Étude 1. Personnalité et âge subjectif mnésique lors de l’avancée en âge
4. Discussion
La présente étude avait pour objectif général d’approfondir les connaissances actuelles
sur la relation entre les traits de personnalité et l’évaluation subjective de l’âge. S’appuyant
sur un échantillon vie entière, elle visait plus particulièrement à tester si les dispositions
individuelles jouent également un rôle dans l’âge subjectif mnésique, et ce, de manière plus
marquée lors de l’avancée en âge.
Les résultats confirment notre première hypothèse. L’ouverture aux expériences est
associée à un biais de rajeunissement mnésique, et cette association est d’autant plus forte
avec l’avancée en âge. Ce résultat est conforme à celui mis en évidence par Stephan et al.
(2012) pour l’âge subjectif global. Sur la base de la TCF (McCrae et al., 2000), il est probable
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que l’âge subjectif mnésique soit une adaptation caractéristique au carrefour des dispositions
et des influences environnementales. Plus précisément, avec l’avancée en âge, les individus
sont confrontés à de plus en plus de stéréotypes négatifs liés au vieillissement (e.g., Hess,
2006 ; Hummert, 2011 ; Kite et al., 2002 ; Ng et al., 2015), notamment concernant le déclin
de la mémoire lors du processus de vieillissement. Complémentairement, les individus ouverts
aux expériences sont caractérisés par une propension à rejeter les informations stéréotypiques
(Flynn, 2005) et à se contraster des normes socioculturelles (Gebauer et al., 2014). Ainsi, il
est probable que, en réponse à l’exposition à des stéréotypes négatifs ou à la vision
prédominante du déclin de la mémoire avec l’âge, les personnes âgées ayant des niveaux
élevés en ouverture aux expériences se contrastent de leur groupe d’âge et s’assimilent à des
groupes d’âges plus jeunes, résultant en un biais de rajeunissement mnésique (Canada et al.,
2013 ; Stephan et al., 2012 ; Weiss & Freund, 2012 ; Weiss & Lang, 2012). De plus, la
tendance des personnes ouvertes aux expériences à s’engager dans des activités intellectuelles
(e.g., Stephan et al., 2014) pourrait les conduire à préserver leur fonctionnement cognitif lors
du processus de vieillissement et par conséquent à se percevoir plus jeunes par rapport à leur
mémoire.
Cependant contrairement à notre deuxième hypothèse, le caractère consciencieux n’est
pas associé à l’âge subjectif mnésique au cours de la vie. Bien que ce résultat soit inconsistant
avec les travaux existant sur la plainte mnésique (e.g., Pearman & Storandt, 2004 ; 2005), il
est en accord avec celui de Stephan et al. (2012) montrant que le caractère consciencieux ne
contribue pas à un biais de rajeunissement global chez les personnes âgées. Sur la base des
travaux de Gebauer et al. (2014), il est probable que la tendance des personnes élevées en
caractère consciencieux à se conformer aux normes socioculturelles les conduise à considérer
que les troubles de mémoire font partie intégrante du processus de vieillissement, et par
conséquent les amener à se percevoir de leur âge par rapport à leur fonctionnement mnésique.
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De manière surprenante, alors que le névrosisme apparaît être le prédicteur le plus
important de la plainte mnésique (Reid & MacLullich, 2006), il n’est lui aussi pas associé à
l’âge subjectif mnésique lors de l’avancée en âge. En effet, la propension des individus élevés
en névrosisme à ressentir des émotions négatives telles que de la détresse ou de l’anxiété et à
expérimenter les événements de la vie comme menaçants peut les conduire à interpréter les
problèmes de mémoire plus négativement et à se percevoir plus âgés qu’ils ne le sont dans ce
domaine. Cependant, il est possible que les personnes âgées instables émotionnellement dans
notre échantillon n’aient pas encore expérimenté de pertes de mémoire.
Par ailleurs, nos analyses ont révélé que la plainte mnésique est associée
significativement aux âges subjectifs mnésique et global. Plus précisément, des niveaux
élevés de plaintes contribuent négativement aux biais de rajeunissement mnésique et global, et
ce, indépendamment des variables sociodémographiques et des traits de personnalité. Une
explication possible est que les personnes avec des niveaux élevés de plaintes vont avoir
tendance à accorder beaucoup d’importance aux informations négatives liées au déclin des
capacités cognitives avec l’âge (e.g., Hummert, 2011), les amenant à s’assimiler à ces
informations négatives et à se percevoir plus âgées. Des travaux futurs sont nécessaires afin
d’identifier les mécanismes sous-jacents à cette relation.
