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Deux hypothèses avaient été soulevées dans la problématique : la première était que les valeurs de ces parents n'étaient pas en totale adéquation avec celles de la société dans laquelle ils vivent et c'était pourquoi ils avaient souhaité faire « une pause » dans leur routine pour montrer autre chose à leurs enfants. Au vu des points soulevés dans les résultats, on ne peut pas totalement l'infirmer. En effet, certains éléments peuvent nous faire penser que ces parents ne partagent pas les convictions répandues dans notre société, en refusant par exemple de faire carrière, ou en endossant le rôle d'enseignant pour leurs enfants. Or, il faut tout de même constater que chaque famille rencontrée a repris sa place dans la société qu'elle avait quittée. Parfois quelques adaptations ont été nécessaires pour continuer à être en accord avec leurs valeurs : Hervé et Muriel, tous deux avocats, ont entrepris des reconversions professionnelles. L'un ayant rejoint la gestion d'événements sportifs et la seconde a commencé des études dans le domaine de l'environnement.

Cependant, on gardera la volonté parfois affichée de ces parents de faire découvrir à leurs enfants une façon différente d'appréhender le monde, ce qui rejoint ma deuxième hypothèse. L'énoncé de celle-ci était que les parents souhaitaient offrir à leurs enfants deux éducations en parallèle, la première dite « formelle » et la seconde dite « informelle ». De cette façon, les parents souhaitaient ainsi élargir l'éventail des compétences et l'horizon socio-culturel de leurs enfants, afin de leur donner plus de ressources pour affronter leur vie d'adulte. Au vu des résultats avancés, cette hypothèse est largement confirmée. Nous l'avons en effet constaté à maintes reprises, qu'il s'agisse de l'acquisition de connaissances – géographie ou histoire – relatives au lieu qu'ils visitaient, de prise d'autonomie, de prise de conscience vis-à-vis de l'environnement et de ses ressources, ou encore du choix de leur futur métier.

Toutefois, il me semble nécessaire à ce stade, d'amener un bémol quant à l'éducation informelle en voyage. En effet, les relations d'amitiés enfantines entre pairs sont quelque chose qui semble être souvent passé au second plan dans le voyage. Même si dans certains cas d'autres compétences sont développées dans le rapport à l'autre et à l'adulte, tous les parents

pour ainsi dire pas le temps de nouer des relations d'amitié et lorsque c'est le cas, ils doivent aussitôt reprendre le large. C'est principalement pour cette raison que les parents mettent un terme à leur voyage.

Cette prise de conscience a eu lieu pour Laurent et Virginie lorsqu'ils ont été confrontés à une situation réelle. Ils ont rencontré un couple parti en voyage quand leur fille avait 12-13 ans et qui naviguent toujours ensemble depuis une quinzaine d'années. Le papa explique qu'il voulait voir grandir sa fille. Mais de fait, âgée d'une trentaine d'année au moment de leur rencontre, cette dernière n'a pas pu développer des relations d'amitié, avec des personnes de son âge, et Laurent et Virginie ne voulaient pas que cela arrive à leurs enfants. Opter pour le nomadisme était une décision d'adulte et le choix d'une vie sédentaire a été un choix d'enfants. On pourrait dire qu'une sorte d'équité a été instaurée, où la parole de l'enfant était primordiale, puisque ce choix allait de fait engendrer des conséquences importantes pour la suite de leur existence. Ce sont les deux aînés Timothée et Robinson (12 et 10 ans) qui ont fait la demande d'une vie sédentaire. Leurs parents ont donc effectué un dernier séjour en Grèce pendant trois mois avant de se sédentariser, semble-t-il, définitivement.

Muriel, quant à elle, considère sa famille comme des expatriés. Ils ont beaucoup déménagé durant leur vie pour des raisons professionnelles. Il n'habitent Genève que depuis cinq ans, ce qui explique que leurs enfants ne sont pas inclus dans les réseaux d'enfants qui se connaissent depuis la maternelle. Par exemple, ils ne sont pas invités par les autres enfants pour les anniversaires, en raison de va-et-vient réguliers à l'étranger. Dans ces conditions, il est difficile de créer et d'entretenir des relations d'amitié fortes et durables. Cependant, un contre-exemple du voyage en terme de lien social est le fait que Muriel estime qu'ils avaient plus de contacts lors du voyage que pendant leur vie sédentaire, avec leurs amis proches, les enfants de ces amis, les copains et copines des enfants, et les cousines et cousins. Les échanges d'emails et l'utilisation de Skype y est probablement pour beaucoup dans cette famille technophile.

Cependant, les relations virtuelles et épisodiques ne sont pas suffisantes et il était temps que toute la famille se sédentarise pour permettre à leurs enfants de développer des liens d'amitié durable avec d'autres enfants de leur âge. Ainsi, il en ressort que le voyage permettant le

développement de compétences informelles doit être restreint sur la durée et ne doit pas être poursuivi sur le très long terme. Le voyage semble surtout agir comme tremplin vers un mode de vie non conventionnel et d'ouvrir à d'autres possibles, s'inscrivant dans un choix d'éducation en parallèle.

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