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Discussion critique de la littérature & problématique

Comme nous l’avons vu, la question de l’identité est une préoccupation essentielle des organisations et c’est aussi un concept clef pour comprendre les organisations modernes (Gioia et all., 2000). En ce sens, Cheney et Christensen (2001) concluent leur chapitre du New Handbook of Organizational Communication en notant que le défi pour les chercheurs en communication aujourd’hui est de réussir à conceptualiser la réalité complexe des organisations contemporaines.

La revue de littérature a montré qu’il n’est pas simple de définir l’identité organisationnelle car ce concept est encore (et sera sans doute toujours) à l’état de discussion et de réflexion pour de nombreux chercheurs qui se sont attelés à le définir. Néanmoins, nous avons réussi à faire ressortir plusieurs points intéressants à noter et à prendre en compte dans le cadre de l’étude de cette question. Ainsi, nous retiendrons que l’identité organisationnelle se construit dans l’interaction entre les individus eux-mêmes et dans leur rapport à l’environnement et qu’elle est donc a priori multiple et dynamique. Sa construction passe par les images de l’organisation qui apparaissent comme des miroirs réels ou choisis de celle-ci. De plus, la question

de l’identité est toujours a priori ouverte dans l’organisation, aussi bien du point de vue des membres sur eux-mêmes, que vis-à-vis du sens que cette identité projette à l’extérieur. Cela peut donc aboutir à la mise en place de stratégies communicationnelles à l’interne comme à l’externe, afin de garder le contrôle des images que projette l’organisation.

Quant à la réalité de l’identité au niveau organisationnel, on ne peut la comprendre qu’en prenant en compte ses définitions interne et externe, car elles semblent indissociables et inséparables. Ajoutons que l’identité organisationnelle apparaît comme un phénomène discursif qui se construit dans l’interaction et qui se raconte à l’écrit comme à l’oral, dans un processus de narration. L’identité se construit ainsi tout au long de la vie de l’organisation, avec des événements qui marquent cette construction.

Après avoir abordé les points essentiels de la littérature sur le sujet, nous pouvons dès lors faire le point et déterminer les manques à combler par la recherche, cela afin de permettre une meilleure compréhension de la question. Ainsi, il apparait que le phénomène d’identité est abordé d’un point de vue général et que trop peu d’études empiriques s’attardent à démontrer la dimension non seulement performative, mais également interactionnelle de la construction identitaire d’une organisation. Nous pensons qu’il serait donc productif de s’y intéresser d’un point de vue plus micro où l’identité de l’organisation apparaît à travers les interactions qui la font être, se reproduire et évoluer, le but étant d’apporter une contribution à la fois théorique pour la recherche et pratique pour la compréhension organisationnelle. En effet, souvent les études portant sur l’identité sont d’ordre quantitatif, mais notre recherche qui est qualitative et se concentre sur les interactions quotidiennes offre une vision plus communicationnelle/performative de cette question. Notre approche

montre une dimension incarnée, une vision ancrée sur les interactions qui se distingue donc des études basées sur des entrevues, exposant la manière dont les interviewés font sens de l’identité organisationnelle. Notre recherche propose donc de montrer et analyser l’identité organisationnelle en action, au fil des interactions qui l’incarnent. Quant aux contributions pratiques, nous en ferons part dans la conclusion de cette recherche, avec notamment la nécessité de former le personnel de l’organisation sur l’importance de leur parole dans le quotidien de leurs activités pour la construction de l’identité et l’image de leur organisation. En effet, notre étude fera la démonstration du pouvoir que peuvent avoir les mots dans le cadre de négociations implicites et explicites qui sont le lot des interactions quotidiennes dans l’organisation, influençant l’image que chacun peut avoir de celle-ci et donc le cours des missions, pour une organisation comme Médecins Sans Frontières.

