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3.1. Introduction

3.2.3. Discussion

Jusqu’à très récemment et à l’exception des mutations RET, aucune autre mutation ponctuelle récurrente n’avait été décrite dans le CMT. Nous avons recherché d’autres mutations susceptibles d’influencer l’oncogenèse des CMT, comme par exemple au niveau des gènes EGFR, BRAF, PI3KCA, JAK2, ALK, GNAS, GNAQ, IDH1 ou encore IDH2 ; mais n’avons jamais retrouvé d’autres mutations pouvant supplémenter l’effet de RET oncogénique dans les tumeurs apparament sauvages pour ce dernier.

Les bases de données accessibles gratuitement en ligne et ayant vu le jour avec l’essor des techniques de NGS sont des sources d’informations précieuses en pathologie moléculaire, permettant de connaître de façon rapide les principales mutations conductrices retrouvées dans les sous-types tumoraux. Cependant, compte tenu de leur rareté, les CMT et leurs tumeurs accociées n’y sont jamais représentées (à l’exception des données concernant la lignée TT disponibles sur le site CCLE).

En 2011, la publication de (Moura et al., 2011) a décrit une proportion non négligeable de tumeurs RET-négatives présentant des variants oncogéniques RAS, ces variants étant jusqu’alors décrits comme exceptionnels dans ce type de tumeurs (Table 6). Depuis, cette description a été confirmée par un grand nombre d’équipes, et nous nous sommes - de la même façon - focalisés sur ce point majeur.

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Nous avons établi le profil mutationnel ponctuel des gènes RET et RAS sur 2 cohortes distinctes de CMT, en utilisant 2 techniques de séquençage présentant des sensibilités différentes (seuil de détection des variants en séquençage direct évalué à environ 15% d’allèles mutés, contre 3 à 5% en séquençage NGS de type Ion Torrent).

Dans un premier temps, nous avons utilisé une technique de séquençage de type Sanger, sur des échantillons d’archives de qualité moyenne. Malgré un pourcentage d’échec important (environ 50% des amplicons), nous avons confirmé la présence de variants oncogéniques des gènes HRAS ou KRAS dans un grand nombre de tumeurs sporadiques non mutées RET (plus de 40%), représentant la quasi-totalité des tumeurs non mutées pour

RET (Table 6).

Le caractère mutuellement exclusif des variants RET, HRAS ou KRAS démontre les effets biologiques redondants de ces 3 gènes lors du développement du CMT.

Certains des variants RAS retrouvés sont situés sur des locus peu fréquemment étudiés, mais néanmoins connus pour leur effet oncogénique :

- Les mutations touchant le codon 117 de KRAS sont retrouvées dans les carcinomes colorectaux, avec la même fréquence que les variants situés en position 61 (Wójcik

et al., 2008). Une étude menée sur des individus atteints du syndrome de Costello a

montré que ces mutations engendrent une anomalie de fixation du nucléotide guanidique, conduisant à une effet fonctionnel semblable aux variations plus connues des codons 12 et 13 (Denayer et al., 2008). Les mutations de la lysine 117 de HRAS sont plus rares (4 cas répertoriés par la base COSMIC, dont 2 carcinomes thyroïdiens différenciés).

- Les mutations touchant le codon 146 et semblant n’affecter que KRAS. Elles concernent près de 4% des carcinomes colorectaux (Edkins et al., 2006) (Gaedcke

et al., 2010) (Vaughn et al., 2011) et seraient également retrouvées dans quelques

cas de lymphomes thymiques (Corominas et al., 1991) et de leucémies myélomonocytiques chroniques (Gelsi-Boyer et al., 2008). Leur contribution à l’oncogenèse de ces types tumoraux a été évaluée au moins égale à celle provoquée par les variants du codon 61. Ces variants confèrent la même insensibilité aux inhibiteurs de l’EGFR que les mutations précédemment établies

(Douillard et al., 2013), et leur recherche est maintenant nécessaire avant la mise en

Dans un second temps, l’adaptation de méthodes de séquençage NGS à des locus de petites tailles a permis la caractérisation sensible et fiable (taux d’échec estimé à 3%), d’une collection de tissus correspondants à des patients ayant reçu un traitement par ITK. Certains variants faibles (fréquence de variation inférieure à 15%) ont ainsi pu être observés. Des mutations complexes du gène RET, essentiellement localisées au niveau de l’exon 11 (délétions et délétions-insertions entre les codons 630 et 638) ont également pu été identifiées, alors que le résultat obtenu en technique de Sanger demeurait ininterprétable. Des variants HRAS et KRAS ont également été retrouvés, dans 12% et 1% des tumeurs respectivement.

La correlation entre le type de variation conductrice dominante présentée par la tumeur et la réponse clinique à une première ligne de traitement par ITK demeure difficile à évaluer, du fait du faible nombre de cas et d’une très grande hétérogénéité de prise en charge des patients. Néanmoins, nous montrons que les patients porteurs d’un variant RET du groupe ATA-D semblent être les meilleurs répondeurs au vandétanib (CAPRELSA®, AstraZeneca – inhibiteur des récepteurs VEGFR-2/3, EGFR et RET), comparativement à ceux présentant une mutation RAS ou d’autres locus de RET. Il semblerait que ces variants, en plus d’une utilisation en tant que marqueurs de classification, puisse également être utilisés en tant que marqueurs théranostiques de réponse aux thérapies ciblées actuellement à l’essai dans les formes métastatiques de CMT. Nous confirmons ainsi le résultat de l’étude préliminaire du vandétinb (essai ZETA), distinguant les mutations RET p.Met918Thr de toutes les autres mutations en terme de survie sans progression et de réponse objective au traitement (hazard ratio PFS= 0,3 ; ORR=55%) (Langmuir and Yver,

2012).

