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b) Résultats de l’analyse ALCESTE

Classe 4 : Démarches administratives

9) Discussion concernant la méthodologie employée et limites du logiciel ALCESTE

 Méthodologie générale

La méthodologie de notre étude est originale dans le sens où elle s’est intéressée spécifiquement au discours et à l’emploi des mots des militaires psychotraumatisés qui ont pu exprimer librement leurs ressentis. L’intérêt d’une étude qualitative à visée exploratoire était de pouvoir analyser en profondeur la thématique de la reconnaissance et de la réparation perçue par des militaires souffrant d’ESPT imputable au service, sans forcément rechercher une représentativité au sens statistique. Notre étude a donc retenu certes un petit échantillon de 15

militaires, mais cet effectif est suffisant pour arriver à saturation des données. Ainsi notre étude

manque-t-elle de puissance mais donne une première idée de ce que des militaires

152 notions très peu étudiées dans la littérature. Cet échantillon n’est donc pas statistiquement représentatif de la population des sujets psychotraumatisés car il n’a pas été tiré au sort dans une population de militaires souffrant d’ESPT et en outre il ne comprend pas de sujets de l’Armée de l’Air ni de la Marine Nationale. Les résultats ne peuvent de ce fait pas être généralisés à l’ensemble des militaires souffrant d’ESPT. Notre étude n’avait cependant pas cette prétention, mais avait pour objectif de mettre en évidence de façon exploratoire les

perceptions globales pouvant ressortir du discours de ces militaires qui nous sont apparus

cliniquement représentatifs de ceux rencontrés en consultation.

Cette sélection de l’échantillon parmi des militaires psychotraumatisés consultant en HIA peut constituer un biais de sélection, et plus précisément de recrutement, les sujets interrogés étant

issus uniquement du secteur hospitalier et pouvant avoir un ESPT potentiellement plus sévère

et compliqué. De plus, les militaires interrogés étaient volontaires pour participer à cette étude

ce qui peut représenter un biais d’autosélection, les blessés volontaires étant possiblement plus motivés que les autres ou ayant plus de choses à exprimer sur ce sujet. Néanmoins, un élément nous permet de relativiser ce biais, le fait que nous n’ayons essuyé aucun refus de participation. Un dernier élément pouvant biaiser l’interprétation de notre étude est le recrutement de patients pouvant être suivis par mes soins : les militaires interrogés ont ainsi pu répondre à mes

questions en réfléchissant, non pas selon leur propre perception, mais selon l’idée qu’ils pouvaient se faire des réponses que je souhaitais obtenir. En cela on rejoint la possibilité d’un biais d’enquêteur, c'est-à-dire l’induction de réponses par l’enquêteur (en l’occurrence par moi-même). Ce risque a été minimisé par l’utilisation d’un guide d’entretien semi-dirigé avec la présence de questions ouvertes pour ne pas orienter le sujet dans un sens plutôt que dans un

autre. Néanmoins, on ne peut nier la subjectivité de l’enquêteur dans ses relances par exemple, ou encore dans sa manière de poser les questions. En effet, l’enquêtrice que j’ai été dans cette étude avait à cœur de comprendre ce que les militaires blessés pouvaient ressentir, et

153 en particulier ce qu’ils pouvaient « reprocher » à l’Institution concernant leur accompagnement, sur quoi pouvaient porter leurs récriminations, et de mieux cerner leurs attentes. La relation est

de plus intersubjective entre un clinicien-chercheur (moi-même) et un patient. Une façon de

diminuer ce risque de biais systématique aurait pu être de demander à un autre enquêteur de

réaliser également les entretiens. Une autre faiblesse méthodologique possible de notre étude touche à l’absence d’homogénéité des sujets interrogés concernant leur suivi psychiatrique : en effet, certains des patients étaient suivis en soins avant l’étude alors que d’autres ont débuté un suivi après l’acquisition des données de l’étude suite au départ de leur psychiatre référent. Enfin, une dernière limite de notre étude est l’absence d’exploration précise des comorbidités dans les caractéristiques des sujets : consommation de substances psychoactives, épisode dépressif caractérisé, autre trouble anxieux (agoraphobie, anxiété généralisée…).

