Doctrine du droit, §39, p. 184.

154 sous-titre du droit privé, Doctrine du droit, p119.

155 c'est nous qui soulignons.

156 Doctrine du droit, §15, p. 141, c'est nous qui soulignons.

157 Philonenko A., Introduction de la Doctrine du droit, p. 45.

liberté. La contrainte extérieure, c'est la violence et la guerre, la contrainte intérieure c'est le devoir.

D'une part, tout ceci pose de nouveau la question de la légitimité de la violence, donc de la guerre158, mais aussi celle du passage de l'état de nature à l'état civil et du maintient de l'état civil, ces questions étant des horizons tout à fait essentiel d'une réflexion sur la paix perpétuelle.

D'autre part, "le droit est bien le produit du mécanisme de la nature, le moyen par lequel elle réalise sa fin, qui est le développement de toutes les dispositions naturelles de l'espèce humaine, la culture et la civilisation… Il apparaît comme l'expression nécessaire de la fin de la raison pratique et de la fin de la nature. En ce sens, il est le véritable schème médiateur des deux mondes"159 (celui de la nature et celui de la liberté). D'où le passage de la Doctrine du droit du statut d'un écrit d'application à celui de constitution d'un nouvel horizon de la pensée transcendantale160. C'est pourquoi le droit public kantien s'écarte du droit positif qu'il jugeait trop contingent et empirique pour s'appuyer sur lui.

Ce nouvel horizon de la pensée transcendantal nous renvoie au problème de la communication. Il y a trois formes de la communication chez Kant. La première est objective. Nous communiquons par la médiation de l'objet. La seconde s'effectue par la liberté, c'est-à-dire dans l'universalisation de ma maxime et le secret de la bonne intention. La troisième est celle par laquelle l'homme rencontre directement l'homme sans concept par et dans le jugement de goût. C'est le problème de l'intersubjectivité humaine : c'est dans l'incompréhensible (le sans concept) que s'accomplit la compréhension d'un homme par un autre161. Le droit, et la contrainte, comme horizons transcendantaux, posent la question de la communication et de l'intersubjectivité. J. G. Fichte dira le système kantien n'est pas achevé parce qu'en fait la notion de communication, essentielle dans sa conception du droit, n'est pas vraiment saisie162.

158 Cf., ici, Première partie, 3.2 et 3.3 : sublimité et justification de la guerre.

159 Hassner P., Situation de la philosophie politique chez Kant, p. 99.

160 Philonenko A., L'œuvre de Kant, tome second, p14.

161 Philonenko A., L'œuvre de Kant, tome second, pp. 191-192.

162 Philonenko A., L'œuvre de Kant, tome second, p. 191.