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Chapitre 3 : Enrichissement du fromage Camembert en vitamine D 29 

3.4.  Discussion 58 

Le concept de pré-fromage liquide a permis l’élimination de l’étape d’égouttage permettant d’enrichir en vitamine D un fromage sans perte de vitamine dans le lactosérum. Cependant, de légères modifications ont dû être apportées au procédé MMV original dans l’optique de ne produire aucun lactosérum. En effet, dans le procédé MMV décrit par Maubois et Mocquot (1971), le lait de fromagerie était composé de rétentat d’ultrafiltration avec une teneur en protéines totales de l’ordre de 19 %, mélangé à une crème riche en matières grasses à 67 %, pour un extrait sec total d’environ 40 % ce qui a conduit à une faible quantité de lactosérum qui représente environ 8 % du poids du lait de départ. Dans le cas présent, l’utilisation de la poudre de MPC avec le rétentat de lait UF a permis

0 100 200 300 400 500 600 2 7 14 35 Concentration  en  vitamine  D  (UI/g) Temps en jours Croûte Coeur BCD DE BC AB AB E CDE A

d’augmenter la teneur en solides totaux et en protéines du lait de fromagerie et ainsi d’éliminer complètement l’égouttage durant la fabrication fromagère.

En se basant sur ce concept, trois laits de fromagerie ont été formulés, présentant des différences au niveau de leur teneur en protéines totales, matières grasses et solides totaux. Ces trois laits ont permis d’obtenir trois types de fromages différents soient, 1X (témoin) avec un égouttage standard, 3,5X (intermédiaire) avec un égouttage réduit et 7X (extrême) sans égouttage. Avec ces trois traitements, il a été possible de mieux évaluer l’impact de la réduction de la quantité de lactosérum produit sur la diminution des pertes de vitamine D.

La concentration visée en vitamine D pour tous les laits de départ était de 150 UI/g. Or, les teneurs en vitamine étaient plus élevées dans les laits concentrés 3,5X et 7X (Tableau 3-2). Cette différence pourrait être expliquée par la quantité de solution concentrée en vitamine D ajoutée dans chaque lait de fromagerie. Pour des raisons techniques et pratiques (bassins de fromage), le volume du lait de fromagerie utilisé a été réduit selon le facteur de concentration en protéines pour obtenir la même quantité de fromages pour chaque type de lait. Donc, plus la teneur en protéines du lait de fromagerie était élevée, moins le volume de lait utilisé était important et plus la quantité de vitamine D ajoutée était réduite. L’utilisation d’une solution de vitamine D sous forme concentrée a possiblement joué un rôle dans la teneur finale en vitamine D des laits de fromagerie. En effet, une légère variation du volume de vitamine D concentrée ajoutée dans une faible quantité de lait peut grandement influencer la concentration finale. Malgré tout, il peut être considéré que les teneurs en vitamine D des laits de fromagerie étaient proches de la valeur cible de 150 UI/g.

Actuellement, aucune étude n’a été réalisée sur l’enrichissement des fromages à pâte molle en vitamine D. Les bilans en vitamine D des fromages confirment que très peu de vitamine D a été perdue durant les productions fromagères (Tableau 3-3) et sont semblables à ceux obtenus par Wagner et al. (2008) ainsi que par Kazmi et al. (2007) lors de la production de fromage Cheddar. Ces résultats démontrent le respect des bonnes pratiques de productions fromagères ainsi que des analyses.

Maubois et Mocquot (1971) ont démontré également une similarité de composition entre le pré-fromage liquide et le fromage fini. Dans le cas du fromage 7X, où l’égouttage était absent, il était donc prévisible que la composition du fromage soit identique ou presque à celle du lait de fromagerie (Tableaux 3-2 et 3-3). Cependant, par rapport au lait, une légère augmentation des teneurs en solides totaux, en protéines totales et en matières grasses dans le fromage a été observée. Dans le cas présent, en raison de la grande viscosité du lait, le traitement thermique appliqué au lait de fromagerie 7X, (pasteurisation basse), était plus long que dans le cas de la pasteurisation haute utilisée pour les deux autres types de lait (témoin et 3,5X). Cette exposition prolongée à la chaleur a pu provoquer une légère évaporation de l’eau de la matrice, ce qui explique une valeur d’extrait sec total supérieure dans le lait 7X comparativement au lait témoin. Les deux autres traitements (1X et 3,5X) présentent des différences de composition entre les laits de fabrication et le fromage fini en raison de la présence d’une étape d’égouttage.

