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La psychologie sociale a montré l’importance du contexte ou de la situation dans les processus de comparaison sociale entre soi et la cible (Mussweiler, 2003). Ces influences

sont-elles tout aussi importantes concernant la perception de l’avenir ou, au contraire, l’épargnent-elles ? Le contexte dans lequel sont inséré(e)s celui/celle qui juge et la cible de comparaison aurait-il une influence sur la perception des événements futurs pour soi et pour autrui et, par voie de conséquence, pour soi par rapport à autrui ? En résumé, la situation (e.g., compétition vs. coopération) générant la comparaison à autrui pourrait-elle moduler la perception d’autrui et, par conséquent, la perception de soi ?

Ce sont là, dans les grandes lignes, les questions que nous soulevons dans notre thèse

et auxquelles nous avons cherché à répondre au fil des chapitres théoriques ; réponses

synthétisées dans ces quelques pages. Nous avons pu constater que l’OC et la compétition entretiennent des liens et partagent de nombreux facteurs d’émergence ou explicatifs

communs. Plus encore, l’expression d’OC reposant sur la comparaison sociale de son avenir à celui d’autrui pourrait se faire l’écho d’une compétition induite par cette comparaison. La littérature de référence, abordée dans les chapitres 1 et 2, met l’accent sur les explications

intra-individuelles de l’OC et de la compétition reposant sur le traitement de l’information centré sur soi. De nombreux travaux s’accordent à donner une place importante à l’égocentrisme ou au focalisme suscité par la situation compétitive ou expliquant l’OC. Dans cette voie, l’éloignement de l’autre émanant de la situation compétitive et favorisant l’OC est un facteur majeur liant ces deux concepts. Les buts fixés par la compétition et la nature de la

tâche (plus ou moins difficile) participent aux rapprochements que nous faisons entre OC et

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le sentiment de contrôle ou encore la valorisation de soi contribuent également à renforcer

leurs liens. Notons dès à présent que si l’ensemble de ces explications, que nous rappelons brièvement ci-après, demeurent intra-individuelles, c’est parce que l’OC pourrait être facilité

par la situation compétitive ou, plus généralement, par le contexte idéologique dans lequel les

gens, en occident, sont insérés. Nous nous engageons ici vers des explications qui nous apparaissent situationnelles et idéologiques de l’optimisme comparatif.

La compétition ne génère pas nécessairement du confort psychologique. Nous avons noté que la compétition peut générer du stress et de l’anxiété liés à l’incertitude de l’issue attendue. Cette même incertitude a été observée dans la comparaison de son avenir à celui des

autres. Penser à son avenir, à l’éventualité d’une issue négative, aux risques encourus, serait source d’anxiété. Certains chercheurs (Taylor et al., 1992 ; Weinstein, 1980) ont d’ailleurs suggéré que l’expression d’OC serait l’occasion de réduire cette anxiété. Si les résultats sont, dans cette voie, peu convaincants (Butler & Mathews, 1987 ; Harris et al., 2008 ; Shepperd et

al., 1996, 2005 ; Verlhiac et al., 2005 ; voir la revue de Helweg-Larsen & Shepperd, 2001),

cette explication demeure vivace. Les émotions négatives telles que l’anxiété ou le stress qu’engendre la compétition, comparativement à la coopération (Blau, 1954 ; Deutsch, 1949b ; Haines & McKeachie, 1967 ; Johnson & Johnson, 2005, 1989 ; Naught & Newman, 1966), pourraient participer à l’émergence d’OC. En revanche, la coopération tend à participer à un climat globalement plutôt positif (Johnson & Johnson, 2005, 1989) et génère moins d’anxiété comparativement à la compétition (Blau, 1954 ; Deutsch, 1949b). Dans une telle

situation, l’absence d’anxiété ne pourrait-elle pas aboutir à la diminution voire à la disparition de l’expression d’OC ? Retenons néanmoins que cette hypothèse requière maintes

précautions dues aux résultats mitigés sur les liens qu’entretiennent l’anxiété et l’OC. Cependant d’autres facteurs dont les liens ont été montrés et défendus à plusieurs reprises, tels

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que la mise en avant de soi, la valorisation de soi comparativement à autrui ou l’égocentrisme, devraient conduire à des conclusions théoriques plus agrémentées de résultats empiriques.

