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Les travaux présentés dans ce mémoire se situent dans le cadre de l’étude des interactions précoces entre un microorganisme et une plante hôte au niveau de la rhizosphère. La particularité de ces interactions tient à la présence du sol environnant, permettant l’organisation de zones de confinement. Ainsi le sol, avec toute la diversité de structure qu’il peut présenter, constitue une interface entre les deux organismes, une matrice vectrice de signaux préparant à l’interaction dans le cadre d’un dialogue moléculaire, terme qui prend ici toute sa signification (diá lógos « discours à travers »).

Mon travail de thèse s’inscrit dans ce cadre et a porté sur deux thèmes centraux :

-déterminer que deux Ustilaginaceae agents de charbons sur maïs (U. maydis et S.

reilianum) sont deux modèles fongiques de grand intérêt pour étudier les mécanismes

d’infection racinaire

-analyser la perception du GR24 (analogue de synthèse des strigolactones) par les Ustilaginaceae, plus particulièrement par S. reilianum. Le GR24 est un analogue de synthèse des strigolactones, molécules présentes dans les exsudats racinaires intervenant dans les interactions entre plante parasites et plante hôte, et entre les champignons endomycorhiziens et les plantes. Ces molécules pourraient avoir un rôle plus large dans l’organisation de la rhizosphère.

Les Ustilaginaceae : modèles fongiques d’étude des interactions biotrophes parasites racinaires

La racine des végétaux est un organe au niveau duquel s’établissent des symbioses mutualistes d’intérêt agronomique. Les interactions rhizobiennes et endomycorhiziennes sont définies comme biotrophes : ces organismes traversent la paroi des cellules hôtes, établissent une interface cellule à cellule (membrane à membrane avec une matrice d’interface) permettant de puiser des photosynthétats. Ces interactions sont in fine bénéfiques pour la plante car la cellule infectée récupère en retour de l’ammonium provenant de la fixation de l’azote atmosphérique pour la symbiose rhizobienne, des sels minéraux (principalement des phosphates) et un apport hydrique complémentaire pour la symbiose endomycorhizienne. Cette interaction biotrophe sensu stricto n’est pas l’apanage des symbiotes biotrophes : de nombreux agents pathogènes ont aussi cette capacité que l’on observe le plus souvent avec la formation d’un haustorium : suçoir permettant au champignon de puiser des nutriments dans la cellule infectée. Ce suçoir ne plonge pas dans le cytoplasme de la cellule infectée, mais permet d’établir une interaction là aussi membrane contre membrane avec une matrice intermédiaire. Dans ce

type d’interaction, le champignon ne procure aucun bénéfice trophique à la plante, et l’interaction constitue in fine un parasitisme. Cette étape de biotrophie via un haustorium est cruciale dans de nombreuses maladies fongiques très importantes en agriculture (rouilles, charbons, oïdium, anthracnoses telle la pyriculariose du riz…). Des gènes conservés permettant la mise en place de la biotrophie sont attendus chez les végétaux : des essais réalisés sur les mutants LjSym4 de Lotus

japonicus et DMI3 de Medicago truncatula montrent que ces mutants non nodulants ne sont pas

mycorhizés et présentent un profil d’infection très différents par rapport aux pathologies biotrophes (Balestrini et al., 2007; Bonfante et al., 2000).

Utiliser des systèmes d’interaction modèles (i.e. génomes séquencés des deux organismes, approches de génétique directe et inverse disponibles) pour réaliser des analyses comparatives entres les interactions symbiotiques et parasites biotrophes racinaires permettrait de mieux comprendre les mécanismes mis en jeu et de gérer ces interactions. Comment favoriser les unes en limitant les autres ? Pour répondre à cette question, plusieurs analyses transcriptomiques comparatives ont déjà été entreprises :

-symbiose rhizobienne vs symbiose endomycorhyzienne chez les Légumineuses (Manthey et al., 2004)

-parasitisme et symbiose rhizobienne chez les Légumineuses (Ameline-Torregrosa et al., 2006; Nyamsuren et al., 2003)

-parasitisme vs symbioses mycorhizienne chez le riz (Guimil et al., 2005)

