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Distorsions du temps et accélération de l’horloge interne

Chapitre III. Les distorsions du temps

3.2. Distorsions du temps et accélération de l’horloge interne

Parmi les facteurs provoquant des distorsions du temps, les chercheurs évoquent l’accélération de l’horloge interne. Dans le cadre du modèle d’horloge interne, quand le niveau d’éveil augmente (arousal), cela se traduit par une augmentation de l’activité physiologique générale entrainant une augmentation du rythme du pacemaker. Lorsque le pacemaker bat à un rythme plus rapide, le nombre d’impulsions émises par unité de temps augmente et le temps est alors jugé plus long. Cet effet de l’accélération de l’horloge a été testé dans plusieurs conditions expérimentales, en utilisant principalement des séquences de stimuli répétés (i.e., trains de clicks, « flicker ») ou l’administration de substances pharmacologiques stimulantes (voir pour revue Allman & al,, 2014 ; Droit-Volet, 2011 ; Gil & Droit-Volet , 2012 ; Lake, Labar, & Meck, 2016).

3.2.1. Les stimuli répétitifs (clicks - flickers)

Afin de manipuler l’horloge interne, en 1990, Treisman, Faulkner, Naish et Brogan ont mis au point une méthode consistant à présenter une séquence de click auditifs répétitifs ou de stimuli visuels répétitifs (flickers) avant (les 5 s précédant le stimulus) ou/et pendant le stimulus temporel. Ils ont montré qu’une séquence de stimuli répétitifs d’une fréquence entre 2.5 et 27.5 Hz modifie le jugement du temps. Le temps est alors jugé plus long avec ces stimuli répétitifs comparé à sans. De plus, cet allongement subjectif du temps augmente avec la fréquence des stimuli (Treisman et al., 1990 ; Treisman & Brogan, 1992 ; Treisman, Cook, Naish, & MacCrone, 1994). Treisman et ses collaborateurs expliquent ces résultats par une augmentation transitoire de la vitesse de l’horloge interne sous l’influence du rythme externe. Jones (1976) parle d’un entrainement de l’oscillateur interne par un rythme extérieur. Depuis, ces effets des stimuli répétitifs sur l’estimation du temps ont été répliqués dans de nombreuses études avec différentes tâches temporelles (e.g., Jones et Ogden, 2015 ; Ortega & Lopez, 2008 ; Penton-Voak, Edwards, Percival, & Wearden, 1996 ; Wearden, Edwards, Fakhri, & Percival, 1998 ; Wearden et al., 2009 ; Wearden, Williams, & Jones, 2015). Ils ont même été répliqués avec des stimuli visuels (flickers) chez des enfants âgés de 3 à 8 ans (Droit-Volet & Wearden 2002) et des stimuli répétitifs auditifs chez des enfants âgés de 5 et 8 ans (Droit-Volet, 2017).

Ainsi, l’accélération de l’horloge interne sous l’effet d’un rythme extérieur est un phénomène robuste que l’on observe dès le plus jeune âge. On pourrait même parler d’une accélération automatique de l’horloge interne. Cependant, les effets des stimuli répétitifs sur le jugement du temps sont complexes et sont actuellement discutés. En l’occurrence, dans sa dernière étude, Droit-Volet (2017) montre que la dilatation du temps avec

l’augmentation de la fréquence du click entre 8 et 20 Hz est significativement corrélée avec les capacités attentionnelles et de mémoire de travail des enfants. Ainsi, des processus attentionnels peuvent être impliqués dans ces effets. Comme nous le verrons en détail dans nos études, une accélération de l’horloge interne se traduit notamment par des effets de type multiplicatif. En effet, quand les distorsions du temps sont liées à un effet d’accélération de l’horloge interne, la surestimation du temps augmente avec la longueur des durées. En revanche, des effets de type attentionnel sur le jugement du temps se traduisent non pas par des effets multiplicatifs mais des effets additifs. Quand le switch se ferme plus tôt, la proportion d’impulsions accumulées en plus est effectivement la même quelle que soit la longueur de la durée. Or, de récentes études chez l’adulte ont obtenu avec des clicks de fréquences différentes des effets temporels de type additif et non multiplicatif (Jones & Ogden, 2016 ; Makin, Poliakoff, Dillon, Perrin, Mullet, & Jones, 2012 ; Palumbo, Ogden, Makin, & Bertamini, 2014). Ces résultats sont interprétés en termes de processus attentionnels et non d’accélération de l’horloge interne, en supposant que les clicks augmentent l’alerte attentionnelle, autrement dit l’efficience du système du switch (Droit-Volet, 2017 ; Jones & Ogden, 2016). Toutefois, dans les mêmes conditions, d’autres études ne trouvent pas d’effet additif mais multiplicatif (e.g., Penton-Voak et al., 1996). Les effets des stimuli répétitifs sur l’estimation du temps sont donc mal compris. Finalement, les études pharmacologiques sont plus convaincantes quant à la démonstration d’une accélération possible du rythme de l’horloge interne et ses conséquences sur le jugement du temps.