Dans les situations sociales, l’information auto-pertinente est celle qui retient le plus

l’attention de l’individu (e.g., Kuiper & Rogers, 1979 ; Rogers, Kuiper, & Kirker, 1977). Une de ces manifestations a été repérée initialement par Moray (1959) et nommée « le phénomène

de la soirée cocktail » (cocktail party phenomenon) ; pour exemple, nous allons entendre notre

prénom, même s’il est prononcé à l’autre bout de la salle, dans une soirée bruyante. Dans cette voie, les psychologues sociaux précisent que le soi n’est pas un stimulus social parmi d’autres

puisqu’il est le stimulus le plus important de notre attention (voir Martinot, 2008). Cette centration sur soi, ou manifestation d’égocentrisme, dans le traitement de l’information, a été observée tout aussi bien dans l’expression d’OC que dans les situations compétitives. Très tôt, cette explication a été empruntée pour rendre compte de l’expression auto-avantageuse de son avenir (Weinstein, 1980). Celui/celle qui s’exprime disposerait d’un éclairage différent et de plus d’informations sur lui/elle que sur autrui ou la cible de comparaison (Jones & Nisbett,

1971 ; Verlhiac, 1997, 2000). Ce fait serait d’autant plus remarquable lorsque que la cible de

comparaison est éloignée et non familière à l’individu ; cible sur laquelle l’expression d’OC est la plus forte (Harris & Middleton, 1994 ; Regan et al., 1995) – élément sur lequel nous

reviendrons ultérieurement. Par ailleurs, la comparaison compétitive contribuerait à davantage

retenir ses propres compétences que celles d’autrui afin d’atteindre l’issue escomptée comparativement à une situation coopérative (Chambers & Windschitl, 2004 ; Kruger, 1999 ;

Rose & Windschitl, 2008 ; Windschitl et al., 2008, 2003). Lors du jugement comparatif, la

tendance la plus classique est celle de l’inférence de ses propres qualités et dispositions comme étant supérieures à celles d’autrui (Klar & Giladi, 1997, 1999). De récents travaux débattent de la nature de ces explications : égocentrisme cognitif (Chambers & Windschitl,

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Windschitl, 2004 ; Price et al., 2002). Dans cette dernière approche, ce qui importe dans le

traitement de l’information sur soi et autrui serait moins tant la disponibilité de l’information pour l’individu (i.e., égocentrisme) que son poids dominant et sa focalisation lors de la comparaison à l’autre. Ces mêmes explications, égocentrisme et focalisme, ont été empruntées pour expliquer à la fois l’OC et les conséquences de la compétition. Sur la base de ces premiers éléments, nous conviendrons que l’égocentrisme qu’implique la compétition pourrait accroître l’OC, comparativement à toute situation telle que la coopération qui n’exacerbe pas les différences entre soi et autrui et l’égocentrisme. Toutefois, la centration sur soi est possible uniquement si la situation de jugement demeure contrôlable.

Les travaux sur la notion de contrôle dans l’émergence de l’OC soulignent l’hypothèse de liens entre OC et compétition. Rappelons que le contrôle, sous forme de contrôlabilité des

événements (Milhabet et al., 2002 ; Weinstein, 1980, 1982, 1984 ; Zakay, 1996) ou de

contrôle perçu (Desrichard et al., 2001 ; Harris & Middleton, 1994 ; Klein & Helweg-Larsen,

2000 ; Mc Kenna, 1993 ; Milhabet et al., 2002), est déterminant dans l’expression et la taille

de l’OC. Plus l’événement est jugé contrôlable plus il y a OC (Desrichard et al., 2001). Plus celui/celle qui s’exprime pense contrôler ou davantage contrôler qu’autrui, plus il est probable qu’il/elle exprime de l’OC (Harris, 1996 ; Harris & Middleton, 1994). Shepperd et collaborateurs (1996) montraient que les étudiants sont de moins en moins optimistes à

l’approche des résultats de leur examen et sont mêmes pessimistes juste avant d’obtenir leurs notes ; c’est-à-dire lorsqu’il n’y a plus d’actions possibles pour changer les choses. Ces

mêmes résultats ont été obtenus sur l’optimisme comparatif dans une étude moins connue et citée de Butler et Mathews (1987). Lorsque la capacité de contrôle sur la situation diminue, l’optimisme comparatif disparaît. Le manque de contrôle est également observé lorsque la compétition est trop difficile et qu’elle n’est pas à la portée de l’individu, entraînant pessimisme plutôt qu’optimisme. Windschitl et al. (2008, 2003) ont montré que la perception

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de facilité en compétition tend à accroître l’optimisme alors que la perception de difficulté le diminue. Par ailleurs, lorsque la tâche (ou l’événement) est déjà effectuée et passée la

situation devient incontrôlable et sans possibilité d’action possible. Dans ce cas, il s’agit

davantage d’une évaluation de sa compétence passée lors de la réalisation de la tâche ou de l’événement que d’une évaluation de la réussite ou de l’échec futurs permettant d’exprimer de l’OC tel qu’il est défini dans la littérature. Pour résumer, pour que la compétition aboutisse à une expression d’OC, la perception de contrôle de la part de l’individu qui juge est nécessaire.

