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Partie 3 Analyse des données

5. Vers une définition des pragmatèmes

5.2. Discussion des critères définitoires

5.2.1. Les pragmatèmes : une unité fondamentalement polylexicale

Le critère de polylexicalité est l’un des critères les plus récurrents dans les différentes définitions que nous avons abordées. Selon les chercheurs de l’école Mel’čukienne, les pragmatèmes, en tant que phrasème, se caractérisent par une structure fondamentalement polylexicale (Mel’čuk, 2013).

Toutefois, d’autres travaux plus récents nous montrent que les pragmatèmes peuvent également prendre la forme d’une structure monolexicale. Par exemple, 5 % des pragmatèmes du français seraient monolexicaux (Blanco & Mejri, à paraître). Ce sera notamment le cas de allô, stop, halte ! ou chapeau !

Dans notre corpus, nous avons relevé de nombreux cas où, bien que l’expression semble polylexicale en diachronie, ces expressions constituent des unités monolexicales. Ces unités qui diachroniquement constituaient des expressions polylexicales se sont lexicalisées en raison de leur usage répété et standardisé. Elles ne sont donc plus sélectionnées pour le sens des unités qui la constituent, mais elles sont sélectionnées en bloc afin de répondre à un besoin communicationnel spécifique. Ce critère sera donc considéré comme un critère.

5.2.2. Les pragmatèmes : une unité phraséologique autonome

L’une des caractéristiques des pragmatèmes est de former généralement un énoncé complet et autonome (Blanco & Mejri, à paraître : 1). Cela ne signifie pas que les pragmatèmes ne trouvent pas leurs origines dans une partie du discours en particulier, mais que dans leur fonctionnement ils n’intègrent ni ne dépendent d’autres parties du discours. Le pragmatème est donc une unité difficilement intégrable dans un syntagme ou dans la

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dans toutes les définitions que nous avons étudiées et rejoint d’autres objets linguistiques apparentés comme les ALS (Kauffer 2016). Nous rejoignons ici ces définitions : l’autonomie est selon nous un paramètre important qui sera systématiquement traité dans notre étude. Ce paramètre nous permet de montrer que le pragmatème interactionnel se suffit à lui-même et constitue un énoncé complet même si dans sa forme, il constitue une phrase averbale.

5.2.3. Les pragmatèmes : une unité phraséologique à la combinatoire restreinte et au figement variable et multiniveau

Selon Gross (1996), « une séquence est figée du point de vue syntaxique quand elle refuse toutes les possibilités combinatoires ou transformationnelles qui caractérisent habituellement une suite de ce type » (Gross, 1996 : 54). La fixité constitue donc un certain degré de contrainte sur l’ordre des constituants et par là même un blocage des propriétés transformationnelles d’une expression donnée (Blumenthal, 2005 : 152). Et même lorsqu’il s’agit de segments libres (c.-à-d. produits de manière classique par le locuteur, en appliquant les règles combinatoires prototypiques de sa langue), Mejri (2016 : 245) et Gross (2005 : 46) nous montrent que le figement est présent sous la forme de contraintes syntaxiques, lexicales et grammaticales qui vont conditionner l’acceptabilité des segments en question.

Selon Mel’čuk (2013), le pragmatème, en tant que sous-catégorie apparentée au phrasème, se caractérise par une fixité de sa forme linguistique et une combinatoire restreinte. Selon nous, ce critère est à nuancer. En effet, de nombreux pragmatèmes interactionnels japonais varient dans leur morphologie en fonction de la prise en compte des relations interpersonnelles chez le locuteur. Nous avons toutefois remarqué que chaque pragmatème interactionnel était doté d’une partie fixe (noyau) qui constituent en général le noyau prédicatif de l’expression prototypique, et de parties mobiles (satellites) qui sont en général des marquages de politesse ou des compléments intensifieurs.

5.2.4. Les pragmatèmes : une unité phraséologique contrainte dans son signifié par le contexte

Une des caractéristiques principales du pragmatème est que son sens se spécifie en fonction de sa situation prototypique d’emploi (Blanco & Mejri, à paraître : 13).

