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L’objectif général de cette thèse est d’améliorer les pratiques de soins aux services d’urgence lors de la fausse couche en vue de faciliter la transition vécue par les parents suite à cet évènement. À notre connaissance, il s’agit de la première recherche qui développe un programme d’intervention centré sur ce phénomène à l’aide d’un modèle logique de développement d’intervention impliquant les différentes parties prenantes, soit les parents et les professionnels œuvrant aux services d’urgence. Cette thèse a été réalisée en deux volets, le premier sous la forme d’une étude qualitative qui vise à approfondir l’expérience des parents aux services d’urgence lors d’une fausse couche et le deuxième sous la forme d’une démarche participative d’élaboration d’un programme d’intervention à l’aide d’un modèle logique visant à améliorer les pratiques de soins aux services d’urgence. Dans ce chapitre sont exposés les principaux constats de la recherche, les considérations théoriques et méthodologiques, les forces et les limites ainsi que les diverses contributions engendrées par le travail de recherche.

Principaux constats

Durant la réalisation de ce travail, il a été possible de constater que le phénomène de la fausse couche aux services d’urgence n’a commencé que récemment à susciter davantage d’intérêt auprès de la communauté scientifique. D’ailleurs, parmi les huit études recensées au chapitre 1 au sujet de l’expérience des parents aux services d’urgence, la moitié d’entre elles ont été réalisées durant les quatre dernières années. En plus, les lignes directrices existantes sur les soins à offrir lors d’une fausse couche aux services d’urgence sont très récentes – 2017 – donc encore méconnues par plusieurs milieux de soins. Certaines raisons peuvent expliquer le manque d’intérêt pour ce phénomène. Tout d’abord, il s’agit d’un sujet lié à la périnatalité, mais qui est pris en charge dans un contexte de soins infirmiers critiques. Les experts cliniques et scientifiques de la périnatalité peuvent délaisser ce type de soins étant donné qu’ils ne sont pas offerts dans un terrain connu. En outre, comme relevé antérieurement, que ce soit dans le monde de la recherche ou dans la société en général, plusieurs ont tendance à banaliser les conséquences

engendrées par la fausse couche. D’un autre côté, il existe une multitude de recherches qui se sont intéressées au vécu des parents lors d’une fausse couche et celles-ci ont rapporté des conséquences notables sur la santé mentale des parents. Pour cette raison, il s’avère essentiel de continuer à approfondir ce phénomène afin de veiller à une meilleure prestation des pratiques de soins auprès de cette clientèle cible.

Le premier volet de la recherche a permis d’acquérir une riche compréhension de l’expérience des parents lorsqu’ils consultent les services d’urgence en raison d’une fausse couche et d’obtenir un portrait détaillé de leurs principaux besoins. Le fait d’inclure les perspectives des parents, des infirmières et des infirmières- gestionnaires dans la recherche a contribué à mieux comprendre le contexte organisationnel sous-jacent à chaque besoin. À notre connaissance, il s’agit de la première étude qualitative qui cible les besoins des parents en consultant différents informateurs clés. Il s’est dégagé une grande cohérence entre les besoins perçus par les parents et par les infirmières. Un total de huit besoins classés en trois catégories – physique, cognitif et émotionnel – ont été relevés. Les besoins physiques incluent le besoin de passer rapidement des examens diagnostiques sur la viabilité de la grossesse et le besoin de planifier un rendez-vous de suivi avec un professionnel de la santé. Parmi les besoins cognitifs, notons le besoin de recevoir des explications détaillées au moment de l’annonce du diagnostic, le besoin de recevoir l’information nécessaire au rétablissement à la suite de la fausse couche et le besoin de recevoir de l’information écrite sur l’expérience de la fausse couche et sur les services de consultation disponibles. Finalement, les besoins émotionnels consistent à recevoir des soins axés sur la santé émotionnelle, le besoin de la mère d’être accompagnée du partenaire et le besoin d’intimité lors du séjour aux services d’urgence. Plusieurs parents ont indiqué avoir été insatisfaits des soins reçus en raison de besoins qui n’avaient pas été comblés lors de la visite aux services d’urgence. Les infirmières n’ont pas joué un rôle clé pour faciliter la transition vécue par les parents, surtout en raison de contraintes organisationnelles dans ce contexte de soins, telles que la surcharge de travail et l’acuité des soins aux services d’urgence ainsi qu’un manque de connaissances au sujet de ce type de soins.