Nous venons de rappeler que l’expression d’OC ou l’issue positive de la compétition est plus probable s’il y a contrôle de la situation mais également si la comparaison est descendante (Milhabet et al., 2002 ; Perloff & Fetzer, 1986 ; Weinstein, 1980). Cependant, à capacité de contrôle équivalente, l’optimisme comparatif peut émerger, à condition qu’il y ait sentiment de davantage pouvoir contrôler et d’être plus efficace qu’autrui (Desrichard et al., 2001 ; Milhabet et al., 2002 ; Verlhiac et al., 2005). L’expression d’OC s’exprimerait ainsi

dans des comparaisons soit descendantes soit latérales.

C’est d’ailleurs dans les comparaisons latérales (ou symétriques) que l’enjeu de la compétition devient particulièrement intéressant. Gagner, être meilleur(e) que quelqu’un de tout aussi capable que soi serait un moyen de tirer profit de cette compétition, d’en retirer un

gain personnel (Sherif, 1966 ; Tajfel & Turner, 1986). Les participants à l’étude de Abric

(1987) devaient jouer au dilemme du prisonnier avec un partenaire dont le statut était

manipulé (supérieur vs. égal). Rappelons que ce jeu permet à deux participants de gagner des

points. Le dilemme pour les joueurs se révèle au moment où ils doivent choisir entre le fait de

gagner autant de points que l’autre mais de ne pas en perdre (i.e., choix coopératif) ou le fait de gagner plus de points que l’autre mais avec le risque de finalement tout perdre (i.e., choix

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gain : les deux gagneront autant de points ou l’un gagnera plus de points que l’autre. Les

résultats montraient des comportements plus compétitifs avec un partenaire de statut égal et

plus coopératifs avec un partenaire de statut supérieur. Par ailleurs, le partenaire de statut égal

est décrit comme quelqu’un de compétitif cherchant à vouloir faire perdre son adversaire. Autrement dit, la comparaison symétrique, autorisant l’émergence d’OC, est une comparaison pertinente du point de vue compétitif confortée par l’« illusion de supériorité » observée dans les comparaisons d’égal à égal (Affleck & Tennen, 1991).

Souvenons-nous que l’OC peut émerger et sera d’autant plus fort que l’autre est perçu

comme différent et éloigné de soi (Perloff & Fetzer, 1986). Il est différent en ce que nous ne

lui attribuons pas nécessairement les mêmes aptitudes ou capacité de contrôle qu’à soi. En revanche, l’OC diminue, voire disparait, lorsque la cible est proche et familière ; en attribuant les mêmes aptitudes et capacités qu’à soi-même (Hoorens, 1993 ; Hoorens & Buunk, 1993 ; Perloff & Fetzer, 1986 ; Regan et al., 1995). De plus, rappelons que la compétition génère

également de la distance vis-à-vis d’autrui alors que la coopération tend à le rapprocher et le

percevoir similaire à soi-même (Abric, 1987 ; Johnson & Johnson, 1989). En conséquence, si

autrui demeure plus éloigné de soi en compétition qu’en coopération, l’OC exprimé devrait

être plus fort en compétition qu’en coopération.

L’OC et la compétition pourraient entretenir un autre lien : celui de la valorisation et de la mise en avant de soi mais également de la dévalorisation d’autrui. Contrairement à la

coopération, la compétition permettrait de se mettre en avant et de se valoriser ainsi que son groupe comparativement à autrui ou à l’exogroupe (Aebischer & Oberlé, 2007 ; Festinger, 1954 ; Howard & Rothbart, 1980 ; Sherif, 1966). Comme nous l’avons mentionné à plusieurs

reprises, lors des deux premiers chapitres, les corrélations entre une bonne estime de soi et

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1994). Par ailleurs, d’autres travaux montrent que l’expression d’OC serait l’occasion de montrer une bonne image de soi et d’obtenir l’approbation sociale (Helweg-Larsen & Shepperd, 2001 ; Le Barbenchon & Milhabet, 2005). Toutefois, de récents résultats apportent

quelques nuances. L’OC serait socialement plus utile que désirable (Le Barbenchon & Milhabet, 2005 ; Milhabet et al., 2012). Ces résultats font écho à ceux obtenus par Clérico

(2008), menés dans le cadre de la compétition. En effet, en compétition, les gens ont tendance

à être moins bien jugés sur la dimension de désirabilité qu’en coopération. En revanche, comme nous le mentionnions chapitre 2, il semble plus difficile, en compétition, de trancher

en matière d’utilité sociale. Néanmoins, au vu des relations qui unissent OC et utilité sociale (Le Barbenchon & Milhabet, 2005 ; Milhabet et al., 2012), nous pouvions nous interroger sur la possibilité que la compétition accentue l’OC à des fins d’utilité sociale. L’OC ne pourrait-il

pas être socialement utile au sein de nos sociétés compétitives ? La valeur sociale des

protagonistes de la comparaison sociale pourrait expliquer voire médiatiser la relation entre

optimisme comparatif et compétition. Les buts de performances pourraient être un autre

facteur médiateur.

