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CHAPITRE 1 – MISE EN PLACE DU MODULE : ASPECT INGÉNIERIQUE

B) Le dispositif

a) Temps imparti

Le premier facteur concernait le temps alloué à cette formation. Le projet est devenu véritablement concret lorsqu'il a été validé fin mars 2011, soit trois mois environ avant la fin des cours de la classe Passerelle. Ceci impliquait d'abord que le module aurait officiellement lieu au cours des deux à trois derniers mois de formation de la classe, si l'on tenait compte du temps de mise en route du module (détection, préparation des contenus et de l'organisation). En effet, il n'était pas envisageable à ce moment-là de compter sur la présence du public au-delà du cadre « officiel » de la classe. Le temps disponible par semaine coïncidant avec l'emploi du temps de la classe était alors de deux heures les lundi et vendredi après-midi. Nous sommes donc partis sur l'idée d'un module de deux fois deux heures par semaine, sur une durée de deux mois, soit 32 heures en tout étalées sur 16 séances. Lorsque l'on sait qu'apprendre à lire et à écrire à l'âge adulte peut prendre entre 600 heures et plus du double, 32 heures peuvent paraître dérisoires. Il est clair que le peu d'heures à disposition nous obligeait à opérer un choix de contenu très ciblé et à l'articuler à un projet de plus grande envergure pour la rentrée 2011, dont il pourrait servir de projet pilote. C'est de cette manière que nous l'avons présenté dans un premier temps à notre hiérarchie, afin qu'elle y adhère et que le projet ne soit pas cantonné à un coup d'épée dans l'eau mais puisse perdurer. C'est également sous cet angle qu'il a été présenté au Ministère de l'Éducation et aux donateurs potentiellement intéressés pour financer la poursuite du projet.

b) Objectifs généraux du module et de la formation

Le projet était donc à envisager à deux niveaux : le module à court terme (32 heures) et la formation sur le long terme. La première question à se poser concernait le type de formation que nous voulions monter. Le Comité de Liaison des Acteurs de la

Promotion Sud-Ouest et le Centre de Ressources Illettrisme Aquitaine (CLAP/CRI, 2004) proposent de s'interroger en ces termes : souhaitions-nous avant tout une formation à visée pragmatique, « de type insertion sociale » (ibid., p.3), ou un travail d'alphabétisation sur le long terme ? Dans le premier cas, il s'agit de parer au plus pressé, c'est-à-dire d'apprendre le minimum vital afin de se débrouiller dans le quotidien (santé, loisirs, scolarité, logement...), autrement dit de travailler essentiellement avec des écrits fonctionnels. Dans le deuxième cas, « les apprenants ont réglé le plus gros des urgences liées au quotidien » et sont donc disponibles pour un travail de plus longue haleine, « dont les effets sur leur

vie quotidienne ne sont pas attendus dans le court terme » (ibid., p.4).

Il s'agissait, rappelons-le, de mener un groupe hétérogène vers la constitution et la consolidation d'un savoir et d'un pouvoir sur l'écrit dans une langue étrangère, le français, qui allait leur permettre non seulement d'accéder plus facilement aux contenus dispensés dans leur formation en classe Passerelle mais aussi et surtout de devenir acteurs de leur propre vie dans leur société d'accueil, dominée par le français. A une plus grande échelle, il s'agissait d'une part de leur permettre de s'intégrer à toute société dans laquelle l'écrit tient une grande place, et d'autre part pour les potentielles personnes analphabètes de s'alphabétiser, de faire leur ce nouveau code, c'est-à-dire d'acquérir ce qu'Adami appelle la « conscience métalinguistique » (2009, p.82). Pour tous il était question de favoriser cette fameuse « acculturation à l'écrit » mise en avant par Frier (1997, p.46).

