• Aucun résultat trouvé

A. Le timar : un droit fiscal

1. Un dispositif militaire

I.A.1.a. Principes fondamentaux

Le timar11 est le nom qu’on donnait à une prébende militaire, une dotation en argent contre services en armes, dont le bénéficiaire originaire était un cavalier, un sipahi. Dans leurs provinces, les sultans avaient besoin d’assurer la sécurité du territoire et de répartir efficacement leurs recettes fiscales ; ils dotèrent donc ceux qu’on pourrait appeler leurs officiers et sous-officiers en revenus fiscaux, à toucher sur des biens immobiliers — le plus souvent des terres mais aussi des immeubles, des moulins, des arbres fruitiers, etc. — et/ou sur des taxes — douanes, tonlieux, etc. Investis bénéficiaires par un document issu des offices centraux (berat) ou parfois provinciaux (tezkere), les timariotes vivaient ainsi de la production des paysans ou des produits monétaires du commerce ; en tant qu’agents de l’État (vekil), ils n’avaient d’autre droit qu’administratif sur leur timar et n’étaient propriétaires ni de la prébende, ni, a fortiori, des biens qui en produisaient le revenu12. On les a souvent envisagés comme des propriétaires fonciers, mais pour reprendre la terminologie adoptée par Martha Mundy analysant le XIXe s., il faudrait plutôt les appeler capitaines de la terre,

administrateurs des revenus fonciers et concessionnaires des droits de culture au nom du Trésor13. Ils formaient le cœur de l’organisation administrative (et militaire) des provinces européennes de l’Empire ; autour d’eux gravitaient d’autres troupes (voynuk, martolos, derbenci, nefer en général, etc.), elles aussi investies de droits fiscaux ou même agricoles qui, en partie, se définissaient par rapport au dispositif timarial14.

11 L’exposé le plus complet et le plus clair reste celui de Nicoară Beldiceanu dans Le timar (1980), auquel s’ajoutent ceux de Bistra A. Cvetkova (Les institutions ottomanes (1978), p. 2-19), et Vera P. Mutafchieva, malgré ses imprécations anti-bourgeoises (Agrarian Relations — 1988). Ils sont avantageusement complétés par Halil İnalcık & Donald Quataert (eds), An Economic and Social History vol. 1 (1994), p. 103-130 ; et Fikret Adanır, « The Ottoman Peasantries » (1998). L’article « Tīmār » de Halil İnalcik dans la seconde édition de l’Encyclopédie de l’Islam (Leiden, Brill, 2000) est assez confus ; celui de Michael Ursinus dans le Dictionnaire de l’Empire ottoman ne correspond pas à la situation en Bosnie (« Timar. Les évolutions du système du timar (XVIe-XXe siècles) », in François Georgeon, Nicolas Vatin & Gilles Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman (2015), p. 1149-1150). Pour d’autres titres, voir les notes du chapitre.

12 Martha Mundy, « Ownership or Office ? » (2004), p. 163-165. 13 Martha Mundy, « The State of Property » (2004), p. 217.

14 Pour la Bosnie, consulter notamment Milan Vasić, « Кнежине и кнезови тимарлије » (1959) ; Milan Vasić,

Мартолоси у југословенским земљама (1967), p. 137-144 et 181-183 — où il est dit que la Bosnie abritait peu de martolos, parce que le service de gendarmerie qu’assuraient ces derniers était inutile dans une contrée précocement

Illustration représentant un sipahi, avec son turban caractéristique (1584)

Tiré du frontispice de Philippus Lonicerus, Chronicorum Turcicorum in quibus Turcorum origo, principes, imperatores, bella, prælia,

cædes, victoriæ reique militaris ratio (...) accessere narratio de Baiazethis filiorum seditionibus, Turcicarum item rerum epitome. Tomus primus, Francofurti, Impensis Sigismundi Feyerabendij, 1584.

Leur prébende comportait deux parties : l’une (hassa), qui en formait la partie inamovible et dont le produit était issu d’une exploitation organisée par le timariote lui-même — des terres cultivées en régie, ou des facteurs productifs comme des moulins, des arbres fruitiers etc. ; l’autre qui résultait simplement de la collecte de taxes et redevances attitrées. En retour, outre qu’il reversait une partie des sommes récoltées, le sipahi était tenu de participer à la guerre à cheval et, selon le montant de son bénéfice, de s’accompagner de fantassins en cuirasse. Cependant, certains bénéficiaires n’appartenaient pas au corps des sipahi, mais à d’autres catégories militaires ou de fonctionnaires ; ils étaient nombreux, y compris en Bosnie. Des happy few bénéficiaient de timars libres : non seulement leur astreinte au service militaire se déclenchait rarement, mais ils pouvaient garder pour eux tous les revenus. Parfois même, un timar était octroyé sans aucune contrepartie ; ce n’était plus alors une prébende, mais une pension.