Dans le deuxième volet, un processus rigoureux d’élaboration d’un programme d’intervention visant à améliorer les soins offerts aux services d’urgence a été réalisé à l’aide du modèle logique d’approche théorique de la W.K. Kellogg Foundation (2004). Deux groupes de travail ont été créés pour élaborer les diverses composantes du modèle logique, groupes formés, d’une part, des parents qui avaient consulté les services d’urgence en raison d’une fausse couche et, d’autre part, des professionnels de la santé de différentes disciplines ayant une expertise dans le phénomène ciblé. Les données obtenues au premier volet de la recherche combinées à d’autres données théoriques, scientifiques et expérientielles ont servi de fondement à l’édification des différentes composantes du modèle logique afin d’optimiser l’efficacité du programme d’intervention. À la base, le problème a été identifié comme étant une prise en charge inefficace de la situation de santé des parents qui vivent une fausse couche en raison de l’absence de lignes directrices et d’outils disponibles pour guider les professionnels de la santé. Afin d’y remédier, les stratégies retenues sont celles qui se sont avérées les plus prometteuses pour induire des changements dans l’expérience de soins des parents et pour être implantées de façon réaliste dans un contexte de soins d’urgence. Ces quatre grandes stratégies consistent en : (a) la formation d’un comité interdisciplinaire responsable de diriger les avancées d’amélioration des soins liés à la fausse couche; (b) le développement d’outils pour les parents et les professionnels de la santé dont des lignes directrices, un aide-mémoire de soins et un livret informatif; (c) des ateliers de formation axés sur la pratique réflexive pour les professionnels de la santé des services d’urgence; et (d) l’implantation d’un suivi systématique pour les parents dès leur départ des services d’urgence.

Considérations théoriques : Apports et application de la théorie de la transition

Dans cette section, l’apport de la théorie de la transition à la présente recherche et à l’orientation des soins auprès de personnes qui vivent une transition est discuté. Par la suite, l’application des fondements de la théorie de la transition à la présente recherche est détaillée tout en mettant en lumière certaines limites de la théorie qui

exigent quelques ajustements théoriques pour mieux conceptualiser l’expérience vécue par les parents qui vivent une transition en raison d’une fausse couche et qui consultent les services d’urgence.

Apport de la théorie

La théorie de la transition (Meleis et al., 2000; Meleis, 2015, 2020) a été utilisée dans cette recherche pour conceptualiser l’expérience de la fausse couche. Selon cette théorie, la personne qui vit une transition est confrontée à une situation qui entraine des émotions variées et qui exigent une redéfinition d’objectifs de vie (Meleis, 2015). Les interventions des infirmières et des professionnels sont centrées sur la personne, plus précisément sur les conditions qui influeront davantage ses réponses. Cette conception a guidé la globalité de ce projet de recherche étant donné que l’accent a été placé sur les facteurs qui influençaient davantage les réactions des parents lors de leur visite aux services d’urgence. Dans le premier volet de la recherche, les besoins des parents ont été relevés à partir des conditions de changements qui ont le plus influencé les réponses des parents. Dans le deuxième volet, les stratégies proposées et les résultats visés sont directement liés aux conditions de changements qui ont influencé les réponses des parents.

Comme le soulignent Murphy et Merrel (2009), il est possible d’affirmer que la théorie de la transition est un ancrage théorique qui décrit et met adéquatement en évidence l’expérience des parents lors de la fausse couche. Les concepts de la théorie et leurs relations sous-jacentes sont cohérents avec le vécu des parents qui vivent une fausse couche. L’utilisation de cette théorie a permis de proposer des améliorations aux pratiques de soins en donnant la priorité à la personne et à ses réactions. La plupart des concepts de la théorie sont bien définis et permettent de comprendre la complexité de la transition vécue par les parents lors de la fausse couche, bien que l’expérience des parents puisse être vécue différemment d’une personne à une autre.

Le concept de transition a été ciblé comme un concept central de la discipline infirmière (Chick & Meleis, 1986; Schumacher & Meleis, 1994), mais il s’agit

également d’un concept qui a été exploré par une variété d’autres disciplines dont la psychologie et l’éducation (Willson, 2019). Aux différentes étapes de la présente recherche, il a été possible de constater que l’infirmière a un rôle important à jouer auprès des parents au moment de leur visite aux services d’urgence, sans pour autant négliger l’influence et l’apport des autres professionnels de la santé impliqués dans les soins. L’utilisation de la théorie de la transition dans ce travail permet entre autres de s’assurer que les professionnels de la santé n’axent pas uniquement leurs interventions sur l’aspect biomédical des soins; ce qui a été souvent critiqué par les parents qui consultent les services d’urgence lors de la fausse couche (Covington & Rickabaugh, 2006; Dougherty, 1994; Lee & Slade, 1996; Washbourne & Cox, 2003; Wong et al., 2003).