La compétition, en tant que situation d’interdépendance négative, signifie que le but à atteindre est exclusif : celui qui l’atteint, l’atteint au détriment de l’autre (Johnson & Johnson,

2005, 1989 ; Kelley & Thibaut, 1969 ; Maller, 1929 ; May & Doob, 1937 ; Mead, 1937).

Autrement dit, l’individu cherche à être meilleur qu’autrui pour prétendre à un gain personnel (ou intra-groupe). La compétition suscite un but d’accomplissement lié à la performance

plutôt qu’à la maîtrise (Butera et al., 2006 ; Darnon et al., 2006). Ce n’est pas le cas en coopération. En compétition, contrairement à la coopération, l’objectif est d’être plus performant(e) et meilleur(e) que l’autre. Chercher à être meilleur(e) que l’autre, c’est notamment, comme nous l’avons rappelé, davantage mettre l’accent sur ses propres

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compétences plutôt que sur celles des autres. Cette recherche de supériorité sur l’autre est également ce que nous observons avec la perception auto-avantageuse de son avenir. En d’autres termes, les buts de performances sous-jacents à la compétition pourraient expliquer que l’OC émergent dans une telle situation. Ainsi, l’OC pourrait être l’expression, par cette recherche de performance, d’un sentiment de compétition induit par la comparaison à autrui et les enjeux liés à l’avenir.

Si nous avons identifié des liens entre les facteurs propres à la situation compétitive et

à l’expression d’optimisme comparatif, retenons également que le contexte général dans lequel nous sommes insérés participe à nos jugements (Beauvois, 1994 ; Beauvois & Joule,

1981 ; Kasser et al., 2007 ; Mussweiler, 2003). Apfelbaum (1971) précisait que les gens se

comportent selon le rôle que la société, dans laquelle ils sont intégrés, leur demande ou leur

impose de jouer. L’optimisme comparatif, comme tout autre jugement (ici relatif à l’avenir

dans la comparaison à autrui), ne devrait pas échapper à ces influences. Comme noté à

plusieurs reprises, une large littérature décrit la société occidentale, celle dans laquelle émerge

tout particulièrement l’OC, comme étant compétitive et reposant sur des ressorts compétitifs

(Kasser et al., 2007). Dans ce contexte, il est légitime et pertinent de se demander si

l’expression d’OC ne pourrait pas être le reflet de cette compétition omniprésente dans nos sociétés occidentales ? L’OC serait ici un moyen de tirer avantage de cette compétition. Ces

suggestions laissent entrevoir des explications nouvelles à l’expression d’OC, sur sa dimension idéologique, mais également sur sa dimension situationnelle, alors que la plupart

des explications jusqu’alors développées étaient de nature intra-individuelle. De plus, les explications du lien entre OC et compétition sur la dimension du jugement de valeur sociale

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dimension d’utilité sociale déjà connues de la littérature et s’inscrivant également dans cette dimension idéologique (voir les explications de niveaux 2 et 4 de Doise, 1982). Ainsi, outre

de nouvelles études sur les conditions d’émergence de l’OC, l’apport de ce travail de thèse

tient tout particulièrement à la nature de ses explications à des niveaux généralement peu

explorés en matière d’OC.

Pour conclure cette partie théorique, la littérature de référence met en avant que

l’anxiété, l’égocentrisme ou le focalisme, l’éloignement, la valorisation de soi ou la dévalorisation d’autrui et les buts de performance sont autant de facteurs qui peuvent accréditer l’hypothèse que la compétition tend à augmenter l’optimisme comparatif ; d’autant que les facteurs motivationnels (e.g., valorisation de soi, valorisation du groupe) et cognitifs

(e.g., égocentrisme) participeraient à influencer nos aptitudes, nos habiletés mais également

nos perceptions. C’est dans cet ensemble théorique très large que nous faisions l’hypothèse générale selon laquelle la compétition entretient des liens avec l’OC et qu’elle est susceptible de favoriser l’OC, plus que la coopération ; l’OC étant le reflet du sentiment compétitif. Cette hypothèse a été mise à l’épreuve des faits dans sept études, que nous allons présenter dans le

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