Le timar n’avait pas de consistance physique immédiate. De nature fiscale, il regroupait des revenus collectés sur des biens à la géographie éclatée. À de rares occasions, ils étaient tirés d’un seul village ; fréquemment, une localité se divisait en plusieurs parts qui revenaient à différents timars15. De cette situation la conséquence empêchait le plus souvent le timariote de collecter ses

15 Sur l’absence d’unité territoriale, on trouve d’intéressants développements dans la thèse de Muhsin Soyudoğan,

recettes, qui en confiait le soin, par affermage, à des collègues proches des biens dont il touchait les revenus.

Les timars se distinguaient ainsi selon leurs revenus et non selon leur superficie ou le droit juridictionnel16. En théorie, le montant classait la prébende dans l’une des trois catégories suivantes : jusqu’à 20 000 aspres, on avait un timar (bénéfice mineur) ; de 20 000 à 100 000, on avait un zeamet (bénéfice majeur) ; au-delà, c’était un has (bénéfice attaché à une fonction ou à un titre). En pratique, les zaim (détenteurs de zeamet) jouissaient d’une prébende en-deçà du plancher théorique, qui descendait parfois même jusque dans les 15 000 aspres17 ; de même, les has pouvaient ne pas excéder les 50 000 aspres18. En fait, le montant allait de pair avec les privilèges accordés et la position des bénéficiaires : les has bénéficiaient aux proches du sultan, aux gouverneurs provinciaux et à leurs aides ; les zeamet donnaient à leurs détenteurs, de hauts officiers, le droit à une large autonomie par rapport à ces derniers, bien que ceux-ci demeurassent leur chef militaire. Hormis les moins bien dotés des timariotes, tous devaient entretenir des soldats proportionnellement au montant de leur timar. Beaucoup de timars étaient divisés en parts (hisse), c’est-à-dire que les détenteurs participaient aux campagnes annuelles à raison de leur part — on a des cas de timars avec 13 bénéficiaires, qui partaient donc une fois tous les 13 ans à la guerre.

Si l’on fait abstraction des dotations particulières, le principe fort simple de la prébende, introduit dans les Balkans à la toute fin du XIVe s.19, se perpétua jusqu’au XIXe s. voire jusqu’au XXe s.

L’historiographie ottomaniste s’est longtemps méprise sur ce point car elle a déduit de l’arrêt des registres d’allocation (divers defter), au début du XVIIe s., que les timars avaient simultanément

périclité. Ce constat se renforçait de l’idée, courante dès cette époque et rarement remise en question depuis, selon laquelle le dispositif des timars entra en décadence à la fin du XVIe s.

justement parce que les sipahi se seraient transformés en seigneurs terriens, ce qui aurait été provoqué soit du fait qu’ils aient été progressivement supplantés par les janissaires et d’autres troupes armées, la plupart payées par le Trésor ou via des fermes d’impôts (mukataa ou mâlikane), soit que la vocation militaire des timars ait périclité en raison de l’extension de l’économie de marché à cette même époque20.

16 Je trouve cette remarque chez Milan Ivšić, Les problèmes agraires (1926), p. 84 note 1.

17 À titre indicatif pour la Bosnie, se reporter à Vladislav Skarić, « Попис босанских спахија » (1930).

18 À titre indicatif pour la Bosnie, se reporter aux commentaires de Hazim Šabanović dans Evliya Çelebi, Putopis (1979), p. 104 notes 54-56.

