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Pratiques migratoires contemporaines entre Roumanie et Italie Récits de migrantes.

1. Cadre théorique et méthodologique

La nouveauté de cette recherche consiste dans une combinaison de différentes approches théoriques et dans la manière dont les données ont été recueillies sur plusieurs années – entre 1999 et 2003 – sur une même population migrante clairement délimitée tant par son lieu d’origine que par sa région de destination2. Les données ont été recueillies à l’aide de méthodes comme l’entretien semi-directif, l’observation directe et l’étude de cas. Jusqu’à présent, trente entretiens ont été réalisés avec treize femmes et dix-sept hommes, pour la plupart originaires de Vulturu et

2 La population qui fait l’objet de cette recherche se dirige en exclusivité vers la région de Lazio-Rome. Une partie de ces migrants (hommes) avaient déjà fait, dès le début des années 1990, après l’ouverture des frontières suite à l’effondrement du communisme, des allers-retours entre la Roumanie et les pays voisins (Turquie, Bulgarie, Hongrie). Ce type de migration était transitoire et a servi à l’accumulation d’un capital financier et migratoire permettant la migration vers l’Italie.

ayant fait au moins un séjour d’un an à Rome. Des observations ont été menées dans les lieux d’origine et de destination et une étude de cas sur un groupe de quatorze maisons voisines de Vulturu a fourni d’importantes informations sur la participation des femmes et des hommes à cette migration de travail et sur leurs places et leurs rôles dans les réseaux migratoires entre ce village et Rome.

La démarche a été inductive. Nous sommes partie d’une connaissance purement empirique du terrain, en tant qu’habitante du village de Vulturu. Au fur et à mesure que les problématiques se définissaient, plusieurs recherches bibliographiques nous ont fourni des éclairages sur la migration en tant que processus genré3. Le rôle des femmes migrantes

dans les réseaux migratoires a été également souligné4. Leur participation

à l’économie est examinée par les études récentes centrées sur leur contribution au développement du secteur domestique et les politiques sociales des pays d’accueil5.

3 KOFMAN E., « Female “birds of passage” a decade later: gender and immigration in the European Union » in International Migration Review, vol. 33, n° 2, 1999, pp. 269- 299 ; KOFMAN E. et alii, Gender and international migration in Europe: employment, welfare and politics, London, New York, Routledge, 2000 ; MOROKVASIC M., « Women in migration : beyond the reductionist outlook » in PHIZACKLEA (éd.), One way ticket.

Migration and female labour, Londres, Boston, Melbourne, Henley, Routledge &

Kegan Paul, 1983, pp. 13-32 ; MOROKVASIC M., « Birds of passage are also women », International Migration Review, vol. 18, n° 4, 1984, pp. 886-907 ; MOROKVASIC-

MÜLLER M., EREL U., SHINOZAKI K., « Introduction. Bringing gender into migration » in MOROKVASIC-MÜLLER M., EREL U., SHINOZAKI K. (éds.), Crossing borders, changing boundaries, vol. 1, Gender on the move, Leske & Budrich, Opladen, 2003, pp. 9-22 ;

MOROKVASIC-MÜLLER M., « Transnational mobility and gender : a view from post-wall Europe » in ibid., pp.101-133 ; PEDRAZA S., « Women and migration. The social consequence of gender », Annual Review of Sociology, vol. 17, 1991, pp. 303-325 ; PESSAR Patricia, « The linkage between the household and workplace of Dominican

women in U.S. », International Migration Review, vol. 18, n° 4, 1984, pp. 1 188-1 211 ; PHIZACKLEA A., « Transnationalism, gender and global workers » in MOROKVASIC- MÜLLER M., EREL U., SHINOZAKI K. (éds.), Crossing borders op. cit., pp. 79-100.

4 BOYD M., « Family and personal networks in international migration : recent

developments and new agendas » International Migration Review, vol. 23, n° 3, 1989, pp. 638-670 ; DAVIS B., WINTERS P., « Gender, networks and Mexico-U.S. migration », working paper in series Agricultural and Resource Economics :

http/www.une.edu.au/febl/EconStud/wps.htm ; POTOT S., « La place des femmes dans

les réseaux migrants roumains », Revue européenne des migrations internationales, n° 21, 2005, pp 243-257.

