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Des disparités régionales et subrégionales du taux d’équipement des ménages en climatiseurs, concordantes avec les taux de pauvreté

GESTION DES CONDITIONS CLIMATIQUES EXTRÊMES EN MILIEU MEDITERRANÉEN : LE CAS DES FORTES CHALEURS EN TUNISIE

2.3. Des disparités régionales et subrégionales du taux d’équipement des ménages en climatiseurs, concordantes avec les taux de pauvreté

En Tunisie, compte tenu du pouvoir d’achat de la population et des prix assez élevés des climatiseurs, ces derniers représentent des appareils de luxe, voire des indicateurs d’une certaine fortune (figures 5 et 6). Ils ne peuvent être alors abordables par toutes les catégories socio-économiques de la population, quel que soit le besoin imposé par l’intensité de la chaleur ou l’état de santé des membres de la famille.

Figure 5 : Taux d’équipement des ménages en climatiseurs par gouvernorats et délégations.

Figure 6 : Taux de ménages pauvres en Tunisie (source : Lamine, 2009).

Le cas du grand Tunis, ville de près de 1,5 million d’habitants, montre plus pertinemment les disparités subrégionales et locales de capacité de gestion des fortes chaleurs (figure 7). Les taux d’équipement des ménages en appareils de climatisation peuvent dépasser 60 % dans certains quartiers aisés (Menzah, Nasr…) mais ne dépassent pas 5 à 10 % dans les quartiers populaires du centre ville (Sidi Hassine, Sedjoumi, Ettadhamen…) où les délégations rurbaines environnantes (Mhammadia, Borj Amri, Kalaat Andleus…).

3. Discussion

Les fortes chaleurs représentent un risque permanent pour le confort, la sécurité, voire la survie des individus sous le climat de la Tunisie, particulièrement au cours de l’été et des saisons intermédiaires. Les personnes les plus vulnérables (personnes âgées, enfants, sujets malades) sont les plus exposées aux risques morbides, voire mortels, des fortes chaleurs (Ben Boubaker et Chahed, 2012). Il est courant au cours des épisodes caniculaires et quelques jours après, d’observer des pics de surmortalité attribués aux effets néfastes des fortes chaleurs.

Comme le montrent les figures 3 et 4, ce sont surtout les premières vagues de chaleur de la saison qui fauchent le plus d’individus. Etant donné que les individus les plus vulnérables ont

déjà succombé, créant un certain un effet de « purge », la relation entre température et effectifs de décès se trouve ensuite soit réduite, soit décalée de plusieurs jours. Il va sans dire que les individus décédés, soit au début soit à la fin des épisodes caniculaires, sont victimes d’échec d’adaptation physiologique et/ou de gestion matérielle de l’aléa chaleur.

Figure 7 : Taux d’équipement des ménages en climatiseurs par délégation dans le Grand Tunis.

En effet, dans le contexte des pays en voie de développement, en l’occurrence en Tunisie, une vulnérabilité socio-économique se conjugue à celle d’origine naturelle. Elle reflète la faible résilience des souches sociales les plus défavorisées. L’équipement des ménages en appareils de climatisation artificielle efficients pour la lutte contre les fortes chaleurs est pris dans ce travail comme un exemple d’outil de gestion de cet aléa. Compte tenu du prix d’acquisition de ce genre d’équipement, il n’est pas à la portée de toutes les catégories de la population. De ce fait, il représente un indicateur pertinent des capacités de résilience des ménages.

A l’échelle de la Tunisie (figures 5 et 6), il s’avère que le taux d’équipement des ménages en climatiseurs ne répond pas à une « loi naturelle ». Autrement dit, ce ne sont pas les régions les plus chaudes qui sont les mieux fournies en outils de gestion et de lutte contre la chaleur.