Conformément à nos expectations, les analyses complémentaires révèlent que
l’ouverture aux expériences contribue à un biais de rajeunissement global. Ce résultat est dans
la lignée des travaux existants (Canada et al., 2013 ; Hubley & Hultsch, 1994 ; 1996 ; Stephan
et al., 2012). En effet, les patterns comportementaux, cognitifs, et affectifs des personnes
ouvertes aux expériences tels que l’engagement dans une pluralité d’activités physiques,
sociales ou intellectuelles (Stephan et al., 2014) les conduisent à se percevoir plus jeunes
qu’elles ne le sont réellement. Cependant, contrairement à l’étude de Stephan et ses
collaborateurs (2012), la contribution de l’ouverture aux expériences dans la présente étude
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n’augmente pas avec l’âge. Il est possible que les personnes âgées ouvertes de notre
échantillon ne se sentent pas menacées par les stéréotypes liés au vieillissement et par
conséquent ne cherchent pas à se contraster de leur groupe d’âge. De manière surprenante, le
caractère agréable est associé à un biais de rajeunissement chez les jeunes adultes, mais pas
chez les adultes d’âge moyen ou les personnes âgées. Ce résultat est inconsistant avec ceux de
Canada et al. (2013) et Stephan et al. (2012) ne montrant aucune contribution de ce trait sur
l’âge subjectif.
Néanmoins, la présente étude comporte plusieurs limites qu’il est important de
considérer. La première concerne l’échantillon. En effet, les résultats sont spécifiques à la
population française, or il existe des différences interculturelles dans le biais de
rajeunissement entre l’Europe et les États-Unis notamment (Westerhof et al., 2003). De ce
fait, d’autres travaux sont nécessaires pour tester si la contribution de la personnalité à l’âge
subjectif mnésique est différente selon les cultures. De plus, notre étude se déroulait en ligne
sur Internet. Par conséquent, il est probable que les personnes âgées qui ont participé à cette
étude ne soient pas représentatives de la population générale. De futures études sur la base de
questionnaires papier sont donc primordiales pour répliquer et généraliser les résultats de
notre étude. Par ailleurs, le devis transversal de ce travail de recherche ne permet pas d’établir
de causalité dans les relations observées. Or, récemment il a été mis en évidence que l’âge
subjectif prédit l’évolution des traits de personnalité (Stephan et al., 2015c). Enfin, cette étude
ne s’est pas intéressée aux mécanismes explicatifs de la relation entre les traits de personnalité
et l’âge subjectif mnésique. Dans la continuité de l’étude de Canada et ses collaborateurs
(2013), des études futures pourraient par exemple tester le rôle médiateur de l’identification
au groupe d’âge dans la relation entre l’ouverture aux expériences et l’âge subjectif mnésique.
En dépit de ces limites, la présente étude contribue donc à l’approfondissement des
connaissances actuelles sur la relation entre la personnalité et l’expérience subjective de l’âge.
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En particulier, elle est la première à mettre en évidence que l’âge subjectif mnésique reflète en
partie les traits de personnalité de l’individu lors de l’avancée en âge. Ce résultat complète
une littérature croissante (Canada et al., 2013 ; Hubley & Hultsch, 1994 ; 1996 ; Knoll et al.,
2004 ; Stephan et al., 2012) et confirme que, parmi les cinq grands traits définis par le MCF
(Costa & McCrae, 1992 ; Digman, 1990), l’ouverture aux expériences est le prédicteur le plus
important de l’évaluation subjective de l’âge. Cependant, cette première étude s’est focalisée
essentiellement sur le rôle des traits de personnalité et n’a pas considéré la possible
contribution de la cognition. La deuxième étude de ce travail doctoral vise donc à examiner le
poids relatif de la personnalité et du fonctionnement cognitif dans l’âge subjectif mnésique.
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Dans le document
Identification des déterminants dispositionnels, cognitifs et environnementaux de l’âge subjectif lors de l’avancée en âge.
(Page 95-100)