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Diversité des influences des signaux visuels et extra-visuels sur la poursuite oculaire

2.3 Une combinaison de signaux

2.3.1 Diversité des influences des signaux visuels et extra-visuels sur la poursuite oculaire

Un mouvement volontaire de poursuite oculaire résulte d’une intégration

sensorimotrice réalisée au travers d’un certain nombre d’étapes. Il faut détecter le mouvement d’une cible et focaliser son attention sur cette cible, la ségréger du fond statique sur lequel la cible bouge, évaluer sa direction et sa vitesse afin de programmer une commande motrice. L’ensemble de ces mécanismes résultent d’une contribution dynamique de signaux rétiniens et extra-rétiniens. Selon les propriétés visuelles du stimulus, et des propriétés spatio-temporelles du contexte visuel, le poids de ces informations est variable et influence les différentes étapes conduisant à la génération de poursuite oculaire.

i. Mécanismes de sélection

Le mécanisme de sélection d’une cible en mouvement, est un élément déterminant du système de poursuite. On sait que l’attention permet de poursuivre perceptivement plusieurs objets en mouvement dont les directions diffèrent, résultant d’une capacité de sélection de plusieurs informations de mouvements en même temps (Cavanagh & Alvarez, 2005). Dans le cas de la poursuite oculaire, un seul signal de mouvement peut être sélectionné, la problématique est de comprendre quels sont les signaux qui vont conduire à la sélection d’un signal de mouvement, plutôt qu’un autre dans ce type de contexte ? Lisberger & Ferrera (1997) ont utilisé un protocole mettant en compétition deux cibles se déplaçant à des vitesses et des directions différentes, sans que le sujet ne bénéficie d’une quelconque information visant à diriger son attention sur l’une des cibles. Ils ont observé que la réponse de poursuite à ces stimuli montrait l’intégration d’un vecteur reflétant la contribution moyenne de ces deux signaux de mouvement. La question de l’intégration spatiale de l’information de mouvement a également été étudiée à l’aide d’un stimulus impliquant plusieurs cibles (« random-dot kinematogram », RDK) dont la taille, la densité et la cohérence du mouvement de ces éléments peuvent être variées. Pour un RDK dont les éléments possèdent le même signal de mouvement, les résultats montrent que plus la surface du RDK est grande, plus la réponse de poursuite, au vecteur moyen des signaux de mouvements est forte (Heinen & Watamaniuk, 1998). En dérivant différent types de RDK, impliquant des variations de vitesses et de directions, Schütz et al., (2010), ont montré que le système

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de poursuite était capable de répondre dans toutes les directions de mouvements, mais pas pour certaines vitesses.

De plus, des recherches ont démontré que le processus de sélection peut être modulé par des propriétés spécifiques du stimulus comme la couleur et le contraste (Spering et al., 2008) et par des caractéristiques attentionnelles, guidées par l’utilisation d’indices visant à informer la cible à poursuivre en fonction de sa couleur ou de sa trajectoire (Garbutt & Lisberger, 2006).

ii. Un processus de suppression

Dans le cas où la tête et le regard sont fixes, la perception d’un contexte visuel se déplaçant rapidement dans une direction provoque un réflexe opto-cinétique dans la même direction, qui survient pour compenser le mouvement global de l’image (Cohen et al., 1977). Ce contexte survient également lorsque les yeux poursuivent une cible sur un fond visuel statique texturé. Afin de réaliser une poursuite précise le système doit faire en sorte d’abolir la génération de ce réflexe. Il a été démontré que le mouvement soudain d’un fond texturé dans n’importe quelle autre direction que celle du glissement rétinien de l’image du fond provoquait de large modulation de la vitesse de poursuite oculaire, suggérant une suppression du réflexe spécifique à la direction (Lindner et al., 2001 ; Schwarz & Ilg, 1999). Pour tester l’hypothèse que le seul signal rétinien ne suffisait pas à rendre compte ce mécanisme, Lindner & Ilg (2006) ont étudié l’influence de procédure mettant en jeu des informations extra-rétiniennes dans la suppression du réflexe opto-cinétique. Dans une première expérience, ils ont étudiés l’effet d’un mouvement opposé du fond visuel avant que la cible se mette à bouger et que le mouvement de poursuite oculaire soit initié, résultant d’une absence de mouvement rétinien induit. Dans une autre expérience ils ont étudié l’effet d’un mouvement opposé du contexte texturé simultanément à la disparition brève de la cible, ne créant aucun mouvement relatif entre la cible et le fond visuel. Dans les deux études, ils n’ont observé aucune modulation de vitesse liée à l’apparition d’un réflexe opto-cinétique, suggérant la contribution d’informations extra-rétinienne dans ce mécanisme de suppression.

