• Aucun résultat trouvé

1 LE TERRITOIRE ET LE POUVOIR

1.3 P OUVOIRS DECONCENTRES , DECENTRALISES ET COUTUMIERS EN G UINEE

1.3.2 Le district

1.3.2.1 Le bureau de district

Le district est la plus petite unité considérée par la Loi Fondamentale. Si les districts ruraux ont remplacé les Pouvoirs Révolutionnaires Locaux dès le 3 avril 1984, leur prise en

compte par la Loi Fondamentale date du référendum de 2001 précédemment évoqué. Avec la victoire du oui, les districts et leurs équivalents urbains, les quartiers, ont été intégrés à la Loi Fondamentale. Jusqu’à fin 2005 où entrent en vigueur les nouvelles modalités électorales des élections du Conseil communautaire, le bureau du district était véritablement à la croisée de la déconcentration et de la décentralisation du pouvoir : de la décentralisation car deux membres du bureau siégeaient au Conseil communautaire (à l’échelle de la CRD) et de la déconcentration car le bureau de district est le prolongement de la Sous-préfecture au niveau du district. A partir des élections de 2005, bien qu’il continue de représenter les intérêts de son district, le Conseil de district n’est plus représenté au sein du Conseil communautaire et a ainsi perdu une partie de son rôle dans la décentralisation.

Le bureau ou Conseil du district est normalement élu par la population. Toutefois, l’article L101, titre II, du code électoral reste flou quant aux modalités de ces élections : « Un acte du Ministre chargé de l’Intérieur fixe les modalités d’élection des Conseils de District et de Quartier [l’équivalent du district dans les villes] et le nombre de conseillers ». Il est intéressant de noter que les élections du Conseil communautaire de décembre 2005 précèdent celles des Conseils de district afin de les dissocier dans l’esprit des électeurs et de marquer le changement intervenu dans les modalités électorales avec les élections du 18 décembre. Ce flou du code a été à l’origine de maints rumeurs. Il a ainsi été entendu à plusieurs reprises que dorénavant les présidents de district seraient nommés. Cette assertion semble irréalisable et a été fermement démenti par le secrétaire général du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD). C’est pourquoi le code électoral devrait certainement être amendé prochainement afin d’éviter des dérives, les modalités des élections des Conseils de districts étant les seules à ne pas y être clairement décrites.

Jusqu’à ce jour, le Conseil de district est élu par la population. La procédure consiste généralement à élire le président de district qui constitue ensuite son Conseil. Toutefois, nous n’avons pas rencontré de président de district réellement élu. Dans la majorité des cas, il est nommé par les anciens et plus précisément par le Conseil des Sages. Nous examinerons ce pôle plus en détail en 1.3.2.3. De la même façon, ce même organe peut dissoudre un Conseil de district s’il le juge incompétent (ce processus intervient souvent de façon détournée comme nous le verrons plus en avant). Il peut arriver qu’une telle décision soit motivée par des revendications de la population. Toutefois, il est possible qu’un président de district propose directement sa candidature au sous-préfet qui peut décider que ses capacités légitiment sa nomination. Nous avons pu observer ce procédé dans un district dont le secteur central était le

siège de vives rivalités qui seront le sujet de la deuxième partie de cette thèse. Le Conseil des Sages avait alors été contourné par l’actuel président de district, en conflit avec le président des Sages, qui s’était adressé directement au sous-préfet afin de s’assurer la fonction. De même, certains présidents de district peuvent être destitués ou institués par le sous-préfet. Ainsi, fin juin 2004, un remaniement conséquent des présidents de district a eu lieu dans la Sous-préfecture de Mankountan : quatre présidents de district ont été évincés par le sous- préfet pour ne pas s’être présentés lors de la visite du préfet dans la Sous-préfecture. Il s’agissait pour le préfet de venir collecter les impôts revenant au trésor. Finalement, le sous- préfet a désigné les remplaçants des présidents de district sortant, parfois après consultation des Comités des Sages. Un cas reste singulier : il s’agit du président du district de Mankountan Centre. Déjà président de ce district en 2003, il avait été destitué par le sous- préfet suite au mécontentement de la population pour des histoires de malversations (deux millions de francs guinéens pour la mosquée avaient disparu). Il semble avoir été mis à l’écart pendant un an pour calmer les esprits et avoir été réintégré à la première occasion : nous constatons donc que le sous-préfet jouit d’un pouvoir certain dans la nomination de certains pôles de pouvoir même si la constitution ne le lui accorde pas nommément. Il est alors directement en concurrence, s’il ne les consulte pas, avec les autorités coutumières. Nous retrouvons, à l’échelle des districts, des cas où le pouvoir déconcentré s’immisce dans la constitution d’organes qui devraient légalement être élus.