Limites d’ALCESTE [91]

Si ALCESTE est un outil puissant permettant d’automatiser l’analyse des discours en mettant en évidence leurs structures les plus signifiantes, il reste un logiciel informatique qui ne peut

véritablement pas interpréter le sens des énoncés qu’il analyse. Comme le dit Reinert lui-même, il s’agit « non pas de chercher le sens d’un texte mais de déterminer comment sont organisés les éléments qui le constituent » [92].

Il ressort par ailleurs qu’ALCESTE laisse de côté certains mots (les mots-outils qui ne serviront qu’à titre illustratif mais pas dans l’analyse principale qu’est la CDH), et surtout qu’il ne retient pas (et donc n’analyse pas) certains termes peu cités par les personnes interrogées, ou insuffisamment « stables ». En l’occurrence dans notre étude, 72% des unités textuelles ont été analysées, autrement dit 28% du corpus ne l’ont pas été, soit près d’un tiers ce qui n’est pas négligeable. Or rien ne dit que ce qui a été conservé et analysé par le logiciel est bien l’« essentiel ».

154 Ensuite, les UCE, unités statistiques de base pour ALCESTE, sont constituées en fonction de la

distribution du vocabulaire et de la ponctuation, et rien ne dit qu’une UCE corresponde à une unité ayant un sens.

De plus, ALCESTE ne prend absolument pas en compte la logique interne d’un discours, et chaque UC aura le même « poids », la même importance pour lui ; ainsi, si une partie d’un entretien est considérée « hors sujet » ou secondaire par le clinicien, elle sera traitée comme le

reste par ALCESTE. Aucune hiérarchisation dans le discours d’une même personne n’est possible dans ALCESTE.

On peut également repérer que les formes d’origine (c’est à dire les mots tels qu’ils apparaissent dans l’entretien) sont lemmatisées et que donc, par exemple, sont perdus pour l’analyse les différents temps d’un même verbe ou encore les divers sujets du verbe qui sont autant de lectures instructives pour l’analyste. De même se pose la question des affirmations, négations, interrogations, toutes ces variations autour de mêmes verbes, adjectifs, noms et

adverbes qui seront diluées dans l’analyse : autant dire qu’ALCESTE résume de la même manière un énoncé et son contraire (sa négation), ou encore une affirmation et une question. Là est le travail de l’analyste d’interpréter les mots en fonction de leur contexte.

Une autre des limites d’ALCESTE concerne toute la perte d’informations concernant l’élocution, l’intonation, les hésitations, les mimiques, etc. de la personne interrogée, informations observées par l’enquêteur lors de l’entretien mais non transcriptibles par écrit. Il s’agit bien là de sortir l’élocution de son contexte qui pourtant peut lui donner un sens. De même, toutes les fractures dans le discours, les ruptures de rythme ou encore les silences sont

gommés par le logiciel.

Enfin, il y a tout ce qui peut être « lu », et donc compris et analysé par le logiciel, qui, sans

correction préalable par l’analyste, ne saurait être classé par les divers dictionnaires d’ALCESTE. Il y a en effet un écart non négligeable entre le langage parlé et le langage écrit,

155 d’autant plus que les sujets interrogés sont des militaires qui possèdent un langage bien à eux. Toute forme d’origine doit pouvoir être associée à une forme réduite (d’après un dictionnaire) pour pouvoir être reconnue et analysée par ALCESTE : il faudra alors faire le choix de

« corriger » ou non certains termes familiers ou abréviations pour que ceux-ci puissent être

reconnus et analysés par le logiciel (exemple : « Afgha » pour « Afghanistan », « aux_san »

pour « auxiliaire-sanitaire »), le risque étant de « grossir » la partie qui sera analysée.

ALCESTE nécessite aussi une mise en forme notamment des expressions ou termes composés

(termes comme « chef_de_section », « commandant_d’unité » spécifiques au monde militaire) et qu’ALCESTE séparerait sans le « tiret bas » les reliant.

Au total, ALCESTE est un outil intéressant et efficace d’analyse de discours comme nous l’avons vu dans nos résultats, mais il reste un outil exploratoire [93]. S’il permet de faire émerger un certain nombre d’éléments, de pistes interprétatives, il semble également important d’aller plus loin dans l’analyse, et de travailler au-delà des simples mots, ce qui implique de reprendre un à un chacun des entretiens.

Après ce premier éclairage « lexical » du corpus nous ayant permis d’explorer les mots des blessés de façon très précise, nous revenons donc à une analyse de contenu « manuelle » classique.

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