Les chercheurs de la discipline infirmière utilisent fréquemment des théories d’autres disciplines pour approfondir leur objet de recherche, constat qui fait souvent l’objet de controverses dans la littérature (Bond et al., 2011; Smith & Parker, 2020). En revanche, il est malheureusement moins courant que d’autres disciplines utilisent des théories de la discipline infirmière pour approfondir des phénomènes de recherche ou pour guider des pratiques de soins. Néanmoins, la théorie de la transition est une théorie qui se prête bien à l’utilisation par d’autres disciplines pour approfondir la compréhension des expériences de transition. Elle fournit un langage simple, facilement compréhensible pour différents types de professionnels de la santé, en plus d’être applicable de façon très concrète à la pratique et aux interventions de soins. Récemment, Im (2018) a d’ailleurs soulevé que la théorie de la transition s’avère être un cadre théorique pertinent pour toutes les disciplines liées à la santé puisqu’elle s’intéresse aux personnes dans différents types de transitions. En plus de favoriser le développement du savoir infirmier, l’utilisation d’une théorie provenant de la discipline infirmière par d’autres disciplines contribue à l’avancement des connaissances des autres disciplines, mais aussi à l’évolution de la discipline infirmière.

Application de la théorie

Ce projet de recherche s’est intéressé spécifiquement à l’expérience vécue aux services d’urgence lors d’une fausse couche. Étant donné que l’expérience de transition associée à la fausse couche va au-delà de la visite aux services d’urgence, trois principaux concepts de la théorie ont été utilisés : les conditions de changement, les modèles de réponses (indicateurs du processus) et les interventions infirmières. La théorie a permis de bien cerner l’expérience vécue par les parents bien que certains ajustements de terminologie ainsi que des raffinements de concepts se soient avérés nécessaires. En ce qui a trait aux conditions de changement qui influencent les réponses de la personne dans le processus de transition, Meleis (2015, 2020) en a identifié quatre, soit les conditions personnelles, communautaires, sociétales et globales. Dans cette recherche, les facteurs qui ont davantage influencé les réponses des parents se classent sous la rubrique « conditions communautaires » si l’on se réfère aux exemples énoncés par Meleis et al. (2000). À cet égard, il est important de relever le fait que Meleis n’a jamais explicitement défini chacune des conditions de changement. Des exemples ont été fournis pour chaque condition, mais des définitions opérationnelles gagneraient à être formulées. Dans la présente recherche, les conditions communautaires concernent surtout l’information transmise autant à l’oral qu’à l’écrit, la considération de l’état émotionnel des professionnels, les évaluations diagnostiques pour confirmer la viabilité de la grossesse, le soutien du partenaire et le suivi suivant la visite aux services d’urgence. D’autre part, il s’avère que la terminologie utilisée par Meleis pour décrire les facteurs d’influence dans ce contexte, soit les conditions communautaires, n’est pas optimale étant donné que plusieurs de ces facteurs font référence au contexte hospitalier. Parmi les autres facteurs qui ont davantage influencé les réponses des parents, notons l’environnement des services d’urgence qui ne respectait pas l’intimité des parents. Ce facteur ne semble pas s’inscrire dans aucune des conditions proposées par la théorie de la transition (Meleis et al., 2000; Meleis, 2015). Il y aurait lieu d’ajouter une condition qui tienne compte de l’influence de l’environnement dans le processus de transition des personnes étant donné que Meleis (2015) explicite dans ses postulats que la personne peut être influencée par

son environnement, qu’il soit de natures physique, sociale, culturelle, organisationnelle et sociétale.

En ce qui a trait au concept des modèles de réponses, les lacunes reliées aux soins reçus ont permis de réaliser que les indicateurs de processus mis en place par les parents n’étaient pas, dans la plupart des cas, cohérents avec une transition saine. Parmi les quatre indicateurs de processus relevés par Meleis (2015), soit l’engagement, le positionnement, la recherche de soutien et l’acquisition de confiance, aucun d’entre eux n’a pu être directement relevé auprès des parents qui ont pris part à l’étude, et ce, en raison des différentes lacunes reliées aux soins ou du fait que ce sont des indicateurs qui se sont présentés après la visite aux SU. En ce qui a trait aux indicateurs de processus qui n’ont pas été observés en raison de lacunes dans les soins, notons le positionnement et l’acquisition de confiance. Par exemple, le manque de considération de l’état émotionnel par les professionnels a fait en sorte que les parents ne tentaient pas d’établir des liens ou d’interagir avec les professionnels afin de se positionner à l’égard des autres. À cause du peu d’interactions aux SU, plusieurs parents ont eu l’impression que leur vécu n’était pas important ni significatif pour les professionnels. En plus, le manque d’informations transmises aux SU a nui à l’acquisition de confiance des parents quant aux capacités de ces derniers à faire face à la situation. Plusieurs parents ont verbalisé avoir mis en place certains indicateurs de processus après la visite aux SU, tels que la recherche de soutien auprès de ressources variées et l’engagement, c’est-à-dire l’utilisation de stratégies pour améliorer l’état émotionnel et vivre plus sainement la transition.

