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D. El Omari et al Frequency of substance use disorders in patients

IV. DISCUSSION

De nombreux travaux aujourd‟hui soulignent que les rapports entre consommation de cannabis et troubles schizophréniques sont étroits et bidirectionnels [Ferdinand et al. 2005a; D'Souza et al. 2009; Hides et al. 2006]. La consommation de cannabis peut être un facteur de risque de troubles psychotiques, mais sur un plan épidémiologique, elle n‟est ni nécessaire ni suffisante pour être considérée comme une cause de schizophrénie. En effet, beaucoup de patients atteints de schizophrénie n‟ont jamais consommé de cannabis et la majorité des sujets qui ont expérimenté le cannabis ne présentent pas de troubles psychotiques. Les raisons pour lesquelles certains sujets vont présenter des troubles psychotiques prolongés après exposition au cannabis restent mal connues. Certains facteurs augmentent le risque de troubles schizophréniques après consommation de cannabis : la précocité de la consommation [Arseneault et al. 2002], la dose cumulative et la durée de consommation de cannabis [Moore et al. 2007 ; Van Os et al. 2002 ; Zammit et al. 2002], les antécédents familiaux de troubles psychotiques [Mc Guire et al. 1995], les porteurs de l‟allèlle val-val de la COMT [Caspi et al. 2005], les traumatismes dans l‟enfance [Haley et al. 2009], en particulier antécédents d‟abus sexuels [Compton et al. 2004b; Houston et al. 2008] et les troubles de la personnalité schizotypiques. Il est vraisemblable que c‟est l‟interaction de la consommation de cannabis avec d‟autres facteurs de risque, génétiques, neurodéveloppementaux et environnementaux (complications obstétricales, milieux urbains, immigration, abus sexuels dans l‟enfance...) qui explique l‟augmentation du risque de schizophrénie après exposition au cannabis [Caspi et al. 2005; Houston et al. 2008; et pour revue : Degenhardt et al. 2009; Di Forti et al. 2007; D'Souza et al. 2009; Luzi et al. 2008; Verdoux et al. 2004, 2005].

Nous avons montré que, parmi les patients schizophrènes exposés, certains patients présentent une sensibilité particulière au cannabis définie par le fait de présenter un premier épisode psychotique dans les 30 jours suivant le début de la consommation de cannabis, ou après l‟augmentation marquée de la consommation ou de présenter une réapparition symptômes psychotiques marqués à chaque nouvelle consommation.

Cette hypersensibilité aux effets psychotomimétiques du cannabis est associée à un pattern particulier clinique caractérisé par (1) un âge de début de consommation précoce, en accord avec l‟hypothèse d‟une sensibilisation des circuits visés par le cannnabis (2) des antécédents familiaux de troubles psychotiques

1) Dans une population de 198 patients atteints de schizophrénie de sexe masculin, les consommateurs de cannabis présentaient des symptômes positifs plus marqués lors de l‟évaluation, réalisée après sevrage et stabilisation des troubles psychotiques. Un

sous-groupe de patients sensibles aux effets psychotomimétiques du cannabis a été isolé (n=46). Ces patients étaient plus jeunes que les patients non sensibles. Dans ce groupe, l‟âge de début du 1er

épisode psychotique s‟est révélé plus précoce de 2 ans et demi par rapport au groupe de patients non sensibles aux effets psychotomimétiques du cannabis. Ce groupe était également caractérisé par une plus grande fréquence des antécédents familiaux de troubles psychotiques et une consommation de cannabis plus précoce (14 mois) par rapport aux patients abstinents.

2) Dans une population de 45 patients non psychotiques, dépendants au cannabis, suivis dans un service d‟addictologie, nous avons retrouvé des scores de signes neurologiques mineurs significativement plus élevés que chez les sujets témoins (respectivement 8,90 ±4,85 contre 6,71 ±2,73, ANOVA F=6,97, p=0,01), en particulier des scores de coordination motrice et d‟intégration sensorielle. L‟étude, transversale, ne permet pas de savoir si les SNM sont induits par la consommation régulière de cannabis, s‟ils préexistaient avant la consommation de cannabis ou s‟il y a un troisième facteur qui explique simultanément la consommation de cannabis et l‟existence de SNM. L‟augmentation des scores de SNM dans une population de patients dépendants au cannabis, préexistants ou induits par la consommation, confirme l‟hypothèse d‟une convergence des circuits modifiés par le cannabis et ceux impliqués dans la schizophrénie, notamment ceux associés au cervelet, particulièrement impliqué dans la coordination motrice et l‟intégration sensorielle. L‟influence du cannabis sur ces circuits pourrait constituer un des mécanismes par lequels le cannabis favorise l‟émergence les troubles schizophréniques, mais ce domaine reste à explorer de façon plus directe. Enfin, l‟existence de signes neurologiques mineurs chez les patients dépendants au cannabis non psychotiques, rend nécessaire de prendre en compte la dépendance au cannabis dans les études évaluant les SNM dans des populations de patients schizophrènes.

3) Dans une population de patients atteints de schizophrénie de sexe masculin suivis en psychiatrie, nous avons retrouvé des scores aux échelles d‟impulsivité et de recherche de sensations plus élevés chez les patients avec abus/dépendance au cannabis (n=45) par rapport aux patients sans abus/dépendance (n=64) (scores d‟impulsivité, respectivement : 68,5 ±15,7 vs 54,2 ±12,3, ANOVA : F=28,45, p<0,0001 ; scores de recherche de sensations, respectivement : 21,9 ±6,6 vs 15,9

±6.1, ANOVA : F=23,02, p<0,0001). Néanmoins, l‟impulsivité et la recherche de sensations ne sont peut-être pas spécifiques des patients atteints de schizophrénie, par exemple des liens entre ces dimensions et l‟abus de substances dans les troubles bipolaires ont été retrouvées, mais là encore, le cannabis n‟a pas été étudié spécifiquement.

