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B. Propriétés mécaniques des tissus calcifiés

I. Viscoélasticité des tissus osseux

I.3. Diverses contributions à la viscoélasticité

I.3.1. Interfaces

Dans la matière osseuse existent des zones "liantes" entre les différents niveaux structuraux à l'échelle micrométrique. Ces zones sont désignées sous le terme "interfaces" par Garner et al. [Garner 2000]. Il s'agit entre autres des lignes cémententes se situant à la périphérie de chaque ostéon mature, des zones liant les lamelles de collagène au sein même des ostéons ou encore l’interface développée entre les phases organique et inorganique. Les lignes cémententes forment une liaison de 1 à 5 µm d’épaisseur à la périphérie des ostéons, entre ces derniers et la matrice osseuse interstitielle dans l’os compact humain mature. Il s’agit d’une fine couche de protéines polysaccharidiques contenant une concentration en soufre élevée et ayant un taux de minéralisation plus faible que la matrice osseuse lamellaire. La nature des cristaux qu’elle contient pourrait être du carbonate de calcium compte tenu du rapport Ca/P proche de 1.84 [Burr 1988, Lakes 2001]. Certains auteurs avancent que ces lignes sont "accommodantes" ou bien qu'elles possèdent un caractère visqueux marqué [Lakes 1979a, Lakes 1979c, Katz 1980]. En torsion dynamique, il leur a été attribué l'augmentation partielle du facteur de pertes à faible fréquence lorsque celle-ci diminue [Lakes 2001]. En effet, sous l’effet d’une torsion prolongée (à faible fréquence), Lakes et al. avaient observé un déplacement microscopique des lignes

ostéons micro échantillons macro échantillons os entier loi de Cosserat loi classique

cémententes dans de l’os humain Haversien [Lakes 1979a]. Zener et Kê [Zener 1941, Kê 1947] avaient déjà mis en évidence ce phénomène dans des métaux polycristallins soumis à un essai de relaxation : 40 % de la contrainte initiale avait été retrouvée parallèlement à un glissement des grains les uns par rapport aux autres au niveau des joints de grain. Lakes explique que les lignes cémententes sont de première importance pour comprendre la relation entre les ostéons et l’os dans sa globalité et donc les différences de propriétés mécaniques aux différentes échelles [Lakes 1995].

Tischendorf avait remarqué des mouvements au niveau des interphases liant des lamelles osseuses sur des échantillons sollicités en flexion [Tischendorf 1951]. Ils étaient d’autant plus importants que la contrainte appliquée était élevée. Plus tard, Jepsen et al. ont montré que les interfaces entre les lamelles jouent un rôle majeur sur l’aptitude de l’os à être sollicité en torsion [Jepsen 1999]. Elles concentreraient et conserveraient de façon isolée toutes les microfissures produites lors de déformations importantes, comme l’ont montré Mohsin et al. au niveau des lignes cémententes qui isolent les ostéons matures des fissures [Mohsin 2006]. Elles éviteraient la coalescence de ces défauts pour retarder la formation inévitable d’une fracture fatale.

Le couplage entre les différentes unités constitutives ou entre phases d’un même matériau peuvent induire sous l'effet d'un champ de contrainte cyclique des pertes thermoélastiques [Lakes 1979c, Lakes 1979d, Lakes 2001]. Ainsi, le couplage entre ostéons pourrait contribuer aux pertes mécaniques des tissus osseux dans la région de fréquence 0,01/10 Hz [Lakes 1979a]. Celui entre le collagène et les nanoparticules d’HAp n’apparaîtrait que largement au- delà des fréquences physiologiques, vers 1012 Hz selon Lakes et al. [Lakes 1979c]. Il a ensuite été proposé que les liaisons existantes entre ces deux phases puissent néanmoins jouer un rôle important sur les propriétés dissipatives des tissus calcifiés [Wang 2005]. Kotha et al. ont montré comment pouvait évoluer le module d’élasticité de l’os en fonction de la qualité de l’interphase entre le collagène et les nanocristaux d’apatite [Kotha 2000]. Comme le prévoit la théorie classique de renforcement des matières plastiques par des charges, la qualité de l’interface (surface développée, interactions physicochimiques) entre le collagène et l’apatite joue un rôle primordial sur les propriétés mécaniques de l’os. Ceci a été démontré en mesurant la cinétique relaxationnelle d’échantillons d’os cortical bovin en diminuant progressivement leur taux de minéral osseux [Sasaki 1993b].