19 Konstantinos Moustakas, « Early Evidence on the Introduction of Timar » (2009).

20 Huri İslamoğlu-İnan & Çağlar Keyder, « Agenda for Ottoman History » (1987), notamment p. 48 ; Baki Tezcan, The

En-dehors même du fait que l’existence d’une économie de marché sur l’ensemble de l’Empire reste à prouver, cette idée de décadence, lancée par les réformateurs ottomans à la fin du

XVIe s., s’enracine devant le spectacle des défaites militaires ; elle exprime un profond pessimisme alors largement partagé dans l’élite ottomane21. Les deux dernières décennies du siècle virent naître la conscience aiguë des insuffisances du dispositif timarial ; quant à savoir réellement ce qu’il en était, on en juge plus difficilement — les faits sont difficilement séparables de ce qu’on en perçoit. Hasan Kâfî el-Akhisârî (1544-1615), l’un des principaux penseurs de la décadence ottomane, venait justement de Bosnie et y accomplit l’essentiel de sa carrière de juge. C’est dans les ajouts de la traduction turque de son œuvre principale, connue sous le nom abrégé de Nizam ul alem [L’ordre du

dar al-islam], qu’el-Akhisârî s’intéresse à la question timariale. Il déplore que les sipahi n’aillent plus

à la guerre ou n’accomplissent plus leurs devoirs sur le champ de bataille. D’après lui, la situation se serait dégradée dans l’Empire à compter de 1572 et, en Bosnie et en Croatie, aurait empiré vingt ans après avec l’inflation et les réquisitions de guerre abusives. En Bosnie, les officiers supérieurs auraient relâché leur surveillance sur les « soldats » (faut-il comprendre dans ce mot générique les

sipahi ?) et négligé de les nourrir et rémunérer, et la conséquence en aurait été le nombre croissant

de déserteurs au moment des campagnes22. On retrouve des thèmes très proches chez un autre auteur d’origine bosniaque, Müniri Belgradi (m. 1635), a priori lui aussi au fait de ce qui se passait dans l’eyalet23.

Force est pourtant de constater que les timariotes bosniaques étaient encore au XVIIe s. loyaux

et redoutables. La défection générale ne les atteignit pas. En fait, la situation doit être nuancée selon les provinces. De même que toutes les provinces impériales ne connurent pas le dispositif timarial (il ne fut jamais appliqué en Égypte, en Irak, en Arabie, en Abyssinie et dans une partie de la Grande Syrie), il ne se maintint pas partout aussi longtemps et ne périclita pas de façon uniforme24. Par exemple, si on en trouvait encore en Thessalie en 175025, presque tous les timars de la région de

21 Bernard Lewis, « Ottoman Observers of Ottoman Decline » (1962) ; Pál Fodor, « State and Society » (1986) ; Cemal Kafadar, « The Question of Ottoman Decline » (1997-8) ; Douglas Howard, « Genre and Myth » (2007) ; Alp Yücel Kaya, « Des registres impériaux » (2007), p. 266-269 ; Michael Ursinus, « Timar. Les évolutions du système du timar (XVIe-XXe siècles) », in François Georgeon, Nicolas Vatin & Gilles Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman (2015), p. 1150. Pour mémoire : Fikret Pašanović, Bošnjak savjetuje sultana (2015).

22 Hasan Kâfî el-Akhisâri, Izabrani spisi (1983), p. 31-45, 94, 104, 108-110. Sur ma traduction du titre de l’œuvre en français, voir les indications du traducteur, Amir Ljubović, p. 35. El-Akhisârî a été traduit en français par Jean Choquet en 1732 (resté sous forme de manuscrit) puis par Garcin de Tassy en 1824. Je relève la curieuse anecdote sur l’amitié entre ennemis à la frontière bosno-croate p. 106-107.

23 Nathalie Clayer, « Quand l’hagiographie » (2005) — je remercie Nathalie Clayer qui m’a indiqué cette référence. 24 On a un aperçu des différences au début du XIXe s. chez Joseph von Hammer, Des osmanischen Reichs

Staatsverfassung (1815), vol. 2, p. 248-272.

Vidin disparurent à la fin du XVIIe s., et ils furent abolis en Crète en 170326. Avec les réformes de Selim III, ceux dont le titulaire décédait furent repris par le Trésor à partir de 179027. Mais dans les émirats kurdes, ils subsistèrent au moins jusqu’au milieu du XIXe s.28 En Roumélie, on en trouve trace en 1837, sans qu’on sache bien de quelle région précise ils venaient29 ; à Niš, ils subirent apparemment le même sort qu’en Bosnie, c’est-à-dire que les timariotes reçurent une compensation numéraire en 184430. En Albanie31 et en Bosnie, certaines personnes continuèrent à bénéficier de revenus timariaux jusqu’au début du XXe s.