Une difficulté de ces approches est qu’il existe peu de modèles fongiques parasites racinaires biotrophes. Ceux ci sont le plus souvent nécrotrophes. Dans l’étude réalisée sur le riz par Guimil et al (2005), un comparatif a été réalisé en réalisant des infections racinaires avec Magnaporthe grisea. Certes il s’agit d’un parasite hémibiotrophe : la formation d’appressorium pour former une aiguille d’infection conduit à la formation d’un hyphe primaire biotrophe, rapidement suivi par la formation d’hyphes nécrotrophes. D’autre part il s’agit d’un parasite foliaire. Des travaux ont montré que M. grisea pouvait infecter les racines de riz en condition de laboratoire (Dufresne & Osbourn, 2001).Toutefois la pénétration ne semble pas s’effectuer comme au niveau foliaire : l’absence de cuticule sur les tissus racinaires entraîne une induction rare d’appressoria et hyphes primaires biotrophes, et le champignon infecte souvent en pénétrant entre les cellules de l’épiderme racinaire et en développant par hyphe nécrotrophe (Sesma & Osbourn, 2004). Dans les conditions utilisées dans l’étude de Guimil (2005), l’interaction n’est pas à proprement parlée biotrophe, et même si l’expression de gènes communs avec la symbiose endomycorhizienne a été définie, il est délicat d’identifier des gènes caractéristiques de la biotrophie conservés dans la biotrophie parasitaire et dans la biotrophie mutualiste. Ainsi, si des analyses comparatives du transcriptome au niveau des racines des plantes entre symbiotes et parasites

ont été réalisées, elles n’ont pas permis à l’heure actuelle d’identifier des gènes cibles marqueurs de l’aptitude à la biotrophie des végétaux.

Dans cet objectif, les Ustilaginaceae constituent des modèles de choix. Nous nous sommes attachés à définir qu’Ustilago maydis, jusque là décrit comme un pathogène strictement foliaire, présente la faculté de pouvoir infecter au niveau racinaire et pouvait être un modèle parasite biotrophe de référence pour de telles études. Dans le chapitre II, nous décrivons que la dichotomie qui sépare S.

reilianum et U. maydis, à savoir une pénétration uniquement racinaire pour le premier et uniquement

aérienne pour le second, est artificielle. U. maydis pénètre les racines de maïs, mais aussi de Medicago

truncatula. Il avait déjà été rapporté qu’U. maydis peut infecter d’autres plantes (Leon-Ramirez et al.,

2004), sans toutefois former de spores. Il en va de même pour l’infection racinaire qui n’entraîne pas la formation de sore.

L’aptitude à la pénétration racinaire d’U. maydis peut être corrélée également au résultat obtenu en chapitre I sur la formation de souches solopathogènes. Ce travail a plusieurs conséquences pour la suite des travaux. D’une part la caractérisation de souches solopathogènes de S. reilianum est d’un grand intérêt pour les études de génétique inverse chez cette espèce. Mais cette étude nous a aussi permis de mettre en évidence qu’U. maydis a une propension à former des souches solopathogènes intermédiaire entre celle observée chez une espèce strictement aérienne (Moesziomyces penicillariae, agent du charbon du mil) et celle observée chez une espèce strictement tellurique (S. reilianum). Nous avons proposé l’hypothèse que la formation de souches solopathogènes est un avantage pour l’infection aérienne. S’il ne faut pas conclure sur ce seul argument que de fait U.

maydis est infectieux au niveau foliaire et au niveau racinaire, force est de constater qu’U. maydis ne

semble pas subir la même pression sélective que M. penicillariae pour former des souches solopathogènes.

L’observation d’une pénétration racinaire par U. maydis permet d’envisager l’utilisation de cette espèce pour rechercher des mécanismes conservés qui seraient mis en œuvre pour établir les interactions biotrophes entre plantes hôtes et champignons, parasite ou mutualiste. Par ailleurs l’outil génomique que constitue U. maydis pourrait constituer un outil très utile dans l’équipe de recherche Symbiose Endomycorhizienne et Signalisation Cellulaire dont le thème principal est l’étude des champignons endomycorhiziens. Une des limitations à l’étude de ces champignons est qu’ils constituent des « anti-modèles génétiques » : génome de ploïdie encore controversée, hyphes coenocytiques multinucléés, espèces difficiles à cultiver (symbiotes obligatoires à croissance lente), non transformables, sans mécanisme de sexualité avéré ou du moins maîtrisée. Seul l’outil transcriptomique est actuellement disponible. Ces approches seront d’ailleurs rendues plus efficaces par la réalisation prochaine du séquençage de son génome, ou du moins par la mise à disposition de données

génomiques quasi exhaustives (le contigage du génome n’est pas assuré du fait du fort taux de régions répétées, du faible %GC, et de la méconnaissance de la taille du génome et de la ploïdie). Dans ce contexte, les données transcriptomiques ne pourront être validées que par une approche fonctionnelle hétérologue. L’utilisation de Saccharomyces cerevisiae en complémentation fonctionnelle est très performante pour les aspects métaboliques, mais n’étant pas un pathogène, cet outil de génétique inverse par excellence (un mutant disponible pour chaque gène) ne peut être utilisée pour valider les mécanismes liés à l’infection ou à la biotrophie in planta. En cela, les Ustilaginaceae (U. maydis et S.

reilianum) pourront être des vecteurs d’expression in planta de gènes de champignons

endomycorhiziens très utiles. Il restera à démontrer la fonctionnalité chez les Ustilaginaceae de l’expression des gènes issus de ces curiosités génétiques que constituent les champignons endomycorhiziens.