I.3.2. Collagène

Sasaki et al. ont montré que l'os frais et déminéralisé présente une évolution similaire des pertes mécaniques en torsion et en flexion, en mode de relaxation de contrainte [Sasaki 1993a]. Compte tenu du caractère purement élastique des nanocristaux d’apatite, la phase organique est considérée comme étant la seule responsable des propriétés visqueuses de l’os lié à des phénomènes de relaxation moléculaire [Thompson 2001, Schaller 2004].

I.3.3. Eau

Sur des échantillons d'os cortical contenant plusieurs ostéons, le passage de l'état déshydraté à l'état hydraté diminue d'un ordre de grandeur la limite d'élasticité [Frasca 1981]. Ce phénomène est à rapprocher d’une augmentation des pertes mécaniques et d’une diminution des propriétés élastiques dans les tissus calcifiés avec l’hydratation [Yamashita 2001, Yamashita 2002, Schaller 2004, Garner 2000, Frasca 1981, Turner 1993]. Plus l’échantillon testé a des dimensions importantes, plus le nombre d’ostéons est élevé et plus la surface développée par les lignes cémententes est grande. De plus, compte tenu de la composition des lignes cémententes (molécules polysacharidiques) et de la matrice

interostéonique, Burr et al. proposent qu’elles puissent jouer un rôle de réservoir d’eau [Burr 1988]. Cette eau pourrait alors contribuer aux pertes mécaniques de l’os ce qui expliquerait l’évolution des propriétés mécaniques de l’os cortical bovin étudié par Frasca en 1981.

L’évolution de la teneur en eau d’échantillons d’os bovin conditionnés sous humidité relative croissante à 25°C peut être décrite par l’équation de Langmuir, indiquant que les molécules d’eau s’adsorbent en formant une monocouche dans l’os [Sasaki 1995]. Ainsi, contrairement au collagène du tendon qui absorbe l’eau en multi-couches [Nomura 1977, Pineri 1979], l’eau aurait peu d’effet sur le réarrangement du collagène osseux du fait des contraintes stériques imposées par les particules minérales. Cette interprétation a été contredite par des résultats plus récents selon lesquels l’eau peut être considérée comme un agent plastifiant de la mobilité moléculaire du collagène dans l’os cortical [Schaller 2004]. L’énergie d’activation des mouvements de segments de chaînes du collagène passerait de 130 à 90 kJ/mol de l’état déshydraté à l’état hydraté, traduisant une cinétique relaxationnelle beaucoup plus élevée en présence de molécules d’eau.

Sur la base de la théorie de Biot [Biot 1941], le rôle du flux de l'eau au sein des canaux de Havers ou de Volkman et des canalicules a été considéré par Garner et al. comme la possible origine de l'augmentation du facteur de pertes de l'os cortical tibial aux fréquences supérieures à 10 Hz [Garner 2000]. Les modèles basés sur la poroélasticité montrent qu'un pic de relaxation associé à l'eau « circulante » apparaîtrait au delà de 1MHz dans les canaux de Havers donc en dehors de la gamme de fréquence explorée [Garner 2000, Buechner 2001]. Lakes a évalué ces phénomènes de relaxation à des fréquences encore plus élevées [Lakes 1979c]. Compte tenu de l’évolution similaire des pertes mécaniques à l’état hydraté et sec des échantillons utilisés par Garner et al., l’eau ne peut être à l’origine de l’augmentation en tan δ au delà de 10Hz (Figure I.14). Ils émettent l’hypothèse selon laquelle ce seraient les lignes cémententes qui pourraient en être à l’origine, alors que Lakes suppose qu’il s’agit de phénomènes de relaxation associés à des segments de chaînes de collagène [Lakes 2001]. A l’heure actuelle, les phénomènes à l’origine des pertes mécaniques à haute fréquence demeurent mal connus.

I.3.4. Piézoélectricité

La conversion de l’énergie mécanique en énergie électrique par le biais des propriétés piézoélectriques de l'os a également été proposée comme éventuel phénomène de pertes mécaniques par Lakes et al. en 1979 [Lakes 1979b, Lakes 1979c, Lakes 1979d]. Cette énergie électrique serait ensuite dissipée par pertes diélectriques ou éliminée par la conductivité du milieu. Bien qu’elle puisse être significative dans certaines céramiques piézoélectriques, cette contribution a été jugée négligeable dans les tissus calcifiés.