• Aucun résultat trouvé

Partie 2 Développement comportemental des jeunes ouvrières et pouvoir inhibiteur des butineuses :

IV. Discussion

Dans cette étude nous avons montré des différences d’âge au butinage entre trois

races européennes d’Apis mellifera L. (A.m. ligustica, A.m. caucasica et A.m. mellifera).

Parmi celles-ci, ligustica a le développement comportemental le plus rapide et possède

l’effet inhibiteur le plus important sur le développement des jeunes ouvrières.

Ces résultats obtenus dans nos conditions expérimentales confirment ceux des

expériences de Brillet et al. (2002) réalisées avec des colonies typiques. Toutefois une

différence existe entre ces deux études ; ici un seul facteur connu pour ralentir le

développement comportemental a été testé, l’inhibition exercée par les butineuses. En

effet, nos petites colonies ne contiennent ni vrai couvain ni vraie reine, sécrétant tous

deux des phéromones inhibitrices du développement des ouvrières (Pankiw et al., 1998 ;

Le Conte et al., 2001) mais elles ont reçu chacune des quantités homogènes de ces deux

phéromones de synthèse.

Brillet et al. (2002) attribue la découverte de la précocité de la race ligustica à

des variations génétiques portant notamment sur la production de l’hormone juvénile ou

sur la sensibilité des abeilles à cette hormone. Ici nous avons analysé le taux de HJ des

trois races d’abeilles ; il apparaît que les ligustica présentent effectivement le taux le

plus élevé et que cette quantité augmente de 7 jours à 14 jours, ce qui confirme bien

l’hypothèse de Brillet et al. (2002).

Les butineuses âgées ligustica exercent l’effet inhibiteur le plus important sur le

développement comportemental des jeunes abeilles quelle que soit la race de ces

dernières. Mais cette inhibition agit de la façon la plus significative sur les jeunes

ouvrières de leur propre race. Cependant cette influence inhibitrice intraspécique ne se

retrouve pas chez les deux autres races.

quelle que soit la race des butineuses. Ces résultats corroborent ceux de Huang et

Robinson (1992, 1996, 1998) montrant le rôle inhibiteur des butineuses sur l’âge au

butinage des autres ouvrières de la colonie. Mais là encore, contrairement à l’inhibition

exercée par les butineuses âgées ligustica, celle des caucasica et des mellifera sur les

jeunes individus de leur propre race ou sur les jeunes ligustica est très faiblement

significative.

Winston et Katz (1982) ont comparé l’âge au butinage de deux races d’abeilles :

Apis mellifera ligustica et A. m. scutellata (abeilles d’origine africaine introduite en

Amérique du Sud, dites abeilles « africanisées »). Des introductions croisées suggèrent

que dans leur propre colonie, les abeilles « africanisées » commencent à butiner plus tôt

que les abeilles ligustica. En revanche, dans les société ligustica, elles sortent plus tard

que dans leurs colonies d’origine. Par contre, des ligustica placées dans des colonies

africanisées sont plus précoces au butinage que les ouvrières de la race indigène.

Afin d’expliquer ces résultats ces auteurs ont émis l’hypothèse que le seuil de sensibilité

aux stimuli incitant au butinage est plus élevé dans les colonies « africanisées », et que

les ouvrières de cette race possèdent un seuil de sensibilité plus élevé. Si nous raisonnons

en terme d’inhibition comme Huang et Robinson (1992, 1996) et non pas en terme de

stimulation comme Winston et Katz (1982), nous pouvons interpréter les résultats de ces

auteurs de la façon suivante : moins inhibées dans leurs propres colonies, les jeunes

abeilles « africanisées » seraient plus sensibles à l’inhibition que les ligustica, dont les

butineuses sont fortement inhibitrices. Les jeunes ligustica, en revanche, sont beaucoup

plus précoces dans les colonies africanisées car non seulement elles sont moins sensibles à

l’inhibition mais les butineuses africanisées sont aussi moins inhibitrices.

Nos résultats, qui mettent l’accent sur la forte inhibition des ligustica sur les ouvrières

plus jeunes, peuvent ainsi être mis en accord avec ceux de Winston et Katz (1982).

La corrélation entre le taux de HJ et le développement comportemental des

abeilles est confirmée seulement pour la race ligustica. En effet, si on compare les trois

races, les abeilles ligustica sont les plus précoces au butinage, et elles présentent

également le taux le plus élevé de HJ à 7 et 14 jours. Les abeilles des deux autres races,

caucasica et mellifera, ne montrent aucune différence significative de quantité de HJ en

fonction de l’âge.

Mais nos résultats ne mettent pas en évidence un quelconque effet des butineuses âgées

sur le taux de HJ des plus jeunes.

De plus, dans les colonies témoins, alors que les jeunes abeilles butinent plus tôt, elles

possèdent moins de HJ que dans les colonies avec butineuses, ceci quelle que soit la race

des butineuses. Ce résultat indique que l’HJ ne serait pas le seul facteur impliqué dans la

régulation du développement comportemental des abeilles.

Il est donc bien en accord avec le modèle sur l’inhibition sociale (Beshers et Fewell,

2001). En effet, ce modèle décrit l’un des mécanismes de régulation du développement

comportemental des jeunes individus de la société : le pouvoir inhibiteur des butineuses

âgées. Il succède à l’ancien modèle “ activateur-inhibiteur ” qui prenait en compte un

second facteur, incitateur du développement comportemental, l’HJ (Huang et Robinson,

1992). Or des travaux plus récents ont montré que l’HJ n’est pas nécessaire à la

régulation du développement comportemental (Sullivan et al., 2000, Le Conte et al., 2001).

Nos expériences viennent renforcer ces résultats et contribuent à valider le modèle de

l’inhibition sociale chez la race ligustica.

Dans les études qui vont suivre, nous avons tenté d’identifier cette inhibition

sociale chez les abeilles Apis mellifera ligustica.