Comme le stipule l’ordonnance 093/PRG/85 du 17 avril 1985, le Conseil de district est normalement formé par un vice-président, un secrétaire à l’économie et aux finances, un secrétaire au développement rural, un secrétaire à l’aménagement rural, un secrétaire à la santé et à l’action rurale, un secrétaire à la santé et à l’action sociale, un secrétaire à la jeunesse, à la culture et aux sports, un secrétaire à la sécurité et un secrétaire aux communications. Les postes sont plus souvent des titres que des fonctions. En effet, il n’est pas rare d’interroger un membre du bureau sur sa fonction et devoir attendre qu’il consulte son entourage pour obtenir une réponse. Il apparaît que le Conseil de district intervient en tant qu’entité indivisible pour les actions menées à l’intérieur du district, le président et son vice- président étant chargés de la représentation à l’extérieur. De plus, si la liste des membres indiquée par l’état peut être respectée, il n’est pas rare de voir les chefs secteurs et leurs adjoints siéger au Conseil de district, sur invitation du président de district pour toucher les autres secteurs du district, les secrétaires étant souvent des habitants du secteur central. Ils sont alors considérés comme faisant pleinement partie du bureau. En effet, il semble plus

représentatif de les incorporer dans le Conseil de district mais nous nous heurtons ici à une limite du texte puisque la Loi Fondamentale ne reconnaît pas les secteurs. Nous nous intéresserons donc au Conseil de district tel que nous l’avons observé plutôt que tel qu’il est décrit dans les ordonnances et les nombreux rapports sur la décentralisation.

1.3.2.2 Une légitimité socio-historique

Dans l’ordonnance 093/PRG/85 du 17 avril 1985 qui décrit les principes de constitution d’un district, on retrouve quatre critères : « le contexte géographique et notamment la topographie des lieux et le réseau des voies de communication ; le contexte économique et notamment la répartition des ressources naturelles et des activités de production ; le contexte historique et culturel ; le nombre d’habitants et la distance maximale au chef-lieu du district ». Il est intéressant de noter, en premier lieu, que l’argument historique et culturel est inscrit dans l’ordonnance et, surtout, qu’il prévaut sur les autres principes. En effet, les deux premiers critères évoqués par l’ordonnance restent assez flous et difficilement utilisables ; le dernier n’est pas toujours respecté puisque les chiffres avancés dans l’ordonnance (un minimum de mille habitants pour peupler un district ; tous les villages d’un district doivent être distants de moins de dix kilomètres) ne sont pas observés pour de nombreux districts étudiés.

Chaque district a un secteur central qui a donné son nom au district. C’est en général le lignage fondateur (c’est-à-dire celui des premiers arrivants3) de ce secteur qui est le fondateur du district ; en d’autres termes, ce lignage a distribué les terres du district aux étrangers demandeurs. Ces nouveaux villages ont ensuite constitué des secteurs qui ont pris le nom des villages les plus importants du district. S’il existe des cas particuliers, le district représente, le plus souvent, une véritable unité territoriale basée sur l’histoire d’un territoire et donc très proche du pouvoir coutumier. Il a parfois été nécessaire de rattacher à un district des secteurs qui ne rentrent pas dans ce modèle afin de garder une cohérence de proportion sur toute la Sous-préfecture. Nous allons maintenant montrer comment s’applique ce principe, dans ses grandes lignes, aux districts étudiés.

Bigori, le secteur central du district de ce nom, est le village le plus ancien du district. Le village de Taböl a été fondé par des migrants originaires de Bigori, tout comme Kaléyiré, Mar’ame, Mamblawane, Yollosi, Kissombo et Kassali (même si, pour ces deux derniers, les

fondateurs sont aujourd’hui partis : les villages sont actuellement occupés par des Soussou). Tous ces villages sont intégrés dans deux secteurs formant avec Bigori Centre les trois secteurs du district de Bigori. Bigori est plus qu’un secteur central dans le sens administratif du terme. Il est véritablement le centre névralgique du district car de nombreux liens de famille existent entre tous les villages et, surtout, la majorité des aînés de lignage y réside.

Si pour Bigori, cet éclatement des lignages dans le district est dû à des conflits (nous développerons cet aspect plus loin), il en est tout autrement à Brika. En effet, ce sont les aînés du lignage fondateur de Brika, les Soumah Falouwariya, des Soussou, qui ont dépêché des membres de leur lignage ou de lignages étrangers (et donc sous leur tutelle) sur une partie du territoire de l’actuel district pour en occuper l’espace et empêcher, ainsi, l’expansion des Baga attirés par la collecte du vin de palme et des régimes des palmiers à huile. Ce territoire correspond aux actuelles limites du secteur de Hamisiniya et a donc été fondé par des lignages sous la tutelle des Soumah Falouwariya. Lougamet a également été fondé par des membres de ce lignage revenus sur leurs traces (ils étaient passés par cette zone avant d’arriver à Brika). On comprend donc qu’il existe une forme d’allégeance de la plus grande partie du district envers le secteur central et, plus précisément, envers son lignage fondateur. Ce principe d’allégeance se fonde sur tous les codes de dépendance d’un lignage étranger envers son lignage tuteur que nous décrirons par la suite et a donc de grandes implications sur le foncier. Le village de Madina, quant à lui, a été rattaché à ce district afin de lui donner une taille cohérente ; si l’on s’était basé exclusivement sur des facteurs socio-historiques, il aurait dû faire partie du district de Khatata (il en dépendait avant une modification des limites administratives).

