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Discussion

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 79-84)

IV. Effet du traitement ARV précoce sur les comportements

IV.4. Discussion

À travers cette étude socio-comportementale nichée dans un essai contrôlé randomisé en cours, nous avons mis en évidence des diminutions dans les niveaux de plusieurs indicateurs de comportements sexuels dans les 24 mois faisant suite à l’inclusion ; et ce à la fois chez les patients ayant initié un traitement ARV précocement et ceux randomisés dans le groupe initiant le traitement selon les recommandations de l’OMS. Les diminutions observées semblaient résulter d’une entrée précoce dans les soins plutôt que de l’initiation d’un traitement ARV (précoce ou non). Ces changements intervenaient principalement durant la première année suivant l’inclusion dans l’essai, puis semblaient être maintenues dans les 12 mois suivants. Par ailleurs, les diminutions observées dans les niveaux de rapports non protégés et rapports à risque pour le dernier rapport tendaient à être plus prononcées pour les patients déclarant un dernier partenaire non-cohabitant comparativement à ceux rapportant un partenaire cohabitant.

Les comportements sexuels chez les personnes VIH-positives en Côte d’Ivoire ont fait l’objet d’études antérieures. Dans ces études, conduites parmi des patients traités ou non, la proportions des participants ayant été sexuellement actifs dans les 6 derniers mois était comprise entre 50 et 65%

(Moatti et al. 2003; Diabaté et al. 2008; Protopopescu et al. 2010). Le niveau plus élevé d’activité sexuelle dans les 12 derniers mois observé ici (71%) est cohérent à la fois avec une période de rappel plus longue et un état de santé potentiellement meilleur parmi notre population d’étude constituée de patients à un stade précoce de l’infection à VIH. Les études précédentes documentaient également des niveaux de rapports non protégés, mesurés à travers la proportion d’utilisation irrégulière du préservatif (i.e. au moins un rapport non protégé dans les 6 derniers mois), variant de 20 à 30%, ce qui est cohérent avec la proportion de 25% de participants déclarant un dernier rapport non protégé dans notre étude.

Quatre indicateurs de comportements sexuels ont été utilisés pour cette étude. Celui qui peut être considéré comme le meilleur proxy de l’exposition du partenaire à l’infection à VIH est certainement le rapport à risque (rapport non protégé avec un partenaire de statut VIH négatif ou inconnu). Dans les deux groupes ARV, la valeur de l’OR d’un dernier rapport à risque entre M12 et M0

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était d’environ 0,5 (Tableau 4) ; ce qui, compte tenu de la prévalence des rapports à risque, représente une diminution d’environ 40% entre M0 et M12 (Davies et al. 1998). Cet indicateur intègre les informations concernant l’activité sexuelle, l’utilisation du préservatif et la sérodifférence/concordance entre partenaires. Des analyses complémentaires suggéraient que ces tendances temporelles ne reflétaient pas seulement une diminution globale de l’activité sexuelle, mais également une augmentation de l’usage du préservatif et de la connaissance du statut VIH du partenaire (résultats non présentés). Dans le cadre d’essais de prévention du VIH, des diminutions dans l’activité sexuelle, le nombre de partenaires et les rapports non protégés ont également été documentées (Guest et al. 2008; Abdool Karim et al. 2010; Baeten et al. 2012). À l’échelle de la communauté, une augmentation de l’utilisation du préservatif a également été récemment documentée en Afrique du Sud durant la période de montée en puissance des ARV (McGrath, Eaton, et al. 2013).

Pour chacun des timings considérés dans l’analyse, les niveaux de comportements sexuels n’étaient pas différents entre les deux groupes ARV. Par rapport à une entrée dans les soins à un stade précoce de l’infection à VIH, un traitement ARV précoce ne présente pas un effet différent sur les comportements sexuels. D’un premier abord, ces résultats peuvent sembler contradictoires avec des précédentes observations réalisées dans des pays à niveaux de ressources faibles ou intermédiaires. Plusieurs revues de la littérature ont plutôt rapporté des diminutions des comportements sexuels à risque associées à un traitement ARV (Venkatesh, Flanigan, et al. 2011;

Kennedy et al. 2007; Berhan & Berhan 2012; Kaye et al. 2013). Cependant, ces études reposaient sur des comparaisons entre patients traités vs. patients en période pré-ARV dans un contexte où les contacts avec les services de santé sont rares chez les patients non éligibles au traitement (Rosen &

Fox 2011). Il a par ailleurs été suggéré que l’effet comportemental du traitement serait dû à de fréquents contacts avec les services de santé, qui assurent généralement conseils de prévention et soutien psychosocial, plutôt qu’au traitement ARV en lui-même (Sarna et al. 2008; Protopopescu et al.

2010). Étant donné que le protocole de l’essai Temprano implique la même fréquence de visites médicales dans les deux groupes ARV, nos résultats appuient cette hypothèse. De plus, l’analyse complémentaire conduite parmi les patients du groupe standard ayant initié le traitement ARV au cours de leur suivi révèle une diminution des niveaux de comportements sexuels à risque suite à

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l’inclusion dans l’essai, mais pas de diminution additionnelle suite à l’initiation effective du traitement antirétroviral.