4) Dans l‟étude réalisée dans un service universitaire au Maroc, nous avons retrouvé que le profil des conduites addictives chez les patients atteints de schizophrénie (n=77) était différent de celui retrouvé dans les études antérieures en Europe ou en Amérique du Nord : la fréquence de l‟abus/dépendance au cannabis sur la vie entière était de 35%, se situant parmi les fréquences les plus élevées des études antérieures. En revanche, la fréquence de l‟abus/dépendance à l‟alcool était de 4% seulement, se situant parmi les fréquences les plus basses des études antérieures. La fréquence des autres substances était très faible et la fréquence de la consommation régulière de tabac sur la vie entière, 77% (66% au moment de l‟étude), était comparable aux résultats des études antérieures. Le profil de l‟abus de substances des patients atteints de schizophrénie au Maroc était comparable avec celui que avions étudié en Tunisie pour l‟alcool et le tabac, mais nettement plus élevé pour l‟abus/dépendance au cannabis (11% d‟usage en Tunisie seulement). Ces résultats suggèrent que la disponibilité des drogues et le contexte socio-culturel jouent un rôle dans les patterns d‟abus/dépendance retrouvés chez les patients atteints de schizophrénie.

Ces études peuvent contribuer à mieux comprendre les interactions entre consommation de cannabis et les troubles schizophréniques. Il existe des facteurs de vulnérabilité génétiques aux troubles schizophréniques, notamment lorsqu‟il existe des antécédents familiaux de troubles psychotiques ou du spectre schizophrénique tel que les troubles schizotypiques, dont certains vont faciliter la transition psychotique lors de l‟exposition au cannabis (comme cela a été suggéré par exemple, chez les porteurs de l‟allèlle val-val de la COMT [Caspi et al. 2005], mais qui n‟a pas été retrouvé dans toutes les études). Dans une perspective neurodéveloppementale, la consommation de cannabis seule ou associée à d‟autres facteurs environnementaux (disponibilité du produit, facteurs socio-culturels, traumatismes dans l‟enfance, notamment abus sexuels) peuvent favoriser la transition psychotique, notamment chez les sujets les plus à risque sur le plan des antécédents familiaux de psychoses et/ou les plus vulnérables sur le plan de facteurs tempéramentaux tels que l‟impulsivité et de recherche de sensations qui favorisent l‟abus et la dépendance précocément. La précocité de

la consommation, la dose cumulative et la durée de consommation de cannabis augmentent encore le risque de troubles schizophréniques. Nos études renforcent la plausibilité d‟un rôle causal du cannabis dans la survenue de troubles schizophréniques : l‟accentuation des signes neurologiques mineurs avec la consommation de cannabis renforce l‟idée de circuits communs entre ceux altérés par la consommation de cannabis et ceux impliqués dans la schizophrénie. De même, l‟existence d‟un sous-groupe de sujets plus à risque en raison de leur sensibilité particulière aux effets psychotomimétiques du cannabis, notamment en cas de début de consommation précoce et d‟antécédents familiaux, renforce la plausibilité biologique des liens entre consommation de cannabis et troubles schizophréniques.

Sur un plan neurobiologique, l‟interaction du THC avec le système cannabinoïde joue vraisemblablement un rôle important lors de la phase de développement cérébral lors de de l‟adolescence (modulation d‟autres neurotransmetteurs, influence sur la prolifération, la migration, la différentiation, la morphogenèse et la synaptogenèse des neurones, en particulier sur l‟arborisation dendritique, ainsi que dans la réponse aux phénomènes d‟excitotoxicité neuronale, de stress et d‟inflammation), ce qui a été souligné par de nombreux auteurs et qui semble particulièrement intéressant à explorer [Pour revue : Berghuis et al. 2007; Dervaux et al. 2004; Di Marzo 2009; D‟Souza et al. 2009; Harkany et al. 2008; Krebs et al. 2003; Luzi et al. 2008; Mulder et al. 2008 ; Verdoux et al. 2002, 2004]. Nos travaux ont des limites : il s‟agit d‟études transversales cas-témoins, ne permettant pas d‟établir des liens de causalité. Par ailleurs, les patients inclus ne sont pas nécessairement représentatifs des patients dépendants au cannabis et/ou des patients atteints de schizophrénie. Les patients avec abus/dépendance ont pu sous estimer leur consommation de cannabis ou d‟autres drogues, néanmoins certaines études ont retrouvé une bonne corrélation entre les déclarations des sujets et les analyses toxicologiques, en particulier chez les patients patients atteints de schizophrénie [Hides et al. 2006].

Parmi les forces de notre travail, nous avons utilisé la Diagnostic Interview for Genetic Studies (DIGS), élaboré par le National Institute of Mental Health, pour évaluer les caractéristiques cliniques des patients. La DIGS est un entretien structuré permettant notamment d‟évaluer les principaux troubles psychiatriques, de rapporter l‟histoire médicale et psychiatrique sur la vie entière des sujets par ordre chronologique et de distinguer les troubles induits par les substances des troubles primaires en cas de comorbidité. L‟utilisation de la DIGS a ainsi permis d‟homogénéiser les diagnostics. Dans nos études, les sujets consommant d‟autres substances psychotomimétiques proches de ceux induits par le cannabis ont ainsi été exclus, limitant les biais de troubles psychotiques induits par d‟autres substances, en particulier les amphétamines, la kétamine et le PCP.