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iii. Un processus de ségrégation

De manière plus générale, la poursuite oculaire implique un deuxième mécanisme, qui consiste à ségréger le signal de mouvement de l’image rétinienne du contexte en faveur de celui du mouvement de la cible. Afin de réaliser cette ségrégation, le système doit inhiber la réponse au mouvement provoquée par le glissement rétinien. Lindner et Ilg (2001), ont démontré que la vitesse de poursuite était modulée uniquement par un mouvement du fond en phase avec celui de la poursuite, tandis que d’autres directions du fond (opposée, vers le haut, et vers le bas) n’impliquaient pas de modulation, suggérant une sensibilité au mouvement global différente pendant la poursuite. Schwartz et Lisberger (1994), ont montré l’effet d’un changement bref dans le mouvement de la cible à l’initiation de la poursuite en comparaison à un mouvement appliqué au fond visuel pendant une tâche de fixation. La perturbation appliquée pendant la tâche de poursuite provoquait une modulation forte de la réponse oculaire tandis que la perturbation appliquée au fond ne provoquait qu’une petite réponse oculaire pendant la tâche de fixation. Ces résultats suggèrent que la sensibilité au mouvement global et local du système de poursuite change pendant son exécution. Cette dynamique permet un mécanisme de ségrégation dynamique, et de suppression lorsque le mouvement global est opposé à celui de la poursuite en cours. Cependant, de nombreuses études ont démontré clairement que ce processus de ségrégation pouvait être mis à mal en fonction du contexte visuel (Spering & Gegenfurtner, 2007 ; Niemann & Hoffman, 1997 ; Masson et al., 1995 ; Kimmig et al., 1992, Figure 2.4). Dans le cas d’une poursuite sur un fond texturé statique, plusieurs auteurs ont observé que ce contexte dégrade les deux phases de la poursuite, initiation et maintenance.

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Figure 2.4 Deux exemples de stimuli et procédures. A. Stimuli utilisés par Niemann & Hoffman (1997). Deux fonds texturés dont l'amplitude spatiale a été variée (0.5°/20°).Flèches noires indiquent le mouvement de la cible, flèches grises les mouvements du fond. B.Stimuli et procédure « step-ramp » utilisée par Spering & Gegenfurtner (2007).

Lors de la phase d’initiation, les résultats établissent une réduction de l’accélération initiale et de la vitesse qui varie de 9% à 60% en comparaison à une poursuite faite sur un fond homogène (Keller & Kahn, 1986 ; Kimmig et al., 1992 ; Masson et al., 1995). Lors de la phase de maintenance, les résultats montrent une réduction de 5 à 20% de la vitesse de l’œil (Collewijn & Tamminga, 1984 ; Keller & Kahn, 1986 ; Kimmig et al., 1992 ; Niemann & Hofmman, 1997). Dans le cas où ce contexte visuel bouge dans la même direction que celle de l’objet suivi, les résultats montrent une influence positive de ce type de contexte, pour les deux phases. On constate une augmentation de la vitesse initiale de l’œil pouvant aller jusqu’à 38% (Masson et al., 1995) et une augmentation de 14 à 28% de la vitesse oculaire pendant la phase de maintenance (Spering & Gegenfurtner, 2007; Masson et al., 1995 ; Niemann & Hoffman, 1997).

