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Les militaires interviewés rapportaient leurs difficultés à parler de leur trouble en milieu

militaire, avec aux premières loges les sentiments de « honte » et de « fierté », beaucoup craignant d’« être mal vus » ou de « paraître faible » au régiment. Ainsi l’évocation du trouble se fait-elle de manière initialement « indirecte », parlant de « ras le bol » ou « d’une grosse

fatigue », parole parfois libérée « après quelques verres ». La plupart des patients ont rapporté

s’être ouverts de leurs difficultés au médecin militaire, plus rarement à des amis militaires ou à des collègues qu’ils appréciaient, parfois encore avec le binôme avec le(s)quel(s) ils avaient vécu la mission traumatique ou d’autres missions éprouvantes, et qui étaient parfois blessés eux-mêmes. Mais c’est globalement le silence qui semble prédominer en régiment sur la question. L’un des blessés exprimait avoir été agréablement surpris d’être convoqué par son

163 commandant d’unité qui « s’inquiétait de sa santé » : « mon commandant d’unité, il a compris. J’ai même été étonné... c’est lui qui a déclenché le suivi médical parce que j’avais pas de suivi

médical, j’avais rien ». Un patient rapporte s’être confié à un aumônier militaire en déclarant

« un aumônier militaire, c’est un peu comme un psychiatre ou un psychologue ». Pour un autre

patient, c’est sa femme également militaire qui arrive à faire le lien avec l’unité. La volonté d’évocation des difficultés des sujets interrogés au sein de leur unité est très variable. Une classique retenue, voire une réticence compréhensible par des déterminants

psychopathologiques, est à l’œuvre. Mais les patients se confient d’autant plus facilement qu’ils auront l’impression d’être écoutés. D’après les sujets interrogés, nous pouvons supposer que certaines unités avaient plus ou moins de connaissances et d’expériences eu égard aux troubles psychiques de guerre, les prises en compte à l’unité paraissant ainsi aléatoires, d’autant plus si les troubles étaient initialement passés inaperçus. Différemment, lors d’une procédure « MEDEVAC » (c'est-à-dire un rapatriement sanitaire d’OPEX) ayant conduit à une hospitalisation, les blessés rapportent régulièrement avoir été bien soutenus par leur unité, leur chef de corps et leurs camarades. D’autres se plaignent de l’absence de prise de conscience de leurs difficultés déclarant pour reprendre les mots de l’un d’entre eux : « personne ne s’est

occupé de nous, comme s’il ne s’était rien passé en fait. Alors qu’une petite phrase, une petit

bonjour ça va, comment ça c’est passé, peut-être que ça aurait été bien ». Une connaissance du

suivi du blessé de guerre ne serait ainsi pas uniformément partagée par toutes les unités,

peut-être pour des raisons structurelles car certains régiments de soutien ne sont pas fréquemment

confrontés à des personnels blessés, alors que dans d’autres cas ce seraient quelques personnalités de cadres qui seraient problématiques. Un patient traduisait cela dans les termes

suivants : « J'ai l'impression que je suis le premier blessé en fait ». Certains blessés rapportent

avoir été très bien considérés dans leur unité opérationnelle mais se sont ensuite sentis

164 soutien. Souvent, ce sont juste un petit mot, « une oreille attentive », un petit appel

téléphonique qui semblent avoir manqué.

La place d’une attente correspondant à l’écoute apportée par la hiérarchie est ainsi très forte chez les patients qui ont régulièrement exprimé cette thématique : « moi ce qui m'a

manqué, ben c'est l'écoute des chefs au régiment », ou bien « plus d'attention, et puis … qu'il y

ait un peu plus de compréhension. De la part des chefs, c'est un peu pour eux qu'on fait le

boulot », ou encore « nos chefs d’habitude ils ont réponse à tout, ben là non, ils ont pas de

réponse ».

Le problème d’acceptation par les cadres de contact des congés maladie semble poser parfois problème, sans que ne soit faite de distinction évidente entre un congé maladie jugé

« complaisant » prescrit en milieu civil pour une démotivation à la vie militaire, et un congé

maladie imposé par le médecin militaire pour un trouble psychique de guerre imputable au service. Plutôt qu’une volonté d’être en arrêt-maladie, il est beaucoup plus fréquent que les militaires refusent les congés maladie, lesquels leur sont alors parfois « imposés » par le

médecin militaire qui vient prendre la charge de cette culpabilité d’« être en arrêt ». Mais dans tous les cas, l’ambivalence de certains cadres vis-à-vis des congés maladie de leurs hommes ne pourrait que surprendre, car les congés maladie ne sont que proposés par un médecin militaire ou civil, alors qu’il revient au commandement de décider de les attribuer. Une certaine suspicion vis-à-vis des congés maladie serait aussi présente dans les rangs parmi leurs camarades dont les blessés s’inquiètent parfois des railleries ou de l’incrédulité, faisait dire à un patient : « J’avais pas envie d’y aller de toute façon… et encore moins envie d’y aller quand

j’ai su en plus les réactions que ça avait suscité ».

Notons aussi que, usage du milieu militaire, la demande de rédaction de « compte-rendu »

est très mal perçue, car envisagée comme une défiance, un reproche, ou la nécessité de devoir

165 difficile à certains chefs militaires de s’enquérir directement de la situation de leurs hommes alors que leur démarche semble pourtant avoir vocation d’aide et de bienveillance. Quand un cadre demande à l’un de ses subordonnés de rédiger un compte-rendu justifiant ses absences alors qu’on lui retire un matériel d’ostéosynthèse en hôpital militaire, l’on ne peut être que surpris. Ne doutons pas que ces approximations sont le fait d’erreurs d’appréciation, mais erreurs qui sont préjudiciables voire dévastatrices. Un patient décrit son attitude lorsqu’on lui a demandé un compte-rendu parce qu’il était en congé maladie : « c'est la secrétaire en fait de la compagnie. J'ai dit c'est quoi ça, depuis quand ça… du coup, j'ai pris une feuille blanche, j'ai marqué juste… j'ai même pas marqué… j'ai juste marqué je soussigné… mais j'ai fait vraiment comme un chiffon, un torchon. J'ai marqué et puis j'ai mis dans une enveloppe, je l'ai envoyé...

tellement ça m'a énervé. Et le jour où je suis retourné là-bas, ils m'ont rien dit ». Un autre

patient rapporte : « j'ai dû faire je sais pas combien de compte-rendu pour le colonel, rendre compte à mon commandant d'unité… donc à chaque fois je devais réexpliquer l'histoire et pourquoi, les détails… donc qu'on doive expliquer un peu oui, mais rentrer dans les détails, je

pense qu’à la limite ça les regardait même pas... c'était plutôt privé ». Ici, le médecin militaire,

la cellule d’aide au blessé et l’assistante sociale de l’unité peuvent avoir un rôle important d’information des cadres de contact, tout en préservant le secret professionnel.

b) Place de l’information sur les troubles psychiques de guerre