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II- LA HIÉRARCHIE

2.2 LA FIRME MULTIDIVISIONNAIRE COMME FORME DE COORDINATION DE

2.2.3 Alfred D Chandler

Prenant en considération les coûts de transaction et d'information comme éléments secondaires pour justifier la coordination de l'activité économique par la firme-hiérarchie, Alfred Chandler [1988 : 7] affirme que les raisons essentielles de l'intégration verticale sont (i) du côté de l'inadéquation du réseau de commercialisation, pour les grandes firmes pionnières, et; (ii) surtout de l'efficacité de cette forme de coordination par rapport à celle du marché dans un contexte de production en grande série et de consommation de masse. Il affirme à ce propos que l'entreprise moderne remplace l'entreprise traditionnelle soumise aux règles du marché là où elle permet une plus forte productivité, des coûts plus faibles et des profits plus élevés que la coordination par le marché. Autrement dit, la coordination administrative remplace la coordination par le marché lorsque la première permet (i) de baisser les coûts de transaction, (ii) de baisser les coûts d'information sur les marchés d'écoulement et d'approvisionnement, mais surtout; (iii) une utilisation plus intensive des installations et du personnel dans la production et la distribution. Ceci permet " une plus forte productivité, des coûts plus faibles et des profits plus élevés que la coordination du marché ".

Dans " La main visible des managers ", Chandler examine l'évolution de l'organisation et de la gestion de la production et de la distribution dans l'industrie américaine entre 1840 et 1920. Il s'intéresse particulièrement à la grande entreprise moderne52 en tant qu'organisation et institution respectivement dans la mesure où (i) il y a une volonté de construction d'un grand ensemble hiérarchisé dont l'objectif est de coordonner des flux de biens et services et de répartir des ressources, et cela " à côté des règles du marché " [Jean-Michel Saussois, préface à Chandler, 1988], et; (ii) se trouvant en position de concurrence au marché et à l'État, la firme hiérarchique doit construire sa légitimité face à

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ces deux concurrents en plus de gérer la situation conflictuelle induite par la séparation de la propriété et du pouvoir et par la hiérarchisation des rapports de travail à l'intérieur de la firme. La thèse soutenue par Chandler dans " La main visible des managers" est que l'entreprise moderne se substitue aux mécanismes du marché dans la tâche de coordonner à court terme les flux des biens et des services à travers les différents stades de l'achat des matières premières, de la production et de la distribution, jusqu'au consommateur final, ainsi que l'allocation à long terme des ressources en capital physique et humain. Mais, les entreprises ne remplacent pas le marché dans son rôle de " cause première de la demande de biens et services ", dans la mesure où l'offre des entreprises se fonde sur l'évaluation de la demande des marchés à court et à long terme.

La coordination administrative devient possible lorsque le volume de l'activité économique a atteint un niveau suffisant en raison de la consommation de niasse et de la production de masse pour que l'entreprise intégrée devienne efficace, entreprise que Chandler [1988 : 384] définit comme " une firme qui possède outre ses établissements de production, ses propres départements de vente et d'achat ou ses propres ressources de matières premières ou de produits semi-finis ". En économie de masse et de vitesse la coordination par le marché perd son efficience. C'est donc le volume du marché et la technologie qui déterminent le mode de coordination. Dans le cadre du régime de production de masse, la grande firme a une logique stratégique dans la recherche de l'économie d'échelle et de gamme. "Elle devient capable de créer puis de gérer son propre environnement, et plutôt que le marché, ce sont les procédures de décision et de coordination administratives hors marché qui affirment sans conteste leur supériorité " [Paché et

al, 1993 : 11]. Remarquons que Williamson met l'accent sur la spécificité des actifs, l'incertitude

et la fréquence. En fait, c'est la diversification des produits et des marchés et la mise en œuvre d'une structure organisationnelle centralisée et décentralisée qui rend l'entreprise multidivisionnelle capable de créer puis de gérer son propre environnement. À travers l'intégration en amont et en aval, l'entreprise procède au contrôle et à la maîtrise des prix, s'assure la régularité de son approvisionnement en matières premières, impose à ses fournisseurs une certaine qualité et fournit à ses clients un produit standardisé.

La réussite de l'intégration de plusieurs unités de production et de distribution dans une seule est conditionnée par la création d'une hiérarchie de managers capables d'exercer les fonctions assurées par les mécanismes du marché. Au sein des entreprises modernes, la coordination est assurée par les cadres moyens. Les cadres supérieurs supervisent la coordination assurée par les cadres moyens et à la place du marché organisent l'allocation des ressources entre la production et la distribution futures. Pour s'acquitter de ces fonctions, les cadres s'appuient sur des pratiques et de nouvelles procédures qui, avec le temps acquièrent le statut de règles et de normes standard de gestion de la production et de la distribution [idem : 8 ].

L'interprétation de la réalité économique n'est pas très différente lors du passage de Williamson à Chandler, puisque la notion de spécificité des actifs est équivalente à celle d'existence d'un marché de masse nécessitant des services particuliers et des procédés techniques intensifs en capital et caractérisée par une certaine rigidité. Ce qui les différencie c'est sur quoi agit l'entreprise pour assurer son efficacité. Williamson pose comme pivot les coûts de transaction par l'intégration, et Chandler met l'accent sur les coûts de production par la production à grande échelle qui postule l'agrégation des demandes par la hiérarchie. À noter que les deux auteurs posent comme secondaire respectivement l'effet des coûts de production et des coûts de transaction. La grande différence provient cependant du fait que Williamson considère la firme comme un mécanisme non optimal.

L'appréhension de la problématique de la grande entreprise industrielle comme forme de coordination de l'activité économique n'est pas sans intérêt chez Chandler dont l'étude colossale décrit et analyse l'émergence et la construction de l'entreprise géante en tant qu'organisation53 et institution54. Chandler approche les mécanismes de coordination en les liant étroitement aux méthodes de gestion et aux processus de production. Il montre comment la question de la séparation du pouvoir et de la propriété joue un rôle important dans la naissance de l'entreprise moderne. Il s'intéresse secondairement aux relations de l'État et des syndicats avec la firme intégrée. S'il privilégie l'environnement économique, il néglige, par contre, l'environnement politique et les enjeux entre les acteurs et les articulations des facteurs économiques, politiques et sociaux dans le cadre desquels s'est développée la grande entreprise moderne et où elle a déployé sa capacité de coordination selon une logique propre à elle. Cette dimension sera développée par les