La composition des trois types de fromages produits était différente (Tableau 3-3). L’humidité plus élevée du fromage 3,5X peut être expliquée par la modification de la cinétique d’égouttage. En effet, les fromages ont été moulés sans avoir subi l’étape du coupage du caillé en grains. Ceci a provoqué une diminution de surface d’exsudation du lactosérum et ainsi, une sortie d’eau moins importante. Mahaut et al. (2000) font également mention d’une rétention d’eau plus élevée dans le caillé avec ce type de procédé de fabrication. La teneur en minéraux plus élevée dans le fromage 7X serait due à l’utilisation d’un rétentat UF riche en minéraux tel qu’observé par Kosikowski et Mistry (1990). De plus, selon Mietton, Gaucheron et Salaün-Michel (2004), la réduction de l’égouttage conduit à une rétention du phosphate de calcium solubilisé dans la matrice protéique. L’absence d’égouttage lors de la production du fromage 7X a donc favorisé la rétention du phosphate de calcium solubilisé.

Les modifications de la composition des laits de fromagerie ont eu des impacts sur la composition du lactosérum obtenu pour le fromage 3,5X, en particulier une quantité de protéines solubles plus importante que dans le lactosérum témoin augmentant ainsi la quantité de protéines totales (Tableau 3-3). De plus, des matières azotés solubles sont générées sous l’action de la présure durant la coagulation du lait et se retrouvent également

dans le lactosérum. Maubois et Mocquot (1971) ont aussi observé l’augmentation de la teneur en azote total du lactosérum lors de l’utilisation du procédé MMV.

Les modifications apportées au procédé MMV ont permis d’obtenir un fromage ayant la composition visée avec une concentration en vitamine D semblable entre le lait de fromagerie et le fromage, donc sans aucune perte de vitamine. Parmi les améliorations apportées on note, entre autre, une réduction de la quantité de présure utilisée, une réduction du temps de coagulation, une réduction de la quantité de lait de départ mise en œuvre ainsi qu’une uniformité de la taille des fromages. Pour le fromage témoin, environ 10 % de la vitamine a été perdue dans le lactosérum (Tableau 3-3). Les volumes initiaux de lait étant différents (32, 15 et 12 kg pour les fromages témoins, 3,5X et 7X, respectivement) et la concentration en vitamine D des laits étant semblable (Tableau 3-1), la rétention de 90 % de vitamine D dans le fromage témoin, explique sa concentration élevée dans le fromage (Tableau 3-2). Dans le cas du fromage 3,5X, où la quantité de lactosérum produit était beaucoup plus faible que le fromage témoin, l’effet de concentration était donc moins prononcé, d’où une concentration en vitamine dans le fromage 3,5X similaire au fromage 7X. L’effet de la concentration de la vitamine D dans la masse de fromage lors de la fabrication de fromage de type Cheddar a également été observé par Wagner (2008) étant donné la présence d’un égouttage lors de la fabrication de ce type de fromage.

En cours d’affinage, il est connu qu’un gradient d’humidité s’installe dans le fromage Camembert lorsque celui-ci est salé par saumurage. En effet, le cœur conserve son humidité alors que la croûte s’assèche graduellement (Le Graet et Brulé 1988). Une variation de la concentration en vitamine D entre la croûte et le cœur en fonction du temps a été observée alors que la vitamine D était uniformément répartie dans le lait (Figure 3-2). De plus, les tests d’affinité de l’émulsion hydrosoluble de vitamine D pour les différents sous-produits laitiers ont démontré que la vitamine D commerciale a une affinité pour la fraction la plus humide (Figure 3-3). La migration de la vitamine D observée entre la croûte et le cœur pourrait donc être expliquée par le caractère hydrophile de la solution commerciale de vitamine utilisée dans cette étude.