Anonyme grec [Konstantin Kapidagli ?], Sipahi, or cavalry soldier32 (v. 1809) 32,8x21,2 cm, aquarelle

Victoria and Albert Museum (Londres)

26 Muhsin Soyudoğan, Reassessing the Timar System (2012), p. 240. Selon Nicolas Michel, la Crète fut déclarée terre de harac en 1670 (Nicolas Michel, « Terre, statut de la », in François Georgeon, Nicolas Vatin & Gilles Veinstein (dir.),

Dictionnaire de l’Empire ottoman (2015), p. 1135-1138, p. 1137).

27 Michael Ursinus, « Timar. Les évolutions du système du timar (XVIe-XXe siècles) », in François Georgeon, Nicolas Vatin & Gilles Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman (2015), p. 1149-1150, p. 1150. Selim III ordonna le 5 avril 1807, dans sa lutte contre les janissaires, que les biens des janissaires qui meurent sans héritier légal soient repris par l’État. Le sultan envoya des émissaires dans toutes les provinces prendre ces biens ; en Bosnie, ce fut un certain Sejjid Mustafa. Il en alla de même pour les timars — les mulazim (soldats en attente de timar) se sentirent lésés par cette réforme. Voir Galib Šljivo, Bosna i Hercegovina 1788-1812 (1992), p. 282.

28 Nilay Özok-Gündoğan, « Ruling the Periphery » (2014), p. 163. 29 Vladimir Stojančević, Јужнословенски народи (1971), p. 180.

30 Yonca Köksal, « Land Reform in Northwestern Bulgaria » (2010), p. 457-459. 31 Nathalie Clayer, « Note sur la survivance » (1997).

32 Bien que la gravure ait été peinte à Constantinople et qu’on vît, dans la capitale, seulement les sipahi des janissaires, le costume de ce cavalier ressemble de fait à celui d’un cavalier de province.

Avec le timar, on est ainsi face à une institution remarquablement pérenne dans certaines parties de la Turquie d’Europe ; elle perdit sa dimension militaire entre 1834 et 1858 et il ne subsista plus au-delà de cette date que des gedik timarı, c’est-à-dire des timars pour service autre que monté33.

I.A.1.b. Situation générale en Bosnie XVe-XIXe s.

Bien qu’on soit loin des 30 000 sipahi allégués par Enver Imamović (1940-)34, des 20 000 de Safvet-beg Bašagić (1870-1934)35 et Ćiro Truhelka (1865-1942)36, ou même des 10 000 avancés par Ilijas Hadžibegović (1938-2010)37, l’eyalet de Bosnie semble avoir regroupé un nombre assez exceptionnel de timariotes38. En suivre le mouvement dans le temps n’est pas évident car le territoire et l’organisation de l’eyalet varièrent considérablement et incessamment. Ce fut en 1580 que les

sancak (province militaire) de Bosnie (créé en 1463), d’Herzégovine (1470), de Zvornik (v. 1480), de

Klis (1537, avec son rejeton de 1580, le sancak de Lika), de Požega (1538), de Cernik/Pakrac (1557) furent regroupés dans un même ensemble — mais même alors, celui de Požega balança entre la Bosnie et le pachalik de Budim (1541), et plus tard l’eyalet de Kanizsa (1600), ce qui importe ici car jusque dans les années 1630 ses sipahi recevaient leurs timars du beylerbey de Bosnie mais allaient à la guerre avec celui de Kanizsa39. En bref, à cause de cette variation administrative et territoriale, les chiffres qu’on trouve dans les sources et la littérature exigent une lecture attentive.

33 Le gedik concerne par ailleurs des revenus locatifs de biens vakf ; voir Engin Akarlı, « Gedik » (2004) ; Seven Ağır & Onur Yıldırım, « Gedik » (2015).

34 Selon Imamović, la Bosnie donnait d’ordinaire 30.000 cavaliers, voire plus — Enver Imamović, Historija bosanske

vojske (1999), p. 70. Il cite Hazim Šabanović, que je n’ai pu consulter : « Vojno uređenje Bosne od 1463. do kraja XVI.

stoljeća », Godišnjak Društva istoričara Bosne i Hercegovine 11 (1961), p. 173-223.

35 Safvet-beg Bašagić-Redžepašić, Kratka uputa (1900), p. 45. Avouant ignorer le nombre de cavaliers en Bosnie et en Herzégovine, il estime le nombre des mobilisables à 15-20.000, voire plus, du début de la période ottomane jusqu’à 1740. Plus loin, il affirme que la Bosnie, à une époque, abritait 20.000 sipahi (p. 108).