A Dobaly, on peut observer un secteur central, Dobaly Centre, avec un lignage fondateur, les Kéita Kasconta, qui affirment jouir d’un droit éminent sur toutes les terres du district. Ils ont ainsi reçu les Camara Karâbé de Bel-Bel, les Camara Katchaössi de Boniya et les Camara Katanköm de Bitonko qu’ils ont installés à ces places pour leur servir de bouclier pendant les guerres tribales. Tous ces secteurs sont ainsi peuplés d’étrangers qui dépendent du lignage fondateur de Dobaly, les Kéita Kasconta. Les autres secteurs ont été peuplés ultérieurement mais les lignages en place dépendent également du lignage fondateur du secteur central même s’ils ont été reçus par des étrangers des Kéita Kasconta. Ainsi, à Difiaré, à Kawess-wess et à Kakourounti, les Traoré étaient des étrangers des Camara Karâbé mais ils ont disparu par extinction de leur descendance et leur lignage a été supplanté par les Camara Katömble qui sont des étrangers directs des Kéita Kasconta. A Kasbès, les habitants ont

acquis leurs terres grâce aux Camara Karâbé. Tous ces secteurs sont ainsi peuplés de lignages qui, directement ou non, dépendent des Kéita Kasconta. Ces lignages ont continué à recevoir d’autres lignages d’étrangers. Il existe donc une véritable cohérence des limites du district au niveau historique.

A Madiya, les origines historiques de la formation du district sont moins évidentes. Elles réunissent principalement les secteurs de Tombadondo, Bocariyonya et Missira qui dépendaient d’un village ayant donné son nom à un district limitrophe de celui de Madiya. Ces trois villages avaient été fondés pour protéger des frontières. Par la suite, de nombreuses affinités entre les lignages fondateurs et des alliances matrimoniales les ont rapprochés de Madiya. Il en est de même pour Darsalam, fondé par des habitants de Songoron qui se sont progressivement alliés à Madiya (plus précisément aux Koumbassa). Si le district de Madiya ne recherche pas sa cohérence dans l’histoire de la fondation de ses différents secteurs, cette dernière s’impose par les nombreuses alliances tissées tout au long de son histoire.

A Kambilam, le secteur central est le lieu de résidence des Camara Kontwaré. S’ils ne sont pas le véritable lignage fondateur, ils sont considérés comme tels du fait que le premier arrivant, Gnalé Sané, originaire d’un secteur de Boké, Kaïraba, est reparti vers son village d’origine en leur confiant son territoire (Simö Camara, le patriarche des Camara Kontwaré était le frère de l’épouse de Gnalé Sané). Les Camara Kontwaré ont laissé les Biaye, fondateurs de Bissité, s’installer sur leur territoire. Les Biaye ont ensuite reçu de nombreux étrangers qui ont peuplé ce secteur du district de Kambilam. C’est un autre lignage de Kambilam, les Diassy, qui ont permis aux Peulh de s’installer à Mantchi-Madantchi. Les Diassy, les Banoro et les Camara Kontawaré, résident tous à Kambilam Centre ; ils peuvent pratiquement tous être considérés comme des lignages fondateurs car ils étaient tous des étrangers directs de Gnalé Sané, ce qui confère une particularité à ce secteur. Quoi qu’il en soit, les trois secteurs, Kambilam Centre, Bissité et Mantci-Madantchi, partagent la même histoire et constituent une entité cohérente par les rapports sociaux qui les unissent. Le district de Kambilam comprend un quatrième secteur, Kaolon, qui ne puise pas ses origines historiques dans le secteur central. Ce secteur semble avoir été intégré dans le district pour lui assurer une homogénéité de dimension dans les limites administratives de la Sous-préfecture de Kanfarandé.