Durant l’entreposage du fromage Camembert, Guizani et al. (2002) et Schlesser et al. (1992) ont observé une augmentation de la teneur en solides totaux provoquée par une

évaporation de l’eau à la surface du fromage. Même si, dans le cas présent, l’humidité à la surface des fromages par rapport au cœur n’a pas été mesurée, les observations de Guizani et al. (2002) laissent croire que l’augmentation de la concentration en vitamine D dans les fromages entre les jours 14 et 35 pourrait être expliquée par un assèchement des fromages qui serait dû à une évaporation de l’eau à la surface. Pendant les 14 premiers jours, la concentration totale en vitamine D dans les fromages est stable (Figure 3-18). De plus, aucune perte et/ou dégradation de vitamine D n’est survenue durant l’affinage des fromages de type Camembert. Ces résultats sont semblables à ceux obtenus par plusieurs auteurs (Wagner et al. 2008, Kazmi et al. 2007, Upreti et al. 2002, Banville et al. 2000) pour le fromage Cheddar.

Un des impacts majeurs de la concentration du lait est l’augmentation de la capacité tampon tel qu’observé à la figure 3-10 tel que rapporté par Mietton, Gaucheron et Salaün- Michel (2004). Cette caractéristique est associée à la capacité d’un produit à résister à une baisse ou à une augmentation de pH (Salaün et al. 2005). De plus, Green et al. (1981) ont démontré plus spécifiquement que la capacité tampon élevée d’un rétentat de lait s’oppose à l’acidification et résulte en un pH final des fromages plus élevé. St-Gelais et al. (1992) font également mention de l’augmentation du pouvoir tampon d’un lait proportionnellement à son facteur de concentration. Les composantes contribuant à la capacité tampon des fromages sont les caséines et les protéines sériques, ainsi que leurs produits de dégradation, le phosphate inorganique et les acides organiques tels que l’acide citrique et l’acide lactique (Salaün et al. 2005). Il a également été démontré par Al-Dabbas et al. (2011) que ce sont surtout les produits laitiers contenant de fortes concentrations en protéines qui possédaient le pouvoir tampon le plus élevé en raison du groupement amine et de la protonation du groupement carboxyle des acides aminés. L’enrichissement en micelles de caséines natives par l’ajout de rétentat UF a permis de réduire l’égouttage en moule limitant ainsi l’expulsion du phosphate de calcium solubilisé par acidification. Cependant, le fromage étant plus riche en minéraux, sa capacité tampon augmente (Mietton et al., 2004). Le fromage 7X a présenté une acidification plus lente du caillé pendant la fabrication. Boivin-Piché (2014) a démontré l’absence d’effet de la vitamine D sur les capacités acidifiantes d’un ferment lactique. Selon Saboya et al. (2001), la fraction aqueuse des fromages UF est très riche en sels de calcium, augmente le pouvoir tampon et réduit

ainsi la capacité du ferment lactique à diminuer le pH. Durant l’affinage des fromages, le pouvoir tampon a augmenté (Figure 3-11). L’assèchement des fromages a possiblement contribué à concentrer les solides totaux, ce qui pourrait expliquer l’augmentation de la capacité tampon durant l’affinage.

Les microorganismes présents dans le fromage Camembert (ferment lactique et mycètes d'affinage), sont les acteurs principaux de la modification du pH pendant la fabrication et l’affinage (Jeanson, 2011). Penicillium camemberti possède un rôle majeur dans l’affinage des fromages (Leclercq-Perlat, et al. 2013). Une diminution du lactose et de l’acide lactique sous l’action des microorganismes a été observée pour les trois fromages (Figure 3-9). Ceci est associé à une augmentation du pH du fromage pendant l’affinage. Par la suite, sous l’action des levures et moisissures à la surface (Kluyveromyces lactis, Penicillium camemberti et Geotrichum candidum), un gradient de pH s’est installé entre la croûte et le cœur des trois fromages en fonction du temps (Figure 3-6). Lawrence et al. (1987), Vassal et al. (1986), Mahaut et al. (2000) et Guizani et al. (2002) ont fait mention de l’apparition de ce différentiel de pH pour des fromages de type Camembert ayant des caractéristiques semblables au fromage 1X. En effet, l’acide lactique produit par les lactocoques du ferment lactique est utilisé par les mycètes durant l’affinage des fromages causant ainsi une remontée du pH de surface des trois fromages (1X, 3,5X et 7X). Également, la libération d’ammoniac par le catabolisme des acides aminés contribue à la remontée du pH en surface.