36 D’une part, sur la foi d’une copie de firman non daté, Truhelka affirme qu’à l’origine, on avait 300 sipahi, et qu’ensuite ce nombre serait monté à 10.000 fin XVIe s. (Ćiro Truhelka, Historička podloga (1915), p. 70-71). Je pense qu’il confond avec le corps de cavalerie des janissaires, eux aussi appelés sipahi. D’autre part, Truhelka pense qu’en raison des hisse, on a env. 20.000 sipahi en Bosnie au début du XIXe s., probablement sous l’influence de Bašagić. Ce chiffre sera repris par Vasilj Popović, Аграрно питање (1949), p. 22.

37 Iljas Hadžibegović pense qu’on a de 8.000 à 10.000 sipahi, selon un raisonnement territorial sur lequel je reviendrai. Voir Postanak radničke klase (1980), p. 39.

38 Je n’ai pas consulté Mehmet Emin Yardımcı, 15. ve 16. yüzyıllarda bir Osmanlı livası : Bosna, Beyoğlu, İstanbul, Kitap Yayınevi, 2006.

Pour mon commentaire, je suivrai uniquement les variations numériques des cavaliers du sancak de Bosnie40.

Juste au moment de la réforme de Mehmed II, en 1468, abrogeant les mülk et les vakf de l’Empire, on compte 11 zeamet et 244 timars de sipahi (non compris donc les gedik timarı) dans le

sancak de Bosnie, qui comprend alors des territoires de l’Herzégovine41. Après la formation d’un

sancak distinct en 1470 pour ces derniers, ils sont 332 cavaliers bosniaques en 1485 — y compris

les détenteurs de grands timars, les zaim42. Il ne semble donc pas que la réforme de Bayezid II, qui avait annulé la réforme de Mehmed II, ait laissé sur le carreau de nombreux sipahi, comme ailleurs dans l’Empire. En 1526, à la veille de la bataille de Mohács, 785 sipahi de Bosnie (incluant l’Herzégovine) sont dénombrés43, ce qui représenterait env. 10% du total des timariotes de Roumélie, qui s’élève en 1525 à 10 61844. Si, en 1593, beaucoup de timariotes de Bosnie meurent à

40 Pour des chiffres englobant les sipahi et leur suite, voir Srećko M. Džaja, Konfesionalnost (1999), p. 36 et la note 55. Pour une réflexion concernant le sandjak de Zvornik, voir Adem Handžić, Tuzla i njena okolina (1975), p. 65-71. Pour une réflexion sur l’Herzégovine — qui demanderait à être étoffée — rajouter aux références données dans les notes suivantes Jusuf Mulić, Hercegovina 2.1 (2004), p. 78-92.

41 Ema Miljković, « The Christian Sipahis » (2010), p. 109-110. Je ne prends pas en compte les 20 timars des mustahfiz de la forteresse de Hodidjed recensés en 1455 (Hazim Šabanović (éd.), Krajište Isa-bega Ishakovića (1964), p. 60- 66).

42 Linda T. Darling, « Nasihatnameler in the Late Sixteenth Century » (2014), p. 219. Mustafa Imamović indique 293 timariotes (269 bénéficiaires de timars et 24 zaim (Mustafa Imamović, Historija Bošnjaka (1997), p. 120).

Nedim Filipović indique 1 zeamet et 52 timars pour l’Herzégovine en 1477, et 24 zeamet et 269 timars en Bosnie en 1485, en 1519, il en compte 9 zeamet et 331 timars en Herzégovine (« Bosna i Hercegovina » (1956), p. 117-119, 131) — le chiffre de 1485 sera repris d’après lui par Bistra A. Cvetkova (Les institutions ottomanes (1978), p. 4 ; elle cite la version cyrillique de l’ouvrage, datée de 1960). Ramiza Ibrahimović (maintenant Ramiza Smajić) décompte 18

zeamet et 387 timars pour 18 zaim et 568 timariotes, où les cavaliers (zaim et sipahi) sont 310 et les garnisonnaires

273 (Ramiza Ibrahimović, « Struktura vojničke klase » (1991), p. 279). Elle a aussi compté les prébendiers dans le registre de 1489 pour la Bosnie : elle y trouve 16 zeamet (-2 par rapport à 1485) et 379 timars (-8), soit 16 zaim (-2) et 569 timariotes (+1), répartis en 323 cavaliers (+13), 253 garnisonnaires (-20) et 9 eşkinci (+9). Comme ses chiffres ne correspondent pas tout à fait à ceux de ses collègues et qu’elle montre parfois un manque de méthode dans ses travaux, je préfère les indiquer seulement en note. J’ajouterai enfin qu’un observateur italien des années 1475 comptait sous la bannière du sancak-bey de Bosnie (y compris l’Herzégovine) env. 600 cavaliers (Franz Babinger, Die

Aufzeichnungen des Genuesen Iacopo de Promontorio-de Campis (1956), p. 52-53).