3.2.2. L’administration de substances pharmacologiques

Des études pharmacologiques sur la perception du temps ont été réalisées à la fois chez l’animal (Buhusi & Meck, 2002 ; Cheng, Ali, & Meck, 2007 ; Cheng, Hakak, & Meck, 2007 ; Cheng, MacDonald, & Meck, 2006 ; Drew, Fairhurst, Malapani, Horvitz, & Balsam, 2003 ; Maricq & Church 1983 ; Maricq, Robert, & Church, 1981; Matell, King, & Meck, 2004 ; Matell, Bateson, & Meck, 2006 ; Meck, 1983, 1986, 1996) et chez l’homme (Arushanya, Baida, Mastyagin, Popova, & Shikina, 2003 ; Cheng, Ali, & Meck, 2007 ; Lake & Meck, 2013 ; Rammsayer, 1993, 1997, 1999, 2009). Parmi ces études, on cite souvent celle réalisée chez l’animal par Maricq et collaborateurs à cause de ses résultats très probants (Maricq, Roberts, & Church, 1981). Dans cette étude, des rats ont été soumis à une tâche de bissection temporelle avec 3 rangs de durées différents : un premier rang de durées avec SC de 1 s et SL de 4 s, un deuxième avec SC de 2 s et SL de 8 s, et un troisième avec SC de 4s et SL de 16 s. De plus, les chercheurs ont administré aux rats soit une solution saline qui n’est pas susceptible d’avoir d’effet sur la perception du temps, en l’occurence des méthamphétamines. Les méthamphétamines, qui sont des agonistes dopaminergiques, jouent un rôle de stimulant et sont par conséquent susceptibles d’augmenter le rythme de l’horloge interne. La Figure 13 montre les résultats ainsi obtenus. Comme nous pouvons constater sur cette Figure 13, la courbe psychophysique est systématiquement décalée vers la gauche, avec un abaissement du PB, dans la condition avec les méthamphétamines comparativement à celle avec la solution saline. Ceci démontre que le temps est jugé plus long sous l’effet de stimulants. En outre, le décalage de la courbe vers la gauche s’amplifie avec la longueur des durées, étant par exemple plus grand pour le rang des durées de 1-4 s que pour celui de 1-16 s. Cet allongement du temps plus important avec les durées plus élevées témoigne d’un effet de type multiplicatif lié à un mécanisme spécifique d’horloge

interne, notamment à son accélération. Ces résultats ont été depuis répliqués notamment chez l’homme avec d’autres substances stimulantes comme la nicotine (e.g., Carrasco, Redolat, & Simon, 1998) ou la caféine (e.g., Arushanya, Baida, Mastyagin, Popova, & Shikina, 2003). En revanche, on observe des effets complètement inverses, c’est-à-dire un raccourcissement du temps subjectif, avec l’administration de sédatifs (halopéridol) susceptible de diminuer le niveau d’éveil (e.g., Rammsayer, 1999).

Ces différentes drogues agiraient donc sur le rythme de l’horloge interne par l’intermédiaire du système dopaminergique (DA), les unes augmentant le niveau de DA dans le cerveau et les autres le diminuant, le niveau de dopamine agissant sur la fréquence de battement du pacemaker ou la fréquence des oscillateurs (voir Chapitre 2 sur les modèles page 31 à 44). Quand il y a un dysfonctionnement du système dopaminergique comme dans la maladie de Parkinson, on remarque de moins bons jugements temporels (e.g., Allman &Meck, 2012 ; Malapani et al., 1998 ; Meck & Benson, 2002 ; Smith, Harper, Gittings, & Abernethy., 2007), bien que les résultats ne soient pas toujours concluants à ce propos (Wearden et al., 2008). En somme, les études pharmacologiques démontrent que l’on peut observer des distorsions du temps liées aux variations du rythme de l’horloge interne. Précisément, comme nous allons le voir maintenant, certaines émotions ont le pouvoir de changer le niveau d’activation physiologique et donc de provoquer des distorsions du temps.

Figure 13. Courbes de bissections obtenues après injection d’amphétamine et d’une solution

saline chez le rat avec 3 gammes de durée différentes 1/4 s vs 2/4 s vs 4/16 s (reproduit de Maricq, Robert, & Church, 1981).