En outre, Kerbrat-Orecchioni (1992) nous indique que l’interaction est le lieu de négociations implicites et explicites, ce point précis étant l’objet de notre interrogation sur l’identité organisationnelle : « Tout discours dialogué est le produit d’un "travail collaboratif", les partenaires en présence mettant en œuvre en permanence des processus de négociations, d’harmonisation de leurs comportements respectifs, et de "synchronisation interactionnelle" » (p. 148).

Finalement, on peut supposer que l’identité organisationnelle est (re)construite tous les jours et par tout le monde. En ce sens, si l’identité organisationnelle fait l’objet d’une construction par des acteurs, on peut donc dire qu’elle est performée, en particulier par la parole et l’écrit, et que l’interaction est le cadre de cette performance. En poursuivant cette idée de performance et en l’alliant avec l’identité de l’organisation, nous nous sommes penchée sur le concept de présentification. Pour Cooren, Brummans et Charrieras (2008) qui se sont intéressés

à la notion de présence de l’organisation avec des données sur Médecins Sans Frontières, cette idée de performance renvoie à une façon de rendre présent ou présentifier l’organisation, de la représenter. On peut donc parler d’incarnation, voire d’incorporation. De plus, dans leur article, ils disent : « Thus, while our view foregrounds the performative aspects of presentification, this performance always involves processes of negotiation, transaction, interpretation, translation, co- construction » (p. 1346). Cela nous amène donc à réfléchir sur la conception d’une identité organisationnelle plus centrée sur la performance des acteurs. En effet, qui dit performance, dit l’accomplissement de quelque chose et ce quelque chose est accomplie notamment par le biais d’une négociation ou d’une co-construction. De plus, comme nous sommes fortement attachée à la dimension discursive et interactive d’une définition de l’identité organisationnelle, nous pouvons alors émettre l’idée d’une co-construction de l’identité organisationnelle par le biais des performances discursives des acteurs de l’interaction.

Il y a, par ailleurs, souvent un profond sentiment d’attachement des acteurs vis-à-vis de leur identité et de l’identité de leur organisation. L’identité, c’est ainsi quelque chose qui est censé les définir, qui est censé être propre mais qui se nourrit aussi de l’impropre, autrement dit de ce qui, pour être approprié, doit d’abord être autre. On parle alors de la rencontre de soi et de l’autre. Ajoutons que toute relation suppose une appropriation et nous mettons donc ici en exergue une vision relationnelle de l’identité. Dans le cadre d’une ONG comme Médecins Sans Frontières, cela se manifeste, comme nous le verrons, par une réaffirmation constante de l’essence même de sa mission auprès de ses partenaires sur le terrain de l’action comme directement dans ses différents sièges dans le monde. De plus, le principe d’urgence de ce type d’organisation ajoute une difficulté particulière à ces

interactions et aussi une certaine intensité.

Après avoir abordé la littérature sur la question de l’identité organisationnelle et son application dans le cadre de l’humanitaire, nous pouvons donc nous interroger sur sa construction par le biais de la communication et plus précisément par la parole. Retenons que cette identité peut aussi bien se construire que se déconstruire et qu’il s’agit donc aussi de la négocier au fil des interactions. De plus, la construction de l’identité peut être associée au rituel de la danse dans un processus interactionnel entre soi et l’autre, selon la métaphore initiée par Goffman (1967) et qui est reprise dans une réflexion de Roth (1996) qui dit :

Construction of identity in interaction is a process that engages both participants in a ritual dance or in a ritual contest (Goffman, 1967, pp.31 and 32). Dancelike aspects of identity construction are found when participants cooperate (intentionally or not) in ceremonial rituals that are embedded in everyday conversation. (p. 175)

Ainsi, la question qui nous animera tout au long de ce travail sera d’évaluer par quels moyens les membres de l’organisation construisent leur identité organisationnelle dans leurs interactions du quotidien et comment ils agissent dans ce cadre ? Les questions de cette recherche sont donc formulées de la manière suivante :

QR : Comment est ce que l’identité organisationnelle de MSF est négociée dans la communication (interactions), soit entre les membres de MSF, soit entre les membres de l’organisation et les gens à l’extérieur ?