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L’immigration italienne en République fédérale allemande et les transformations des rôles genrés

1. Les dispositifs de recherche

Si les recherches historiques consacrées à l’immigration de travail italienne en Allemagne ne prenaient en compte que la politique allemande en direction des « Gastarbeiter » italiens, les intéressés n’apparaîtraient que comme objets d’une politique, acteurs économiques et assujettis des organismes de sécurité sociale. Nous pouvons par contre, prenant pour thème les formes de leur acculturation, parvenir à une connaissance fine de leurs expériences propres des processus d’apprentissage et des répertoires d’action forgés durant leurs vies migrantes. La façon dont les rapports sociaux dans lesquels les migrants italiens furent pris laissèrent leur marque et façonnèrent leurs biographies. Elle permet une compréhension de leurs expériences de vie

11 Cf. GRASSI M., Die Arbeitsmigration in italiensischen Sûden und die gesellschaftliche Problematik der Reintegration, Thèse, Freie Universität, Berlin, 1980,

p. 88 et suivantes.

12 MATTES M., « Gastarbeiterinnen »…, op. cit., pp. 137-158. DELHAES-GUENTHER D.

VON, Internationale und nationale Arbeitskräftwanderungen : Eine Analyse der süditalienische Aussenmigration, Breitenbach Verlag, Saarbrück/Fort Lauderdale, 1984,

que les sources quantitatives, les rapports émanant des milieux économiques ou un regard sur la population des Gastarbeiter n’offrent pas. Cela nous conduit à nous appuyer, dans la suite de ce texte, sur des comptes rendus d’entretiens réalisés avec des migrants italiens. Nous souhaitons parvenir, les interprétant, à éclairer les motifs de la migration, à rendre compte de la difficile insertion dans la société allemande, de leur prudent arrimage à cette seconde patrie et, enfin, évoquer les bilans autobiographiques qu’ils tirent de leur existence migrante.

L’objection souvent faite, que les souvenirs de vie offrent seulement une reconstruction du passé et sont le résultat de la production d’une image de soi n’est pas en l’occurrence véritablement recevable.

L’inscription temporelle de chaque histoire de vie a pour conséquence première de révéler le regard actuel porté sur le parcours autobiographique, dont le récit s’appuie sur des éléments exacts et datés. C’est particulièrement vrai dans le cas de migrants de travail qui offrent des récits dont le pivot est l’arrivée en Allemagne, motif narratif qui est un véritable leitmotiv. Quand le récit de sa vie en Allemagne est pour le migrant l’histoire d’un succès, les difficultés passées sont présentées comme des obstacles à surmonter et minimisées. Si nous prenons en compte ce fonctionnement de la mémoire, qui procède par reconstruction et construction rétrospective du souvenir, nous retrouvons les conditions de possibilité de l’histoire orale, qui nous donne accès non seulement au souvenir singulier et à l’empreinte biographique, mais aussi, et surtout, aux principes qui ont guidé la construction du souvenir.

La majorité des trente Italiens et Italiennes interrogés sont arrivés durant les années 1950 et 196013. À une exception près, tous viennent du Sud de l’Italie ou de Sicile. Ils sont aujourd’hui installés dans la Ruhr ou

13 Je me suis appuyée, pour choisir les personnes interrogées, sur une association italienne, et sur des contacts pris par l’intermédiaire de l’église catholique, ou sur des contacts professionnels et personnels. Les entretiens ont été conduits en italien ou en allemand, parfois en mêlant les deux langues. La procédure d’entretien s’ouvrait généralement par des questions générales relatives à la vie de la personne interrogée. Son récit était parfois interrompu par des questions destinées à favoriser la compréhension des événements évoqués. À la fin de son récit, nous l’interrogions le narrateur sur des points qu’il n’avait pas spontanément évoqués. Il s’agissait, afin de permettre la comparaison, d’aborder les mêmes thèmes dans tous les entretiens. Cette exploration permettait parfois de faire émerger des points qui donnaient un nouveau tour à l’entretien. La grille thématique comporte les items suivants : enfance et jeunesse, facteurs de la migration, parcours en République fédérale, images de l’Allemagne et de l’Italie et leurs transformations, changement de citoyenneté, évolution des systèmes culturels, rapports familiaux, enfance de la deuxième génération.

en Rhénanie. Un petit nombre est retourné vivre quelque temps en Italie. Les hommes travaillaient pour le bâtiment, les chemins de fer, ou bien dans de petites entreprises, généralement de métallurgie. Certains ont accédé à l’indépendance en ouvrant un petit restaurant ou en devenant glacier. Les femmes, en général, provenaient des mêmes localités que leurs époux. La plupart les ont rejoints en République fédérale et ont travaillé à temps partiel. Les familles avaient, en règle générale, de deux à quatre enfants. La majorité des interviewés avait plus de soixante ans.

Mes interlocuteurs avaient pu indiscutablement améliorer leur niveau de vie, en comparaison de leur situation en Italie. Leurs enfants ont pu faire des études ou suivre une formation. Ce profil social ne fait pas des Italiens interrogés un échantillon représentatif des Italiens d’Allemagne, une partie de cette population, marginalisée, vit dans une relative pauvreté et peine à s’intégrer tant économiquement que socialement. J’ai rencontré quelques personnes dans ce cas. Aucune n’était prête à un entretien. Mon groupe d’interlocuteurs n’est pas non plus représentatif car n’y figurent pas de représentants des nombreux ré-émigrants vivant aujourd’hui en Italie, non plus qu’il ne permet de prendre en considération le parcours des migrants déjà décédés. Malgré ces limites, nous pouvons donner, étudiant ces Italiens du sud, à la description et à l’analyse de leurs biographies, de leurs manières de voir, de leurs expériences et de leurs cadres culturels, épaisseur et précision. D’autre part, l’interprétation de ces biographies exige le recours à d’autres disciplines, de l’analyse des mentalités et des représentations à l’ethnologie. Enfin, ces interviews autorisent à tester et à enrichir des interprétations souvent schématiques qui postulent que la migration est un complet déracinement ou, à l’inverse, une assimilation complète des nouveaux venus dans la société qu’ils rejoignent, ou encore attribuent aux familles immigrées une identité monolithique.