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Discussion générale et perspectives

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Discussion générale et perspectives

Trop longtemps négligée parce que l’on considérait que les opérations culturales et les intrants suffisaient à gérer l’état de la parcelle cultivée de manière à en tirer une production proche du potentiel permis par la photosynthèse, la composante biologique fournit des services écologiques dont on reconsidère aujourd’hui l’importance, à l’heure où il faut penser à la mise en place d’une agriculture écologiquement intensive.

Parmi d’autres, le Millenium assessement (Millenium Ecosystem Assessment, 2005) a été un moment décisif de cette prise de conscience de l’importance des services rendus par les organismes vivants du sol, non seulement à l’agriculteur mais également à l’ensemble de la société. Moonen et Bàrberi (2008) distinguent quatre catégories de services : la participation aux principaux processus physiques et biogéochimiques, les services liés au bon fonctionnement des réseaux trophiques, l’implication dans les flux de gènes et les effets directs sur la production.

On connaît depuis longtemps la contribution des vers de terre à la première catégorie de services : ils participent au processus de décomposition de la matière organique, améliorent la biodisponibilité des éléments minéraux, entretiennent la porosité du sol et accroissent la stabilité des agrégats. Leur rôle comme ressource trophique pour d’autres organismes vivants dans le champ cultivé, dont certains sont des auxiliaires des cultures, est invoqué et étudié de manière plus récente (Brookes et al., 1995). Enfin, un certain nombre de travaux actuels mettent en évidence de nouveaux services à travers des effets directs ou indirects des populations de vers de terre sur les plantes (Scheu, 2003 ; Blouin et al., 2005).

Pour ces raisons, les vers de terre sont appelés à jouer un rôle central dans la mise en oeuvre des régulations biologiques au sein des agrosystèmes, indispensables au développement d’une agriculture écologiquement intensive.

Une autre raison de s’intéresser à ces organismes du sol tient au fait que ce sont de bons candidats pour être des bio-indicateurs (Moonen et Bàrberi, 2008). En effet, le niveau de leur population est sensible aux techniques culturales, aux produits que l’on épand, à la qualité et à la quantité de la ressource en carbone, qui représentent des caractéristiques importantes de la durabilité des agrosystèmes (Bockstaller et al., 2008). Même si d’autres organismes vivants, comme les microarthropodes par exemple (Van Straalen, 1998), sont également de bons prétendants, les vers de terre sont appelés à jouer également un rôle

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65 important dans la construction d’indicateurs biologiques de durabilité des systèmes agricoles (Richards et al., 2007).

La plupart des études réalisées sur les communautés lombriciennes en systèmes cultivés établissent de simples corrélations entre les modes de gestion des sols et l’état des communautés de vers de terre.

Cependant, pour intéressantes qu’elles soient, ces études ne permettent pas d’expliquer les processus par lesquels les populations sont affectées et ne décrivent pas leur évolution au sein de l’agrosystème.

Certains auteurs ont modélisé la dynamique de la population d’une espèce de ver de terre mais cela a été fait le plus le plus souvent en conditions de laboratoire (Lakhani et Satchell, 1970 ; Baveco et De Roos, 1996 ; Svendsen et al., 2005). Les rares travaux de dynamique des populations en conditions naturelles ou semi-naturelles l’ont été en prairies (Daniel, 1992) et en zones tropicales, pour d’autres espèces de vers que L. terrestris (Lavelle et Meyer, 1983 ; Martin, 1990 ; Tondoh, 1998).

La parcelle cultivée tempérée présente une difficulté particulière pour l’étude des vers de terre, liée à la fréquence et à l’intensité des perturbations qu’elle subit. Les pratiques culturales influencent les communautés lombriciennes de manière directe et/ou indirecte. Elles modulent ainsi le niveau des populations et influencent leur dynamique.