5 ANDALL J., « Organizing domestic workers in Italy: The challenge of gender, class

and ethnicity » in ANTHIAS F., LAZARIDIS G. (éds.), Gender and migration in Southern Europe. Women on the move, Oxford, New York, Berg, 2000, pp. 145-172 ; ANDALL

La seule catégorie analytique du genre dans l’étude de la migration ne nous paraît pas suffisante dans l’analyse de la migration entre Vulturu et Rome, car beaucoup d’autres éléments doivent être pris en compte. Ainsi, l’approche des réseaux migratoires et de l’économie du groupe domestique a été également utilisée afin d’approfondir l’analyse de la migration. Lors d’une étude de cas sur quatorze maisons voisines du village de Vulturu, nous avons pu remarquer la force d’attraction de ces réseaux migratoires fondés sur des liens de parenté et de voisinage. En effet, chaque migrant(e) crée des opportunités, voire exerce des pressions, à destination d’un autre membre de son groupe domestique ou de son voisinage sans que la décision de migrer soit forcément fondée sur un calcul économique purement rationnel. En réduisant les risques et les coûts pour les futur(e)s migrant(e)s, les réseaux migratoires contribuent à l’auto-perpétuation du processus migratoire.

Enfin, l’approche économique du groupe domestique apporte des éléments utiles. Selon celle-ci, le groupe domestique joue un rôle central dans les décisions migratoires affectant ses membres. Notre démarche consiste à croiser ces différentes approches théoriques avec la catégorie analytique du genre afin de rendre visibles les rôles différenciés des femmes et des hommes en migration et les changements intervenus dans les rapports de genre après la migration.

Nous empruntons également à la théorie de la structuration6. Des

applications de cette théorie dans le domaine de la migration de travail7 prouvent qu’elle dispose d’un grand potentiel explicatif et qu’en mettant l’accent sur l’interaction entre acteur et système, action et structure, elle permet d’interpréter l’action des migrant(e)s en la mettant en rapport avec certains facteurs du contexte socio-économique et politique. Le schéma de cette recherche peut être représenté comme suit :

J., « Hierarchy and interdependence : the emergence of a service cast in Europe » in

ANDALL J. (éd.) Gender and Ethnicity in contemporary Europe, Oxford, New York, Berg, 2003, pp. 39-60 ; ANDERSON B, Doing the dirty work ? The global politics of domestic labour, Londres, New York, Zed Books, 2000.

6 GIDDENS A, La constitution de la société, Paris, Quadrige/PUF, 2005, é.o. 1984. 7 GOSS J., LINDQUIST B., « Conceptualizing international labor migration: a structuration perspective », IMR, vol. 29, n° 2, 1995, pp. 317-351 ; MORAWSKA E., « Structuring

migration : The case of Polish income-seeking travellers to the West», Theory and

La population de notre recherche est délimitée par le fait qu’elle est originaire de ce village et qu’elle émigre généralement à Rome à l’aide de réseaux migratoires consolidés à travers les échanges entre migrant(e)s et non migrant(e)s durant les dernières quinze années. Pour cette raison, il nous a été relativement facile de repérer nos interviewé(e)s tant à Vulturu qu’à Rome, d’observer et d’analyser leurs comportements et discours dans un lieu comme dans l’autre. En 2000 et en 2003 nous avons mené cinq enquêtes de terrain, passant dix semaines à Vulturu et sept à Rome. Selon les dires du maire de Vulturu, après le recensement de 2002, environ 70 % de la population active du village serait partie en Italie. Pour la plupart, ces gens émigrent soit clandestinement, soit avec un visa touristique et, dans les deux cas, restent illégalement en Italie afin de trouver un emploi. Grâce aux régularisations (sanatoria) du gouvernement italien, beaucoup d’originaires de Vulturu ont obtenu des titres de séjour sur la base d’un contrat de travail. Toutefois, leur séjour en Italie est marqué de temps à autre par des périodes d’illégalité, car la perte de leur emploi entraîne la perte du droit de séjour.

Cette population migrante provient de toutes les catégories sociales. Une différence apparaît toutefois évidente : parmi les hommes migrants il y a quelques titulaires d’une maîtrise, alors que les femmes migrantes ont généralement un niveau de formation allant du niveau bac jusqu’à bac + 3 (formations d’infirmières ou écoles commerciales). Les femmes de Vulturu ont également eu accès aux universités et sont titulaires de licences, mais elles sont moins intéressées par l’émigration lorsqu’elles ont un tel titre universitaire. Nous avons décrit ailleurs les principaux

Théorie de la structuration (Giddens, 1984)

Approche genre, approche économie du groupe domestique, approche des

réseaux migratoires

Terrain : migrations contemporaines entre de Vulturu (Roumanie) et Rome

Méthodes de recherche : entretiens semi directifs, études de cas,

groupes de migrant(e)s selon les différents critères sociaux, professionnels ou familiaux8.