Si la distinction des effets sur la poursuite est claire concernant l’effet d’un fond statique texturé et d’un fond en mouvement dans la même direction que celle de la poursuite, les résultats sont plus contradictoires pour d’autres configurations. Lorsque le fond visuel bouge dans une direction opposée à celle de la poursuite, les résultats montrent une augmentation de l’accélération (Niemann & Hoffman, 1997), mais aussi une diminution de la vitesse initiale (Masson et al., 1995). Pour la phase de maintenance une augmentation dans la vitesse de poursuite a été observée dans l’étude de Spering et Gegenfurtner (2007), alors que Masson et al., (1995) et Niemann et Hoffman (1997) ont observé une diminution de la vitesse oculaire d’environ 12% par rapport à la vitesse d’une poursuite sur fond homogène. Cette inconstance dans les résultats observés

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peut être expliquée par des différences méthodologiques dans les procédures utilisées (Born et al., 2000), notamment chez Masson et al. (1995) qui ont utilisé une procédure « ramp », positionnant la cible dès le début au centre de l’œil, alors que Niemann et Hoffman (1997) ont utilisé une procédure « step-ramp », dans laquelle la cible apparait en périphérie. Ces influences méthodologiques semblent cohérentes au regard des observations de Lisberger & Westbrook (1985) qui indiquent que la poursuite à l’initiation est sensible à la position initiale de la cible.

iv. La nature du stimulus visuel de la poursuite oculaire

La majorité des tâches portant sur la poursuite oculaire utilise la poursuite d’une cible qui produit une information rétinienne lorsqu’elle se met à bouger. Cependant l’acception générale qui consiste à dire que nous poursuivons le stimulus rétinien, a été complétée par un certain nombres d’études, qui ont mis en évidence notre capacité à poursuivre un mouvement perçu plutôt que lié au mouvement rétinien (Steinbach, 1976 ; Wyatt & Pola, 1979 ; Behrens & Grisser, 1979 ; Wyatt et al.,1994; Madelain & Krauzlis, 2003b). Steinbach (1969) a montré la capacité des sujets à poursuivre le centre invisible d’une roue se déplaçant horizontalement, stimulus qui n’induit aucun stimulus rétinien, mais qui sous-tend le mécanisme de sélection par le vecteur moyen des signaux de mouvement présent dans l’environnement. Les résultats obtenus avec de tels stimuli, qui produisent un mouvement apparent, ont démontré que si les paramètres spatiaux et temporels utilisés pour générer ce mouvement étaient ajustés correctement, la réponse de poursuite était identique à celle générée en réponse à un mouvement réel (Krauzlis & Madelain, 2003b ; Lamontagne et al., 2002). Ce lien entre la perception du mouvement, et la poursuite oculaire a été confirmé en étudiant la réponse de poursuite à des modulations du signal de mouvement perçu, alors que le mouvement physique d’un objet était maintenu constant. Les résultats indiquent que la poursuite peut être modulée par les changements liés au mouvement perçu (Stone, Beutter & Lorenceau, 1996, 2000).

Si la poursuite est modulée par la perception du mouvement, l’inverse est également vrai Madelain & Krauzlis (2003b) ont montré que la perception d’un changement de direction était plus rapide lorsqu’elle engageait un mouvement de poursuite que lorsque le changement était déterminé visuellement. Schütz et al., (2008) ont constaté une amélioration généralisée des seuils de détections à des informations de couleurs, ou de luminance pendant la poursuite, en comparaison à une tâche de fixation.

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Les signaux visuels pris en compte par le mouvement de poursuite conduisent à des modulations différentes, selon leurs propriétés visuelles et la phase à laquelle ils sont visibles. Néanmoins la contribution du signal visuel seul, n’est pas suffisante pour permettre au système de s’adapter de manière rapide et adéquate.