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III- LES RÉSEAUX : DISTRICTS ET ALLIANCES

3.2 LES FORMES ORGANISATIONNELLES DE COORDINATION

3.2.1 Le district industriel (DI)

La notion de DI a été utilisée initialement par A. Marshall66 [1920] pour se référer à " une forme différente d'organisation industrielle " [Lévesque et al, 1996 : 7]. Elle indique cet espace industriel local ou régional qui regroupe de nombreuses petites et moyennes entreprises participant à la fabrication du même produit ou gravitant autour d'une production typique [Garofoli, 1992 : 58] en petite série discontinue. Cette forme hybride de coordination des relations entre les entreprises s'appuie sur le marché et aussi sur la coopération et la réciprocité. Initialement, ce secteur était lié à des activités artisanales reposant sur un mode de production flexible et une spécialisation de la production répartie entre plusieurs petites et moyennes entreprises, comme le textile. Actuellement, sa deuxième génération est liée aux nouvelles technologies [Pecqueur, 1989, cité par Courlet et Pecqueur, 1992 : 98]. La présentation du DI repose sur la définition de

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Becattini [1992] et la notion de spécialisation flexible essentiellement chez Piore et Sabel [1984].

3.2.1.1 Définition

Pour Becattini [1992 : 37-55] «Le district industriel est une entité socio-territoriale caractérisée par la présence active d'une communauté67 de personnes et d'une population d'entreprises dans un espace géographique et historique donné ».

Il ne s'agit pas d'un regroupement d'entreprises disparates, anonymes ou d'entreprises dont la localisation est déterminée par les dotations de facteurs du territoire. Les PME appartiennent généralement à la même branche68 et chaque entreprise se spécialise dans une ou quelques phases du processus de production particulier au district et qui représente sa marque, caractérisé par la flexibilité que favorise la proximité géographique [Lévesque et al, 1996 : 9]. Chaque entreprise se trouve en situation d'interdépendance avec les autres entreprises. Il s'ensuit donc une " division du travail localisée " entre les entreprises, division qui n'est ni anonyme et diluée dans le marché, ni concentrée dans une hiérarchie.

Le DI se caractérise essentiellement par un système de valeur relativement homogène qui traduit une certaine éthique du travail et de l'activité, de la famille, de la réciprocité et du changement. Ce système de valeur conditionne les relations économiques et sociales dans le district. Il est propagé par des institutions.

La coordination de la division technique du travail et le contrôle de la régularité de son fonctionnement sont assurés par le marché69 et aussi par la coopération et la réciprocité [Becattini, 198970 : 263-264, cité par Lévesque et al, 1996 : 9]. Ces comportements qui sont sanctionnés par un système de valeur relativement homogène [Becattini, 1992 : 37], sont aussi intériorisés dans la conscience collective de la communauté, des institutions (marché, entreprise, famille, église, école, autorités locales, organisations politiques, syndicat local, etc.), en plus d'assurer la diffusion et le respect de ces valeurs.

3.2.1.2 La résurgence de la spécialisation souple chez Piore et Sabel

Partant de la critique de l'idée classique qui fait de l'évolution technologique vers la production en grande série un cheminement naturel, dont le corollaire est la disparition de la production artisanale, Piore et Sabel [1989 : 45] présentent comme alternative à la

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Hollingsworth et al, [1997 : 10] définissent la communauté comme des arrangements institutionnels basés sur la confiance, la réciprocité et l'engagement et ne sont donc pas dérivés de calculs égoïstes, de plaisir et de peine. 8 La branche est entendue au sens large.

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II y a concurrence interne entre les entreprises du DI et entre celui-ci et les autres districts avoisinants. 70

Becattini, G., Some Thoughts on thé Marshallian Industrial Districts as a Socio-Economie Notion, Rapport de conférence, Florence, mars 1989.

production de masse, la production flexible fondée sur des réseaux de petites entreprises artisanales, implantées dans le textile, la céramique, la chaussure, etc.