L’usage est donc gouverné par le principe de congruence. Lorsque l’on dit du pragmatème qu’il est restreint dans son signifié, on met en avant la contrainte appliquée sur le locuteur qui sera dans l’incapacité d’appliquer la forme sélectionnée à d’autres contextes. La structure et l’emploi du pragmatème seront donc façonnés par le contexte d’usage auquel ils sont liés. Ce faisant, sorti du dit contexte, le pragmatème perdra toute sa portée pragmatique, voire même sera considéré comme un usage impropre. Ainsi, le pragmatème

vos papiers s’il vous plaît sorti du contexte du contrôle d’identité ne signifiera en aucun

cas que l’on attend de notre interlocuteur qu’il nous donne ses papiers d’identité, mais qu’il nous transmette un document quelconque. Cette propension du pragmatème à afficher un marquage déictique renforce davantage cette notion centrale dans la description du phénomène qu’est la contrainte du contexte. Ce paramètre sera très important dans notre étude. En effet, nous montrerons que les pragmatèmes interactionnels étudiés sont étroitement liés à une situation d’emploi prototypique dont nous tenterons de définir les contours. Nous verrons par ailleurs qu’à cette contrainte d’emploi s’ajoutera également une contrainte de forme liée à la relation interpersonnelle entre le locuteur et son interlocuteur.

5.2.5. Les pragmatèmes : une unité phraséologique à la compositionnalité sémantique variable

La question de la compositionnalité sémantique du pragmatème est souvent débattue par les chercheurs en phraséologie. Le principe de compositionnalité sémantique renvoie au fait que le sens d’une expression est dérivable de l’addition du sens de ses constituants (« le sens du tout est égal à la somme des parties »). L’inverse, à savoir la non- compositionnalité, renverra donc au fait que le sens effectif de l’expression ne soit pas inférable par la simple interprétation des constituants de celle-ci et sera souvent associé à l’opacité sémantique.

Le critère de compositionnalité sémantique constitue selon nous le critère le plus instable parmi ceux avancés par les différentes définitions des pragmatèmes précédemment évoquées. En effet, dans le cas du français ou du japonais par exemple, il est assez aisé de constater qu’il existe au sein de la classe des pragmatèmes un nombre significatif d’expressions compositionnelles ainsi que d’expressions non compositionnelles. Cette ambivalence constatée à de nombreuses reprises nous amène à penser que le critère de

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qu’au contraire, il contribuerait à entretenir le flou théorique. Nous ne poserons donc pas ce critère comme élément définitoire de notre définition du pragmatème.

5.2.6. Les pragmatèmes : une unité phraséologique ritualisée

Comme nous l’avons évoqué auparavant, une des caractéristiques du pragmatème réside dans sa ritualisation. Nous définirons cette ritualisation comme un processus au cours duquel un énoncé se fixe dans un usage pour devenir une norme standard dans une situation de communication donnée (salutation, demande, remerciement, excuse, etc.). C’est de ce long processus itératif que va naître le rituel linguistique et interactionnel, qui liant une forme fixe et conventionnelle à une situation prototypique, permet de réguler les interactions entre les individus d’un même groupe. Il apparaît donc relativement logique que le locuteur, cherchant avant tout à obtenir une communication fonctionnelle en accord avec les impératifs sociolinguistiques institués dans son groupe d’appartenance, sélectionne prioritairement les phrasèmes ayant une valeur pragmatique et rituelle bien définie que constituent les pragmatèmes.

Toutefois, il est relativement compliqué de formaliser cette ritualisation, car elle renvoie à une réalité pragmatique complexe et diachronique, dépassant le cadre linguistique pour aller dans la sphère extralinguistique. Proposer une typologie de ce qui constitue en soi une « situation » est l’un des enjeux lexicographiques majeurs qui semblent susciter un intérêt au sein de la communauté des chercheurs dans le domaine phraséologique. Il apparaît toutefois crucial de prendre en compte ce facteur de ritualisation dans l’analyse, en tentant de le formaliser au maximum.

Cette définition sera celle qui servira de base à notre analyse qui prendra en compte l’ensemble de ses paramètres. Lorsque nous ferons référence aux pragmatèmes étudiés dans notre corpus, ce sera de cette définition dont il s’agira. Dans la partie qui suit, nous allons développer le concept de salutation en japonais et en aborder ses spécificités.

Chapitre 2. Les structures de salutation en japonais

Dans le présent chapitre, nous allons traiter des structures de salutations japonaises en ouverture ou en clôture de l’interaction, structures qui appartiennent à la catégorie des aisatsu. Dans un premier temps, nous allons définir les contours notionnels des structures de salutation en japonais. Dans un second temps, nous allons évoquer des travaux de chercheurs japonais visant à analyser le phénomène dans une perspective diachronique et sociolinguistique. Enfin, nous conclurons avec une rapide synthèse récapitulative des notions clés.

1. Définition du champ notionnel des salutations en japonais.

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