Dans ce contexte, notre travail de thèse s’est donné pour objectif de contribuer à une meilleure prise en compte de l’effet des systèmes de culture sur les populations lombriciennes, en proposant un modèle capable de prédire l’évolution d’une population de

L. terrestris.

Dans ce travail, nous avons fait le pari de ne prendre en compte que la température et l’humidité, facteurs clés de la dynamique à court terme des populations de vers de terre. Cette option est confortée par un certain nombre de travaux : Daniel (1992) a étudié la dynamique de la population de L. terrestris en Suisse, en prairie régulièrement fauchée, pendant deux ans. Il souligne l’influence de la température et de l’humidité sur la dynamique de cette espèce, même si, dans son expérience, les pluies étaient régulières ; l’humidité du sol n’a donc pas été un facteur limitant. Whalen et al. (1998) comparent les communautés de vers de terre et leur dynamique dans des systèmes cultivés ayant reçus des amendements organiques ou inorganiques. Ils constatent que des mauvaises conditions climatiques provoquent une baisse significative des densités et des biomasses lombriciennes. Par ailleurs, Tondoh et Lavelle (2005), décrivant la dynamique d’une population d’Hyperiodrilus africanus (Oligochaeta, Eudrilidae), concluent qu’en système cultivé, la pluie et l’humidité du sol sont les éléments qui influencent le plus significativement la dynamique des populations de cette espèce de ver.

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66 Nous avons cependant conscience des limites que cette hypothèse induit et différentes pistes d’amélioration seront suggérées dans la suite de cette discussion.

Même si la comparaison des sorties du modèle avec les données mesurées, aussi bien à Grignon (chapitre 3) que sur l’essai de La Cage à Versailles (chapitre 4), montre que la qualité prédictive du modèle est satisfaisante, nous sommes loin encore de pouvoir prédire directement l’effet des systèmes de culture sur les communautés de vers. Malgré cela, il nous semble que cet outil, permettant de comprendre et de simuler l’évolution des populations de

L. terrestris, peut d’ores et déjà être utile dans un certain nombre de cas. Ainsi, il pourrait

servir à prévoir les périodes où la densité de populations dépasse un certain seuil, comme celui que proposent Brown et al. (1999) : ces auteurs ont montré qu’il existait un niveau minimal de biomasse à partir duquel les vers de terre avaient un impact significatif sur la croissance des plantes. Cela pourrait permettre, également, de déterminer les périodes où il faudrait éviter de labourer, sous peine de réduire de manière significative les populations de

L. terrestris.

Par ailleurs, WORMDYN pourrait être utilisé pour éviter d’avoir recours aux méthodes d’échantillonnage des vers de terre qui sont très destructives lorsqu’elles emploient un tri manuel du sol. Les études menées sur les lombriciens rencontrées dans la littérature impliquent généralement un ou deux prélèvements par an. Le choix de la date à laquelle réaliser ce ou ces prélèvements est crucial et WORMDYN pourrait être aussi utilisé pour l’effectuer.

De même, il serait intéressant de coupler WORMDYN avec un ou plusieurs modèles fonctionnels qui permettraient de prédire l’impact de L. terrestris sur, par exemple, la macroporosité du sol et donc sur l’infiltration de l’eau. Un couplage de ce type, quoique portant sur d’autres processus, a été réalisé par Mitchell (1983) qui a lié la croissance et la dynamique des populations du ver Eisenia fetida, à l’intensité de la décomposition de déchets organiques.

Enfin, WORMDYN pourrait être utilisé pour prédire les effets des changements climatiques sur les populations de vers de terre. Ces changements entraîneront une modification de la température et de l’humidité du sol dont on ignore encore les conséquences sur les vers de terre et plus généralement sur la faune du sol.

Pour parvenir à de telles prédictions, la structure et la paramétrisation du modèle WORMDYN devront être perfectionnées afin d’améliorer sa qualité prédictive et de pouvoir le généraliser à d’autres espèces.

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