En effet, les figures 5 et 6 reflètent une évolution spatiale inverse, quasi-générale, des deux indicateurs : là où la pauvreté s’intensifie, le climatiseur devient un équipement rarissime, ce qui est le cas surtout des régions intérieures et méridionales du pays. En revanche, dans le nord-est du pays (bien qu’il ne soit pas la région la plus chaude du pays), dans les chefs-lieux des gouvernorats, où la catégorie des fonctionnaires l’emporte, le taux d’équipement des ménages s’améliore inversement à celui de la pauvreté. Il est certain que le mode de vie urbain dominant et la relative aisance de la population y sont pour quelque chose.

A l’échelle du Grand Tunis qui abrite, tout comme la majorité des capitales du monde, les souches sociales les plus contrastées, les disparités spatiales des taux d’équipement en climatiseurs reflètent encore mieux les contrastes socio-économiques entre les quartiers (figure 7). Dans ceux jugés populaires et marqués par leur pauvreté (Ettadhamen, Sedjoumi), la population est incapable de se doter des équipements de lutte contre la chaleur, comme les climatiseurs, d’où des taux d’équipement généralement inférieurs à 10 % (figure 7). En revanche, dans les quartiers les plus aisés (El Menzah, Ennasr), plus de la moitié des ménages sont équipés par un climatiseur au moins.

En somme, spatialement, le taux d’équipement des ménages en climatiseurs évolue dans le sens inverse de celui des ménages pauvres. On en déduit la plus grande vulnérabilité socio-économique des souches sociales les plus démunies, qui se conjugue à une vulnérabilité naturelle déjà partagée avec le reste de la population du pays.

Conclusion

L’équipement des ménages en climatiseurs représente un mode de gestion des fortes chaleurs de plus en plus répandu mais son expansion ne répond pas toujours à une nécessité naturelle. Il est souvent un équipement de luxe, voire un symbole de richesse. Même son usage (Ghrab, 2012) est souvent superflu, exprimant un souci de luxe ou parfois même d’usage non réfléchi. Une réglementation bioclimatique et énergétique est à cet égard nécessaire pour dissuader les catégories sociales les plus aisées de gaspiller de l’énergie, aussi bien à domicile que dans lieux de travail.

En revanche, la réglementation thermique devrait axer sur d’autres modes de gestion et d’adaptation traditionnelle aux fortes chaleurs, moins couteuses, plus économes en énergie et mieux adaptées à l’environnement (architecture bioclimatique, ventilation). De telles techniques méritent d’être encouragées dans le cadre des stratégies de lutte et d’adaptation au réchauffement climatique dont les prémices sont déjà observées en Tunisie.

Références bibliographiques

Ben Boubaker H., 2010 : Les paroxysmes climato-thermiques en Tunisie : approche méthodologique et étude de cas. Climatologie, 7, 56-87.

Ben Boubaker H. et Chahed M.K., 2011 : Changements climatiques et maladies réémergentes en Tunisie : cas de la leishmaniose cutanée zoonotique (LCZ). Actes du 24ème colloque de l’Association Internationale de climatologie, Rovereto, Italie, 81-86.

Ben Boubaker H. et Chahed M.K., 2012 : Fortes chaleurs et surmortalité en Tunisie : approche géoclimatique.

Actes du VIIème colloque du département de géographie. Publication de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba, 28 p. (sous presse).

Gharb A., 2012 : L’adaptation aux conditions climatiques extrêmes en Tunisie : cas des fortes chaleurs.

Mémoire de Master, Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba, 90 pages.

Henia L., 2008 : Climat et mortalité en Tunisie. Bioclimatologie et Topoclimatologie. Publication de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, 173-182.

Lamine R., 2009 : Les régions intérieures de la Tunisie : Conditions du développement humain et enjeux d’aménagement. Géographie et Développement, 18, 5-24 (en arabe).

Sabba S., Ben Boubaker H. et Alouane T., 2011 : Les montagnes méditerranéennes, refuges de confort biothermique en saison estivale : exemple des montagnes tuniso-algériennes. Actes du 24ème colloque de l’Association Internationale de climatologie, Rovereto, Italie, 525-530.

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