Les techniques de séquençage NGS ont également permis d’évaluer à large échelle l’ensemble des variants portés par les tumeurs. En 2013, (Agrawal et al., 2013) ont montré, par l’analyse exome-entier de 17 tumeurs, que les mutations RET et RAS étaient les variants majoritairement retrouvés dans les CMT (en terme de pourcentage de variant dans un même tissu mais également à un niveau inter-tumoral). Chacune des tumeurs étudiées portait environ 18 variants potentiellement conducteurs. Après validation sur une seconde cohorte, seul le gène MDC1 (Mediator of DNA-damage Checkpoint 1) a été retenu en sus de RET, HRAS et KRAS.

Nous avons étudié une grande proportion de l’exome (400 oncogènes) de 4 tumeurs que nous pensions non mutées pour RET ou RAS. Trois d’entre elles se sont révélées porteuses d’une mutation RET, au niveau des locus bien connus RET634 ou RET918, avec des pourcentages alléliques compris entre 11 et 27%. Ces cas ont possiblement été omis en séquençage direct, du fait d’une faible sensibilité technique, d’un biais d’amplification ou

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encore d’une localisation tissulaire différente (ré-extraction nécessaire pour un des cas). La dernière tumeur, effectivement non mutée RET ou RAS présente – plusieurs variants d’intérêt au niveau des gènes PDGFRA, ERBB3 et AKT2, dont l‘expressivité clinique demeure inconnue. Notons que ce type d’analyse (séquençage de l’exome de plus de 400 oncogènes) est actuellement en cours de réalisation dans le cadre d’une collaboration internationale de grande ampleur incluant une collection de 29 tumeurs provenant de l’Institut Gustave Roussy.

In fine, au 1er janvier 2014, un total de 103 tissus tumoraux ont été analysés (correspondant aux échantillons décrits dans les 2 articles présentés et à quelques prélèvements additionnels). Après sélection des cas non-apparentés, éviction d’une redondance correspondant à différents tissus prélevés sur un même patient (pour lesquels les profils mutationnels étaient identiques) et d’une ambiguité, nous disposons de 100 statuts somatiques indépendants (Figure 18) :

- 28 correspondent à des cas familiaux, dont 11 avec une mutation RET germinale au niveau du locus 630-638 de l’exon 11, 6 patients avec une mutation au niveau des codons 918 ou 883 et 11 avec une mutation de locus peu décrits (codons 531, 533, 618, 620, 781, 891…) ;

- 72 correspondent à des cas sporadiques, dont 20 tumeurs présentant une mutation du spectre RAS, 48 une mutation RET (dont 36 variants p.Met918Thr) et seulement 4 tumeurs de génotype apparement sauvage pour ces oncogènes (correspondant à la tumeur non-mutée de la cohorte.

Les 4 tumeurs de génotype RET/RAS sauvage n’ont pu être plus amplement étudiées, faute de matériel disponible. Une d’entre elles (seule tumeur sauvage de la cohorte de patients traités par ITK) présente une suspicion de délétion au niveau de l’exon 11 du gène RET, à un taux d’observation et un score qualité trop faibles pour être retenue.

FIGURE 18:RÉPARTITION DES MUTATIONS ONCOGÉNIQUES MAJEURES RETROUVÉES DANS NOTRE

L’analsye de cette importante cohorte au regard de critères d’agressivité tels que l’âge au diagnostic ou le stade d’extension anatomique (classification TNM) confirme l’impact phénotypique des mutations RET et RAS dans le développement du CMT (Figure 19). Dans le cas des CMT héréditaires - dont l’histoire familiale permet l’établisssement d’un diagnostic précoce (âge moyen = 38 ans dans notre collection) - les phénotypes les plus agressifs sont observés chez les patients porteurs d’une mutation RET de risque ATA-D (codons 918 ou 883 – syndrome familial NEM2b). Pour cette sous-population, l’âge d’apparition des symptômes pathognomoniques est estimé à 30 ans (contre 49 ans pour le groupe ATA-A) , et tous les cas sont d’emblée invasifs.

Les CMT sporadiques sont découverts plus tardivement (49 ans en moyenne). Les cas les plus invasifs sont observés parmi les patients porteurs d’une mutation somatique RET, quelle que soit sa classification. Les CMT porteurs d’une mutation RAS semblent présenter des caractéristiques cliniques d’agressivité semblables aux tumeurs non mutées RET ou RAS.

En conclusion, nous avons confirmé la présence de mutations oncogéniques RAS dans la quasi-totalité des tumeurs CMT non mutées pour RET. Ces variants paraissent mutuellement exclusifs, et constituent les 2 évènements oncogéniques précoces majeurs du CMT. Contrairement à d’autres types tumoraux, et bien que peu de couples tumeur primitive/métastase aient été étudiés, l’hétérogénéité moléculaire intra- et inter-tumorale semble donc restreinte dans cette pathologie et met en lumière des caractéristiques de réponse aux traitements distinctes. Cet argument permet d’imaginer des projets thérapeutiques ciblés utilisant, en sus des ITK en cours d’essai, des molécules capables d’inhiber RAS ou les voies en aval de RAS, comme les inhibiteurs de BRAF, de MEK ou encore de mTOR.

Enfin, nous devons préciser que si l’implication de ces oncogènes dans le développement tumoral est maintenant confirmé (les modèles murins sur-exprimant HRAS développent spontanément un CMT), ceux-ci n’expliquent pas la variabilité phénotypique inter-tumorale observée.

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