43 Ahmed S. Aličić, « Popis bosanske vojske » (1975), p. 173. Je ne sais pas comment Srećko M. Džaja en arrive à trouver, pour cette date et avec pour seule référence l’article d’Aličıć, 16 zaim et 643 timariotes. On est très loin des 20 000 qu’avance Safvet-beg Bašagić (Kratka uputa (1900), p. 126). En 1530, Benedikt Kuripešić mentionne (sans prétention à l’exhaustivité) env. 500 cavaliers en Bosnie (en passant à Kamengrad, il rencontre un bey Malkočević,

alaybey à la tête d’env. 200 cavaliers ; à Ključ, il rencontre un voïvode, Murat, à la tête de 300 autres — Benedict

Curipeschitz, Itinerarium (1531), p. 17 et 19). A noter qu’en Bosnie, en 1530, les garnisonnaires sont payés en numéraire dans la moitié des forteresses, et par timars dans l’autre moitié (Hatice Oruç, « 1528/30 tarihli mücmel tahrir defterine » — 2010). Giovanni Antonino Menavino rapporte que la Bosnie donnait 800 sipahi (« Vita et legge Tvrchesca » (1519), in Francesco Sansovino, Historia vniuersale (1560), p. 50a.

44 Michael Ursinus, « Timar. Les évolutions du système du timar (XVIe-XXe siècles) », in François Georgeon, Nicolas Vatin & Gilles Veinstein (dir.), Dictionnaire de l’Empire ottoman(2015), p. 1149-1150, p. 1149.

la bataille de Sisak45, dix ans après (en 1602), les bénéficiaires de timars sont tout de même 1 69346 ; ils sont 1 980 une quinzaine d’année plus tard47 et 1 943 en 163148. En 1660, Evlija Çelebi (1611-1682) en indique 1 851 (59 zeamet et 1 792 timars)49.

Cette expansion est largement due au fait que le territoire du sancak de Bosnie s’accrut sans cesse tout au long du XVIe s., notamment avec la chute définitive de la banovine de Jajce (1528), et

qu’il était particulièrement militarisé du fait de sa position frontière. Au siècle suivant, le territoire et le nombre de timariotes furent stabilisés. À cette époque, c’est la Bosnie qui, dans l’échantillon de provinces qu’étudie Linda T. Darling (1945-), comptait très largement le plus de timariotes ; de plus, leur groupe était constitué à 88% de sipahi, une proportion qu’atteignaient peu les autres provinces où les bénéficiaires non militaires étaient plus nombreux50. Là encore, ce poids et cette spécificité étaient liés à l’étendue territoriale et à l’exposition stratégique du sancak de Bosnie.

45 Aleksije Olesnicki, « Tko nosi odgovornost » (1941-42), p. 130-132 ; l’historiographie ultérieure a en général retenu le chiffre de 8.000 soldats tombés sur env. 10.000 (exclusivement bosniaques), sans qu’on sache la part exacte des timariotes — voir Nedim Filipović, « O nastanku feudalnih posjeda » (1953), p. 392.

46 Linda T. Darling, « Nasihatnameler in the Late Sixteenth Century » (2014), p. 219. Behija Zlatar propose le chiffre de 3 000 timariotes environ au début du XVIIe s., mais sans avancer de source (Behija Zlatar, « Bosna i Hercegovina » (1998), p. 101).

47 Hamid Hadžibegić, « Rasprava Ali Čauša » (1947), p. 178. Sur Ali Çauş, j’ai vu que son texte avait été édité et/ou commenté (non consulté) : Midhat Sertoğlu (éd.), Sofyalı Ali Çavuş kanunnâmesi. Osmanlı İmparatorluğu’nda toprak

tasarruf sistemi’nin hukukî ve mâlî müeyyede ve mükellefiyetleri, İstanbul, [Marmara Üniversitesi], 1992. En 1609, Ayn-

Documents relatifs