Lors de la crise des années 1970, alors que les grandes entreprises et les secteurs de la grande série n'ont pas été épargnés de telle sorte qu'on a commencé de parler de la crise de la production de niasse, de petites et moyennes entreprises, des produits non standardisés, des secteurs particuliers71 et régions entières72 ont enregistré de bonnes performances. Ces firmes, secteurs et régions sont tous liés à la production artisanale et manufacturière, mais une production innovatrice, considérée par la théorie économique classique comme appendice à la production en grande série et comme palliatif lors des crises. Or, de la fin du XIXe à nos jours, on observe un élargissement du cercle de la production flexible aux dépens de la production en grande série. Cet élargissement est imputé au recul de l'investissement dans la production en grande série particulièrement durant les périodes de crise et aussi à la conversion de grandes entreprises à la production artisanale [idem : 264].

L'expansion des entreprises pratiquant la spécialisation souple s'explique également par des raisons endogènes. La conversion à une plus grande souplesse s'est faite dans le secteur de la production artisanale par le recours à des technologies sophistiquées au lieu de se rabattre sur des techniques plus simples qui caractérisaient la première génération de la production artisanale. Ce régime de la production souple de la seconde génération repose sur l'innovation permanente. Le marché de cette production s'élargit à mesure que l'écart entre le coût à la production en petite série discontinue et celui de la grande série diminue [idem : 266].

On établit particulièrement une relation entre la flexibilité et l'usage de l'ordinateur73. Des études révèlent que la fabrication assistée par ordinateur réalise des gains de coûts dans la production en petite série [idem : 326-7] et donne une capacité d'adaptation rapide74 [J. Abadieetal, 1996, cités par Bradelli, 1996 : 13] avec des coûts raisonnables. Cette idée qui laisse croire que la résurgence de la production souple serait due à un quelconque déterminisme technologique lié à l'ordinateur est contestable selon Piore et Sabel [1989 : 328]. L'introduction de l'ordinateur n'explique pas toute seule la flexibilité de la production. L'utilisation de l'ordinateur trouve sa raison dans le contexte économique et dans la nature adaptative de la technologie informatique75. Là où le marché le permet, la

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Les aciers spéciaux, les machines-outils de précision, les produits chimiques à usage spécifique, les chaussures de luxe, les textiles de prix moyen, les motos, les matériaux de construction en céramique, les meubles et les instruments industriels. 72

Troisième Italie qui s'étend des provinces vénitiennes jusqu'aux bords de l'Adriatique en passant par le centre, les environs de Salzbourg en Autruche, certaines parties de Bade-Wurtemberg de l'ancienne Allemagne de l'ouest .

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Lynch, Paul Michael (1976), cité par Piore et Sabel (1984 : 326). 74

La rentabilité de la production étant liée à "l'adaptation des machines à la tâche que l'on souhaite leur confier ", l'ordinateur permettra de réaliser des gains de productivité puisque ce qui sera modifié c'est le programme du logiciel et non la machine spécialisée (dans le cas de production en grande série) ou l'un de ses outils et le réglage du dispositif qui maintient la pièce à usiner (dans le cas de la machine polyvalente).

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(i) L'ordinateur joue le même rôle que l'équipement automatique (robot); (ii) l'informatique est utilisé aussi dans des domaines rigides; (iii) on a des expériences de l'utilisation flexible de techniques indépendantes de

technologie flexible montre de la vitalité. La spécialisation flexible est une stratégie d'innovation permanente.

L'économie régionale ainsi créée représente ce qu'on appelle le district industriel. Piore et sabel [1989 : 49-50] posent trois conditions interdépendantes (marché, technologie, institutions) intervenant dans la définition des districts; (i) le modèle de la spécialisation souple fonctionne dans le cadre du marché. Comme Chandler, ils présentent les tendances du marché comme le facteur déterminant des changements dans l'utilisation de certaines productions et dans le paradigme de la production. D'une part, les districts desservent des marchés régionaux différenciés internes et externes d'une large gamme de produits; d'autre part, l'ouverture de nouveaux marchés se fait régulièrement par l'offre de produits modifiés; (ii) l'utilisation d'une technologie souple permettant dans la même branche le passage rapide à moindre coût d'un produit à l'autre ainsi que « l'élargissement constant de l'éventail de matériaux utilisés et des opérations accomplies, afin de faciliter la transition d'une famille de produits à une autre »; (iii) le rôle des institutions régionales permet d'équilibrer la coopération et la concurrence entre les entreprises, afin d'encourager l'innovation permanente76.