Les taux de protéolyse primaire, secondaire et tertiaire plus élevés du fromage 3,5X à J-35 (Figure 3-12) pourraient être attribués au fait que ce fromage présente une teneur en humidité plus élevée et un ratio sel sur humidité plus faible que les deux autres fromages (Tableau 3-2). Selon Lawrence et al. (1987), une légère variation de l’humidité peut engendrer de grandes différences au niveau de la protéolyse. Ceci est dû au fait que la protéolyse serait plus influencée par le ratio caséine sur humidité que par l’humidité seule étant donné qu’une grande majorité de l’eau est liée à la caséine et à ses produits de dégradation. La teneur en humidité du fromage 7X étant plus faible que les autres fromages, la vitesse de protéolyse était aussi plus faible tel que décrit par Lawrence et al. (1987). Les résultats du fromage 7X sont semblables à ceux observés par Hannon et al.

(2009) pour qui la protéolyse d’un Camembert-UF est plus lente qu’un Camembert traditionnel. Des observations similaires ont été faites par Bech (1993) dans le cas du fromage Danbo-UF et par Benfeldt (2005) dans le cas du fromage Havarti 45+.

L’affinage correspond, entre autres, à une phase de digestion enzymatique qui modifie la texture et la saveur du fromage (Sousa et al. 2001). Pour le fromage 1X, le bord du fromage présentait une fermeté plus faible (Figure 3-15) en raison du gradient de protéolyse qui s’installe à partir du bord vers le centre sous l’action des enzymes de la flore de surface. Également, une adhérence plus importante dans la zone Cœur-Centre par rapport à la zone Croûte-Bord, peut être expliquée par la protéolyse moins avancée dans cette zone. De telles observations ont déjà été faites par McSweeney (2004). La friction sur l’aiguille était plus importante dans le cœur du fromage 1X ce qui s’est traduit par un travail nécessaire plus grand afin de dégager l’aiguille du fromage. Comparativement au fromage témoin, les fromages 3,5X et 7X possédaient un cœur très uniforme, mais très différent l’un de l’autre, soit entièrement protéolysé (3,5X) ou non protéolysé (7X). Le cœur du fromage 7X était donc très ferme comparativement au fromage 3,5X. Ceci est dû au fait que les nombreux produits de dégradation de la caséine générés durant la protéolyse du fromage 3,5X sont hydrosolubles et ne contribuent plus à la structure protéique (Lawrence et al. 1987).

Des défauts de texture et de flaveur peuvent être observés chez les fromages fabriqués à partir de pré-fromage liquide en raison de la forte minéralisation du caillé et de la capacité tampon plus élevée (Salaün et al. 2005). Hannon et al. (2009) font mention de la présence d’une texture semblable à celle du carton dans le cas des fromages UF. Également,

l’utilisation de l’UF pour concentrer le lait de fromagerie engendre une matrice protéique plus compacte diminuant ainsi la porosité du caillé. Mistry et al. (2006) ont observé que ces matrices protéiques plus compactes peuvent causer une fermeté plus importante. La texture des fromages est également fortement influencée par le ratio de caséines intactes par rapport à l’humidité (Lawrence et al. 1987). Cependant, l’analyse du profil de caséines n’a pas été réalisée durant le projet. Il serait également possible d’effectuer certaines modifications au procédé de fabrication pour augmenter le taux de protéolyse et améliorer la texture du fromage 7X, par exemple ajuster le taux de présure, ajouter des enzymes

protéolytiques ou modifier le ferment (Bech, 1993). Ainsi, il serait possible de développer des textures et des flaveurs qui se rapprocheraient de celles d’un fromage témoin.

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