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A. Discussion

La théorie largement répandue chez les gynécologues obstétriciens qui suppose que le traumatisme de l’accouchement vaginal entraîne des lésions tissulaires irréversibles à l’origine de l’IU de la femme mérite d’être modulée au regard de l’importance des facteurs de risque constitutionnels ou acquis qui peuvent se manifester par le biais de l’IU en cours de grossesse.

La plupart des études épidémiologiques ayant analysé la prévalence de l’IU ou de l’IUE pendant la grossesse et le postpartum, retrouvent une prévalence maximale avant l’accouchement et minimale dans les mois qui suivent (123) ; remettant en cause l’idée du commencement de l’IU avec le traumatisme du premier accouchement. Cette théorie qui relie l’incontinence urinaire à l’accouchement vaginal repose sur des constatations évidentes d’altération du plancher lors du passage de la tête fœtale au cours de l’accouchement vaginal. Les lésions du sphincter de l’anus visualisées au cours de l’accouchement vaginal en sont par exemple le témoin direct. Ce traumatisme pelvi-périnéal de l’accouchement est également objectivé par une diminution de la force musculaire du plancher pelvien, par des lésions du plancher pelvien objectivées par l’IRM ou l’échographie en post-partum ou une dénervation comme décrit précédemment. Pourtant il n’est pas certain que ces lésions laissent des séquelles à long terme. En effet , à distance de l’accouchement, les études retrouvent une normalisation de la latence terminale du nerf honteux, de la force musculaire, du hiatus des releveurs et de la mobilité urétrale à l’effort, suggérant des mécanismes de réparation de certaines de ces lésions obstétricales dans des délais plus ou moins longs après l’accouchement (66,162,176,200,201). Cette évolution au cours du temps des lésions obstétricales

traumatiques est à mettre en lien avec l’évolution du taux d’incontinence au cours du post-partum et dans les années qui suivent le premier accouchement.

Dans la vision de Delancey et son équipe (Figure 29), la récupération de la continence dans le post-partum est essentiellement due non pas à la réparation mais plutôt à des mécanismes de compensation, les lésions étant considérées comme irréversibles (202). Dans ce modèle de l’incontinence reliée à la grossesse, le caractère irréversible des lésions explique la réapparition de l’incontinence aux cours du temps et à mesure que les systèmes de compensation font défaut (par exemple le tonus sphinctérien qui va baisser avec l’âge et de façon indépendante des grossesses). Dans ce modèle la césarienne constitue clairement un facteur protecteur et la part liée à la grossesse proprement dite est négligeable.

Figure 29. Concept d’évolution de la fonction du plancher pelvien selon Delancey. Chaque accouchement (flèches) altère la « réserve » du plancher pelvien qui « récupère » grâce à des mécanismes de compensation qui s’altèrent avec le temps.

118 dégradation progressive des mécanismes qui assurent la continence à l’effort avec le vieillissement des tissus, favorisée par une susceptibilité individuelle. Dans ce modèle la grossesse joue par elle-même un rôle important en accélérant ces processus, par exemple par des effets métaboliques comme la prise de poids ou bien des effets tissulaires sur la laxité des ligaments. Ce modèle pourrait expliquer le rôle paradoxal de la susceptibilité individuelle à l’IU qui s’exprimerait de façon différente chez les pares et les nullipares. Il apparaît que l’âge a un effet délétère sur les muscles, les nerfs et les vaisseaux qui participent à la continence. Strasser et al. ont réalisé des biospies à différents niveaux du sphincter urétral sur 7 cadavres féminins et 16 cadavres masculins ; ils ont retrouvé que le nombre de fibres musculaires diminuaient avec l’âge chez les femmes et les hommes (203). Perucchini et al. ont montré les mêmes résultats à partir de biopsies de 25 cadavres féminins (204). Avec l’âge, on retrouve également que l’épaisseur du plancher pelvien diminue (205) et que sa dénervation augmente. Smith et al. ont ainsi montré que cette dénervation en fonction de l’âge touchait aussi bien les nullipares, les pares asymptomatiques et les pares avec IUE, même si elle était plus importante chez ces dernières (163). Ce vieillissement tissulaire entraînerait une IU chez les femmmes présentant des caractéristiques musculo-ligamentaires particulières, différentes des femmes restant continentes. De nombreux auteurs ont en effet retrouvé une modification du métabolisme des fibres de collagène et d’élastine dans les biopsies faites notamment en péri-urétral chez les femmes qui souffrent d'IUE (206–211). Bø et al, dans une étude cas-témoin chez des nullipares, retrouvent également une laxité articulaire plus importante dans le groupe avec IUE (212).

Cette fragilité individuelle, prééxistante à l’accouchement, serait révelée au cours de la grossesse et expliquerait l’association entre IU de la grossesse et IU du postpartum. La grossesse pourrait entraîner des modifications tissulaires du plancher pelvien identiques

au vieillissement. On sait par exemple qu’il existe des modifications tissulaires importantes en cours de grossesse, notamment de la laxité ligamentaire qui diminuent ensuite à l’accouchement (213).

Les variations de poids peuvent expliquer en partie la prévalence accrue de l’IU pendant la grossesse, la rémission en postpartum et la recidive avec l'âge. Dans l’étude EPINCONT, un IMC élevé a été associé à chaque type d'IU (214). Un IMC élevé est également associé à l’IU de la grossesse (96) et la perte de poids à une rémission de l’IU (215). En dehors de l'effet mécanique lié aux variations de poids, un effet métabolique de la grossesse peut

également être en cause. En effet, la grossesse comporte

de nombreuses modifications hormonales et métaboliques qui peuvent être impliquées dans la survenue de l’IU. On sait par exemple que les œstrogènes sont susceptibles de modifier la synthèse du collagène dans les tendons (216), que le métabolisme du collagène est modifié en cas d’IU (206) et que la prise d’oestrogènes après la ménopause favorise l'apparition de l’IUE (217). Les effets métaboliques de la grossesse

à long terme sont connus dans d'autres pathologies chroniques

comme le diabète : la prévalence du diabète est augmentée au cours de la grossesse, et il y a une association entre le diabète de la grossesse et le diabète de maturité.

Comme l’ont suggéré Quiboeuf et al. après analyse des données de la cohorte EDEN, l’« accumulation » des grossesses avec l’accumulation de « variations de poids et des variations hormonales » favoriseraient les fuites avec une variation interindividuelle de date d'entrée dans la maladie en fonction d'une susceptibilité personnelle.

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