Relativement au concept d’interventions infirmières, les résultats du premier volet de la recherche ont permis de cerner que les infirmières n’avaient pas joué un rôle clé dans la facilitation du processus de transition vécu lors de la fausse couche durant la visite aux services d’urgence. Les infirmières étaient peu présentes autant pour combler les besoins en matière de santé cognitive qu’émotionnelle. Des facteurs ont été relevés comme étant responsables de ces lacunes, dont l’absence de lignes directrices et le manque de connaissances des infirmières au sujet des

soins à offrir lors de la fausse couche. Des recommandations ont été émises dans les deux volets de la recherche à l’égard des interventions infirmières et de celles d’autres professionnels. Ces interventions gagneraient à être mises en place, d’autant plus qu’elles sont cohérentes avec celles proposées par Meleis (2015). Parmi elles, notons la clarification de la signification de l’événement par l’écoute active, l’optimisation de la prise de conscience de ce à quoi les parents peuvent s’attendre lors de l’événement, l’inclusion du partenaire dans les soins, l’identification de moments critiques (comme l’annonce du diagnostic) et l’enseignement concernant le diagnostic, le rétablissement, les ressources et les services disponibles. D’autres interventions proposées par Meleis s’adressent davantage à la période qui suit la visite à l’urgence comme le débriefing; la personne a alors mieux cerné la signification de l’expérience et peut ensuite s’engager dans un dialogue. Le moment du suivi se porterait mieux à cette intervention.

Considérations méthodologiques : Apport de la collaboration dans l’élaboration du modèle logique

Cette étude a suivi un processus rigoureux de développement d’un programme d’intervention à l’aide d’un modèle logique d’approche théorique (W. K. Foundation, 2004). Le recours à une approche participative combinée à ce modèle logique a été un élément clé qui a favorisé, voire assuré la réussite du processus de recherche.

En effet, une approche participative communautaire (Israël et al., 2010) a été utilisée pour construire le modèle logique théorique grâce à l’implication et à la collaboration des diverses parties prenantes, ce qui a contribué à une meilleure compréhension du problème (Israël et al., 1998; Israël et al., 2010) et à identifier avec rigueur les différentes composantes du modèle logique. Parmi les niveaux de collaboration qui ont été exploités, notons l’apport crucial de la collaboration avec les patients concernés, c’est-à-dire les parents, et de la collaboration interdisciplinaire. La collaboration avec les parents, qui s’inscrit dans le courant de la recherche axée sur le patient (Instituts de recherche en santé du Canada, 2019), a mené au développement d’un programme d’intervention correspondant de façon optimale aux besoins de la clientèle ciblée. Les parents qui ont été impliqués dans les deux volets

de la recherche avaient des profils différents sur le plan des données sociodémographiques et de l’expérience liée à la fausse couche, ce qui a amené une diversité de perspectives et une riche compréhension de l’expérience de la fausse couche ainsi que des recommandations variées en ce qui concerne les soins requis. En mobilisant les parents, en plus des autres partenaires concernés, il a été possible de bien cerner les priorités pour répondre aux besoins des parents et ainsi de cibler des stratégies susceptibles de mieux atteindre les résultats visés. À la lumière de ces constatations, il s’avère important de promouvoir la recommandation des Instituts de recherche en santé du Canada (2019) d’inclure les patients dans les recherches qui touchent l’amélioration de situations de santé. Les patients sont les mieux placés pour déterminer les priorités d’interventions en raison de l’expérience vécue qui est unique à chacun et des connaissances qu’ils ont acquises par leur expérience. En plus d’améliorer la qualité de la recherche, les parents ont également pu profiter personnellement de certains bienfaits, dont l’impression de se sentir écoutés et soutenus ainsi que le sentiment d’accomplissement lié au fait qu’ils contribuaient à l’amélioration des services de santé.

Quant à la collaboration interdisciplinaire qui a surtout été mise de l’avant dans le deuxième volet de la recherche par l’implication de professionnels de la santé dans l’élaboration du modèle logique, elle a permis l’intégration d’idées et de principes variés grâce aux différentes perspectives des personnes impliquées. Les professionnels qui étaient directement impliqués dans les soins de cette clientèle aux services d’urgence, soit les infirmières et les médecins, ont apporté des informations factuelles et réalistes au sujet du contexte de soins. Les autres professionnels de la santé qui ont une expertise en lien avec le phénomène de la fausse couche ou du deuil périnatal, tels les travailleurs sociaux et le psychologue, ont également apporté une importante contribution même s’ils n’œuvraient pas directement aux services d’urgence. En fait, par leurs idées et leurs interventions, ils

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