La dynamique des changements observés ici est également en accord avec de précédentes observations. Une étude antérieure conduite en Ouganda a rapporté une diminution importante de non-utilisation du préservatif au dernier rapport dans la première année faisant suite à l’initiation standard d’un traitement ARV ; puis un niveau stabilisé durant les deux années suivantes (Wandera et al. 2011). Les changements dans les comportements décrits ici semblent donc faire immédiatement suite à l’inclusion dans l’essai. Il est possible qu’ils intègrent d’éventuelles modifications dans les comportements sexuels faisant suite à l’annonce du diagnostic VIH (Weinhardt et al. 1999; Fonner et al. 2012). En effet, pour notre population d’étude sélectionnée sur un critère de haut niveau de CD4, le diagnostic VIH est potentiellement proche de l’inclusion dans l’essai. Par ailleurs, après les 12 premiers mois de suivi, nous n’avons pas observé de diminution maintenue dans les comportements sexuels. Nous n’avons pas non plus observé de « fatigue dans la prévention » (i.e. une diminution dans les comportements préventifs au cours du temps), un phénomène qui a pu être observé au sein de groupes très exposés (Ostrow et al. 2002). Cependant, ces résultats ont été obtenus sur une période de temps relativement courte (24 mois). D’autres études sont nécessaires pour mieux documenter sur le long terme les changements intervenant dans les comportements sexuels après initiation précoce d’un traitement ARV. L’utilisation de méthodes qualitatives pourrait également permettre d’identifier différents types de profils de réponse comportementale à une exposition précoce aux ARV.

En prenant en compte les différents types de partenariat, l’analyse a présenté des résultats intéressants : les diminutions dans certains comportements sexuels à risque semblaient être plus prononcées parmi les patients déclarant un dernier partenaire non-cohabitant, comparés à ceux déclarant un partenaire cohabitant. Cette diminution différentielle peut refléter des niveaux plus faibles d’utilisation du préservatif au sein des couples cohabitants par rapport aux couples non-cohabitants, ou respectivement des couples maritaux et non maritaux, comme il a été observé dans d’autres régions africaines (Dunkle et al. 2008; Hargreaves et al. 2009). Elle peut également refléter une plus grande difficulté à modifier des comportements sexuels lorsqu’ils ont été fixés au sein d’un couple

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stable. Dans les deux cas, ces résultats soulignent la nécessité de message de prévention spécifiquement orientés pour les couples.

Cette étude apporte de nouveaux éléments quant à la question de la compensation du risque.

Nous n’avons pas observé d’augmentation des comportements à risque associée à une intervention conférant une haute protection contre la transmission du VIH. En effet, les niveaux de comportements à risque étaient similaires parmi les participants recevant l’intervention ou non, et, globalement, ces niveaux ont plutôt montré une diminution après l’inclusion dans l’essai. Il nous faut toutefois considérer ces résultats avec prudence. Temprano est un essai clinique dont l’objectif principal est de mesurer les bénéfices et risques individuels, plutôt que collectifs, du traitement ARV précoce. Par ailleurs, l’essai a été conduit en grande partie avant 2012, c’est-à-dire avant la publication des recommandations OMS sur le traitement ARV à but préventif parmi les couples sérodifférents (WHO 2012). C’est pourquoi, les participants n’étaient pas informés sur les bénéfices préventifs du traitement. Il est toutefois possible qu’une partie des patients aient reçu cette information en dehors de l’essai, par exemple par le biais d’associations de malades, après la publication des résultats de l’essai HPTN 052 et leur exposition dans les média.

À notre connaissance, ces résultats sont les premiers à documenter de manière détaillée des niveaux de comportements sexuels dans le contexte d’un traitement ARV précoce. Ils ont en outre l’avantage de reposer sur un large jeu de données collectées prospectivement après randomisation de l’intervention, suite à laquelle étaient proposés au sein des deux groupes ARV les mêmes services de conseil et prévention VIH. Nous devons reconnaître plusieurs limites à cette étude. Nos résultats reposent sur des comportements sexuels auto-rapportés, potentiellement sous-déclarés du fait d’un possible biais de désirabilité sociale. Cependant, s’il était avéré, un tel biais ne serait certainement pas différentiel et ne devrait donc pas affecter nos résultats découlant de la comparaison entre les stratégies de traitement standard vs. précoce. Par ailleurs, ces résultats ont été obtenus au sein d’une population diagnostiquée précocement pour le VIH et engagée dans un essai clinique à long terme, population potentiellement plus réceptive aux messages de prévention que la population générale VIH-positive.

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Via son effet biologique sur la réplication du virus, le traitement ARV précoce réduit le risque de transmission hétérosexuelle du VIH (Cohen et al. 2011). Notre étude montre que l’entrée précoce dans les soins, qui va de pair avec un traitement ARV précoce, présente un effet préventif comportemental qui peut être substantiel. Étant donné le manque de données sur la question, les modélisations qui ont évalué l’impact populationnel préventif de stratégies reposant sur Tester et Traiter ont pour la plupart fait l’hypothèse conservatrice que les comportements à risque n’étaient pas modifiés en réponse à l’initiation précoce d’un traitement ARV (Granich et al. 2009; Eaton et al. 2012).

Ainsi, l’impact préventif de stratégies reposant sur le dépistage élargi du VIH et le traitement ARV précoce pourrait être plus important que ce qui a été estimé jusqu’à maintenant.

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V. Estimation de l’effet du traitement

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