Les Ustilaginaceae, modèles d’étude pour la perception des strigolactones

Les Strigolactones sont des molécules dont l’intérêt ne cesse de grandir. Depuis leur découverte en 1966 (Cook et al., 1966), ces molécules ont été très étudiées dans le cadre de l’interaction entre les plantes parasites et leur hôtes. Sur le plan chimique, laboratoires privés et publics se sont appliqués à définir des analogues de synthèse dans l’éventualité d’une application au champ : l’épandage de ces molécules avant semis permettrait dans l’idée des concepteurs de faire germer les graines de plantes parasites présentes dans un sol infesté et d’induire une germination suicide, ces parasites étant obligatoires. Ainsi ont été synthétisés puis brevetés différents « stimulants de germination » des graines de plantes parasites, appelés GR, acronyme du chimiste Gerald Roseberry (Johnson et al., 1981; Johnson & Roseberry, 1977; Johnson et al., 1976; Musselman, 1980). Parmi les nombreuses molécules synthétisées (au moins 60 étant donné l’existence d’un GR62), le GR24 serait le plus actif, et le GR7 serait un bon compromis entre l’activité et la facilité de mise en œuvre de la synthèse (cycle A absent). Malheureusement pour les concepteurs, ces molécules ont un mauvais comportement au sol (élimination du cycle D), et surtout des techniques de lutte plus simples ont été développées (injection d’éthylène dans les sols - Musselman, 1987). Enfin, hormis dans le sud des Etats-Unis où le genre Striga est présent, les autres zones où ces plantes parasites étaient largement distribuées sont très majoritairement représentées par des pays en voie de développement que l’industrie agrochimique ne prenait pas comme marché d’intérêt. Pour ces raisons, les brevets sont tombés dans le domaine public. Toutefois ce contexte change (en relation avec le réchauffement climatique ?) car le risque Orobanche devient de plus en plus prégnant en Europe du sud (France inclue) sur différentes cultures (tournesol entre autres).

Durant les années 85-95, la recherche publique a maintenu l’intérêt porté à l’exploitation en agrochimie des strigolactones à travers deux laboratoires : le laboratoire du Pr Zwanenburg aux Pays Bas et le laboratoire du Pr Takeuchi au Japon (à l’heure actuelle, seul le Dr Yoneyama au Japon continu ces recherches, plus axées vers la chimie analytique). Ces deux groupes de chimie organique ont développé les stratégies de synthèse (Mangnus et al., 1992a; Mangnus et al., 1992b; Mori et al., 1997; Mori et al., 1999; Thuring et al., 1997; Wigchert et al., 1999; Yoneyama et al., 1998), cherchant à travers des études de relation structure-activité à définir les motifs minimaux actifs et à identifier les récepteurs à ces molécules (Reizelman et al., 2003). Par ailleurs l’équipe du Pr Zwanenburg a fourni pendant plusieurs années le GR24 à la communauté scientifique travaillant sur les plantes parasites. Durant ces années, une controverse a eu lieu sur le fait que les strigolactones ne seraient pas les seuls inducteurs de germination des graines de plantes parasites (Wigchert & Zwanenburg, 1999; Yoder, 2001). L’origine de cette controverse tient à ce que les strigolactones ne sont pas présentes que dans les plantes hôtes des plantes parasites, mais semblent être chez la quasi-totalité des espèces végétales, avec toutefois des différences de concentration (i.e. chez Arabidopsis thaliana) et de structures (ce qui semble intervenir dans la spécificité d’hôte d’Orobanche sur certaines espèces). Ceci est d’ailleurs mis à profit pour proposer des stratégies de lutte biologique pour diminuer la pression d’inoculum de graines de plantes parasites dans les sols en réalisant des alternances de cultures avec des plantes fortes productrices de strigolactones mais faux-hôtes résistantes et non hôtes (trap crop comme le cotonnier, le blé, l’arachide) ou sensibles mais récoltées avant que les plantes parasites ne fleurissent (catch crop). Parmi les molécules concurrentes, ont été travaillés les sesquiterpènes lactones chez le tournesol (de Luque et al., 2000) et la sorgoleone (Chang et al., 1986). A noter que de tels composés ne sont pas actifs chez les champignons endomycorhiziens (Besserer et al., 2006). Si les strigolactones ne sont sûrement pas les seuls marqueurs de compatibilité avec les plantes, des travaux ont montré que les plantes produisant moins de strigolactones étaient moins parasitées (Matusova et al., 2005; Siame et al., 1993; Weerasuriya et al., 1993) ce qui est un argument majeur de l’implication biologique des strigolactones dans cette interaction. Avant que l’intérêt des strigolactones dans l’interaction endomycorhizienne ne soit révélé, des travaux avaient montré que la mycorhization limitait l’infection par les plantes parasites (Lendzemo & Kuyper, 2001; Lendzemo et al., 2005). Des travaux ultérieurs indiquent que cet effet résulterait d’un moindre pouvoir des exsudats de plantes mycorhizées à induire la germination des plantes parasites via une diminution de stimulants suite à la mycorhization (Vierheilig et al., 2003). Cette régulation pourrait impliquer les phosphates comme signal (Yoneyama et al., 2007) d’autant que les champignons endomycorhiziens ont une forte capacité à transporter les phosphates in planta (Harrison & van Buuren, 1995). Ces dernières années, la découverte que ces molécules étaient reliées à la synthèse des caroténoïdes (Matusova et al., 2005) marque une nouvelle étape. Avec ce résultat, l’intérêt des strigolactones in planta redouble : le rôle proposé d’enzymes de clivage CCD/NCED des