Aussi l'approche pragmatique et l'approche plus « classique » d'alphabétisation avaient toutes deux leur place dans le projet. Nous voulions non seulement que la formation soit utile aux apprenants pour comprendre les écrits immédiats auxquels ils étaient confrontés, mais aussi qu'il marque le début d'un apprentissage dépassant la dimension purement sociale de l'apprentissage, fidèlement à la philosophie de la classe Passerelle qui a entre autre pour objectif, nous l'avons vu, le développement personnel de ses apprenants au-delà de l'aspect utilitaire de leur apprentissage. Notre première idée était de consacrer les 32 heures du projet pilote à une approche plutôt pragmatique et le reste du projet à un travail d'alphabétisation. Mais ce découpage artificiel nous a vite semblé vide de sens : les deux approches ne constituent pas des phases successives de l'apprentissage, elles sont au contraire fortement connectées. Ce sont les situations de la vie réelle qui font émerger la nécessité d'aborder certains documents. Et c'est à partir de ces documents et situations concrètes que l'on perçoit les fonctions de l'écrit et son fonctionnement, et que

l'on peut travailler le code graphique. Chaque approche est au service de l'autre : « la

lecture des écrits sociaux est à la fois une fin et un moyen » (Adami, 2009, p.90).

Aussi l'objectif général du module était d'amorcer l'entrée dans l'écrit des apprenants en combinant approche pragmatique et travail d'alphabétisation. Le but était de poser des bases sur lesquelles les apprenants pourraient s'appuyer pour prolonger ce travail par la suite, dans le meilleur des cas au sein de la même formation, dans le pire des cas par eux-mêmes avec l'aide éventuelle d'une autre structure. Il s'agissait de leur mettre le pied à l'étrier...

c) Redéfinition de mon rôle au sein du projet

Un second facteur important intervenait alors : quel allait être mon rôle dans ce projet ? Jusqu'où allais-je le prendre en charge et où s'arrêtaient mes compétences ? Ma hiérarchie avait été claire : le but de mon stage n'était pas que je donne des cours mais que je travaille au service de la classe et de son organisation. J'ai appris plus tard la raison de cette restriction : une personne était pressentie pour le poste de deuxième professeur à la rentrée 2011, et il était préférable que je ne m'implique pas trop dans un rôle déjà attribué. Cependant la prise en charge des cours d'alphabétisation impliquait une formation particulière que ni mon maître de stage, ni le futur professeur, ni moi n'avions alors. Impliquer un autre formateur spécialisé dans le projet supposait des frais supplémentaires que Caritas n'était pas prête à débourser. J'ai donc plaidé ma cause en mettant en avant ma formation en FLE orientée vers l'accès à l'écrit (qui était le thème de mon mémoire effectué lors d'un stage de Master 1) et surtout la documentation que j'avais « dévorée » avec passion sur le sujet, que je commençais à faire mienne. J'ai finalement obtenu gain de cause et ai été désignée formatrice. J'ai donc porté ce projet de bout en bout, étant tour à tour conceptrice, formatrice et avocate du projet : son ambassadrice en somme... Une multitude de rôles parfois lourde à porter. En effet, il m'a été difficile de travailler à la fois sur le plan éducatif, c'est-à-dire privilégier une formation qui réponde avant tout aux besoins du public en termes d'approche, de nombre d'heures, de poursuite de formation... et sur le plan communicatif avec comme objectif de présenter un produit attractif et vendeur. Le juste milieu n'a pas toujours été évident à trouver car cela impliquait des compromis qui me semblaient souvent peu acceptables, m'obligeant à devoir « emballer » le projet en flattant les différentes sensibilités des financeurs... J'ai cependant dû apprendre à tenir

compte de la réalité du terrain, à savoir que de ces financeurs dépendaient la longévité, la qualité et la cohérence du projet. J'ai compris à quel point l'aspect ingénierique était tout aussi important que l'aspect didactique. Une expérience passionnante, qui m'a permis je l'espère de bâtir un projet le plus cohérent possible compte-tenu de tous les facteurs à envisager.