La cohérence du district n’est pas toujours évidente. Ainsi, le district central de Kanfarandé, où est implantée la Sous-préfecture, regroupe non seulement les secteurs

limitrophes de Kanfarandé mais également l’île composée de trois de nos secteurs d’étude : Kankouf, Kanof et Tesken. Il n’y a pas véritablement de liens historiques directs entre Kanfarandé et ces trois secteurs, même si le fondateur de Kankouf y est passé. Aujourd’hui encore, les rapports sont limités à cause de l’enclavement relatif de l’île avec ses trois secteurs. Nous ne pouvons donc pas observer le même type de cohérence entre le secteur central – qui est la Sous-préfecture – et les secteurs qui nous intéressent. Toutefois, il existe des alliances matrimoniales, bien que limitées, entre les secteurs de Kanof et Kankouf, peuplés tous deux de Nalou. Tesken, peuplé de Baga, n’entretient aucune relation avec ces deux secteurs. Seuls les Ballante résidant à Tesken ont des contacts avec les habitants de Kankouf qui les emloient pour l’aménagement de digues.

Dans la majorité des cas, le district représente donc un regroupement cohérent de secteurs ou de la majorité de son territoire. Il est alors plus qu’une unité administrative et apparaît, très souvent, comme une entité ayant des fondements historiques et culturels. Ceci permet de légitimer et de renforcer l’assise administrative établie par la Loi Fondamentale qui délimite les circonscriptions territoriales (Article 88, titre X, sus mentionné). Il est clair que le droit légal ne se dissocie jamais complètement du droit traditionnel même pour la constitution de ces circonscriptions territoriales. Cette cohérence dans la constitution d’une unité territoriale reconnue par la loi renforce clairement l’emprise territoriale du pouvoir coutumier.

1.3.2.3 Le Conseil des Sages du district

Le Conseil des Sages du district est une institution reconnue par l’Etat (par l’ordonnance 093/PRG/85 du 17 avril 1985). Le Conseil des Sages est donc un pouvoir traditionnel institutionnalisé. Toutefois, il n’y est pas fait référence dans la Loi Fondamentale. L’ordonnance stipule que les membres du Conseil des Sages sont désignés par la population pour une durée indéterminée. Elle établit également que « leurs attributions sont celles exercées habituellement par les anciens du village » ; d’où une véritable reconnaissance du pouvoir traditionnel. Quatre tâches lui sont dévolues : l’organisation des fêtes et des cérémonies religieuses, la résolution des conflits au sein des familles et entre les familles, la répartition des terres de la communauté et la préservation des traditions locales auprès de la jeunesse. Toutes ces fonctions ne peuvent être assumées par le Conseil des Sages : l’organisation des fêtes et cérémonies religieuses dépendent plutôt des aînés de lignage ou du Conseil de mosquée, le foncier relève du lignage fondateur et la préservation des traditions locales par le Conseil des Sages a rarement été observée. Nous nous intéresserons

essentiellement à la gestion des conflits qui est la principale fonction du Conseil observée sur le terrain. L’ordonnance précise qu’une collaboration étroite doit se construire entre le Conseil des Sages et le Conseil des districts, ce qui est effectif sur le terrain.

Le président est systématiquement nommé (le plus souvent à main levée) par la population, dans le secteur central du district. Puis chaque membre est désigné avec l’appui du président du Conseil des Sages, avec souvent le souci de respecter la nomination d’au moins un membre par secteur. Ce Conseil est généralement formé par des aînés de lignage, des imams et, dans bien des cas, des membres des lignages fondateurs. Son importance et son efficacité dépendent de ce dernier point. Un Conseil des Sages qui ne compte aucun membre des lignages fondateurs des secteurs du district n’a que très peu de poids et est rarement sollicité. C’est le cas, par exemple, du Conseil des Sages de Brika, absolument inefficace non pas en raison des capacités de ses membres mais parce qu’il n’est jamais sollicité ; en cinq ans d’existence, il n’a jamais siégé (selon les Sages, en raison de l’absence de conflits dans le district mais nous savons que ce n’est pas la réalité). Nous allons voir que le rôle du Conseil des Sages nécessite une certaine capacité décisionnaire de la part de ses membres. Le respect des orientations prises par ce Conseil ne peut être effectif que si ses membres ont réellement un poids dans le district par leur appartenance – ou non – au lignage fondateur de leurs villages respectifs.

Le Conseil des Sages a pour rôle principal, nous l’avons vu, de veiller à la bonne gestion des conflits. Il intervient ainsi dans le jugement de tous les délits et s’efforce de punir les coupables. Qu’il s’agisse de conflits au sein d’une famille ou entre différents villages, il a autorité jusqu’aux frontières du district, s’il est sollicité. En effet, ce point est capital : le Conseil des Sages intervient uniquement s’il est appelé par une des parties ; il n’est pas question d’assumer un rôle de police dans le district. Cette sollicitation dépend bien de l’importance du nombre des aînés pesant dans les sphères décisionnaires du village (membres du lignage fondateur et médiateurs avec la surnature écoutés des génies4). On se doute que

Documents relatifs