apocaroténoïdes dans cette synthèse (Bouwmeester et al., 2007) apporte de nouveaux développements suite à l’importance de ces enzymes dans des processus de développement des plantes (Auldridge et al., 2006). Les hypothèses en cours sont analysées dans différents laboratoires, et constituent un domaine très concurrentiel. Dernièrement, la publication de leur implication dans la symbiose endomycorhizienne apporte une nouvelle vision sur ces molécules et le double visage que présente ces molécules à travers leur implication dans une interaction parasite et une interaction parasite (le ying et le yang des interactions selon Paszkowski, 2006) pourrait offrir encore de nouvelles facettes avec les résultats présentés dans ce mémoire sur l’effet du GR24 sur deux champignons parasites, U. maydis et

S. reilianum.

Au cours de ces 40 années d’étude qui ont suivi la découverte du strigol, nous retiendrons que des analogues de synthèse des strigolactones sont disponibles, que leur voie de biosynthèse est en lien avec la synthèse des caroténoïdes, que l’implication biologique des strigolactones dans les interactions implique les plantes parasites, les champignons endomycorhiziens, mais aussi d’autres champignons pathogènes.

Après un descriptif du chemin parcouru, il convient d’appréhender le chemin à poursuivre. i) Quelle est la signification biologique de la perception des strigolactones par U. maydis

et S. reilianum ?

L’utilisation de plantes hypo-productrices en strigolactones au niveau de leurs exsudats racinaires permettrait de définir si elles sont plus tolérantes à ces pathologies, ou plus sensibles.

ii) La synthèse des strigolactones est elle organe spécifique et diffusent-elles ?

Des essais réalisés sur sorgho ont permis de trouver ces molécules dans les tissus foliaires (V. Puech et C. Gomez-Roldan, non publié), mais ces analyses doivent être poursuivies.

iii) Les strigolactones ont-elles une incidence sur la pathologie in planta, ou uniquement sur les étapes précoces ?

Avant d’être exsudées, les strigolactones sont assurément présentes dans les tissus végétaux et pourraient avoir une incidence sur les microorganismes in planta.

iv) Quel est le mécanisme de perception des strigolactones ?

U. maydis, par ses avantages en temps qu’outil de laboratoire, permettrait d’effectuer

des approches dans ce sens (essais de localisation intracellulaire avec des dérivés fluorés, isolement de mitochondries pour tester un effet direct sur la respiration). Le fait que des organismes si différents - plantes parasites, champignons endomycorhiziens, Ustilaginaceae- répondent à ces molécules soulève la question de la perception :

mécanisme conservé ou convergence ? Dans le premier cas, cela soulèverait l’incidence de ces molécules en pharmacologie humaine.

v) D’autres espèces fongiques telluriques sont elles sensibles à ces molécules ? Un screening des réponses respiratoires pourraient être réalisé.

vi) Les strigolactones ont-elles une incidence, parmi d’autres molécules, sur l’organisation de la rhizosphère ?

L’étude de la rhizosphère de plantes mutantes réprimées sur leur biosynthèse de strigolactones, en comparaison au type sauvage, permettrait d’aborder cette question.

Quarante deux ans et toujours de nombreuses questions restent adressés sur les strigolactones, molécules d’avenir.

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