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L'inoculation séquentielle de levures et de BL a conduit à des vins dont le profil

aromatique est spécifique au couple levures/BL utilisé. Si nous avons démontré que la souche

de levures, plus que la souche de bactéries, influence l’arôme fruité des vins rouges, la

réalisation d’un profil sensoriel permet d’apporter quelques nuances.

Dans l’ensemble, les descripteurs proposés pour décrire l’arôme fruité des vins ont bien été

utilisés par les juges pour différencier les modalités. Pour les expérimentations WEC 12 et

PL, les vins fermentés par la levure FX10 sont principalement caractérisés par les notes

"fermentaire" et "fruits frais". Sur les trois descripteurs liés à la note fruitée, "fruits confiturés"

n’a pratiquement pas été utilisé par les juges pour différencier les vins. Or les vins jeunes sont

principalement caractérisés par des arômes fermentaires qui vont s’estomper au cours du

temps pour laisser place, le plus souvent, à des notes de "fruits confiturés", "épicé", plus

complexes.

Des effets de masque de l’arôme fruité ont également été mis en évidence par l’utilisation des

descripteurs "végétal" et "fumé/grillé". La note végétale est souvent en opposition avec la note

fruitée. Les vins issus du WEC 12, fermentés par la levure FX10, sont en effet décrits comme

plus fruités et moins "végétal" que les modalités "522D" ou "XR". De même pour les vins SE,

les modalités inoculées par la levure 522D apparaissent plus "végétal" que celles inoculées

avec la souche XR, même si ces dernières n’ont pas pour autant été décrites comme plus

fruitées. Le principal marqueur de la note végétale, la 3-isobutyl-2-méthoxypyrazine ou

IBMP, n’a pas été dosée ici. Cependant, cette pyrazine est un composé d’origine variétale liée

à la maturité du raisin, et il semble peu probable que la souche de levures puisse avoir un

impact significativement perceptible.

Les vins fermentés avec la levure 522D ont également été décrits comme possédant des notes

"fumé/grillé", susceptibles de masquer l’arôme fruité. Pour la modalité 522D/B28 du WEC 12

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après 12 mois d’élevage, l’effet de ce masque participe vraisemblablement à une perte

importante de la perception de la note fruitée. Cependant, le caractère "fumé/grillé" ne semble

pas uniquement corrélé à la souche de levures. Il a en effet également été utilisé pour

différencier les vins en fonction de la souche de bactéries, et semble corrélé avec la souche

B28. L’apparition d’un masque de l’arôme fruité après la FML par des notes de ce type a déjà

été décrite dans des vins de Merlot et de Cabernet Sauvignon (Keim et al., 2002 ; Antalick et

al., 2012). Les composés responsables de cette odeur sont peu connus. Au cours des épreuves

d’analyse sensorielle, les juges ont pu associer l’odeur "fumé/grillé" avec des notes qui s’en

approchent comme certaines notes de réduction. Des études ont mis en évidence des

phénomènes de réduction liés à des composés soufrés volatils libérés au cours de la FML

(Pripis-Nicolau et al., 2004 ; Vallet, 2007). Deux d’entre eux, le DMS et l’H

2

S, ont été dosés

dans les vins du millésime 2011. Aucun effet "levures" ou "bactéries" n’a pu être mis en

évidence pour ces composés, ce qui exclut sans doute leur participation à cette note

aromatique. En outre, les mêmes conclusions avaient été observées par Antalick (2010). Il est

par ailleurs peu probable que ces notes "fumé/grillé" correspondent à l’apparition de

composés tels que les thiazoles. Ces réactions sont en effet lentes et observables dans des vins

ayant subi plusieurs années de vieillissement (Marchand et al., 2000 ; Marchand et al., 2002).

Enfin, cette note aromatique ne peut également pas être corrélée aux molécules issues de

l’élevage sous bois de chêne étant donné qu’aucune barrique n’a été utilisée dans ces

expérimentations.

Ces travaux montrent pour la première fois l’importance de la souche de levures dans

la modulation de l’arôme fruité des vins rouges de Bordeaux. L’utilisation de barrique au

cours de l’élevage a volontairement été écartée de l’étude, au vu des nombreux travaux ayant

montré l’impact du bois sur les propriétés organoleptiques du vin (Chatonnet, 1995 ;

Tominaga et al., 2000 ; Marchal et al., 2013). Il serait cependant intéressant de compléter ces

travaux avec des vins ayant subi un élevage en barriques, afin de voir si l’influence de la

souche de levures sur l’arôme fruité reste perceptible malgré l’utilisation de bois.

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Conclusion de la première partie

Cette première partie avait pour objectif d’étudier l’importance du couple levures/BL

dans la modulation de l’arôme fruité des vins rouges. Quatre expérimentations ont été mises

en place dans trois régions du bordelais et deux millésimes (WEC 11, WEC 12, PL et SE) afin

de tester l’impact de trois souches de levures (FX10, XR et 522D) et de deux souches de BL

(B28 et 450) sur la modulation de l’arôme fruité. Cinq prélèvements ont été réalisés, en

fonction des différentes étapes de vinification et d’élaboration des vins : après les

fermentations alcoolique et malolactique ainsi que pendant l’élevage, après 3, 6 et 12 mois. Le

dosage de plus de 70 composés aromatiques et la réalisation de plusieurs tests d’analyse

sensorielle ont permis d’étudier les profils analytiques et aromatiques de chaque couple testé.

Un premier profil analytique a été établi pour les vins du millésime 2011 par le dosage

de nombreuses molécules potentiellement impliquées dans l’arôme fruité : six alcools

supérieurs, trois aldéhydes et trois cétones, deux composés soufrés, huit acides, quatre dérivés

des norisoprénoïdes à 13 carbones, six lactones, un terpène et quarante esters. La

concentration de la quasi-totalité de ces molécules est significativement affectée par la souche

de levures, tandis que peu d’entre elles sont modulées par la souche de bactéries. Au-delà du

diacétyle, et de quelques produits dérivés, connus pour être principalement synthétisés par les

BL au cours de la FML, la concentration en certains esters semble également modifiée.

Par la suite, la quantification de trente-deux esters dans toutes les modalités issues des

quatre expérimentations a en effet permis de confirmer l’effet des souches de levures et de

bactéries sur la modulation de leur concentration. Cependant, la réalisation de

micro-vinifications en laboratoire a montré que l’effet "bactéries" observé au cours de l’élevage sur

certains esters était vraisemblablement dû à une différence de population bactérienne lors de

l’inoculation avant FML.

A la fin de la FA, des écarts de concentration significatifs ont donc pu être mis en évidence

entre les modalités fermentées par différentes levures. Malgré une deuxième fermentation et

plusieurs mois d’élevage, le même effet "levures" a pu être observé à la fin de

l’expérimentation, quel que soit l’ester considéré. Ces résultats démontrent la pertinence et la

permanence de l’effet "levures" sur cette famille chimique.

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Ainsi, dans les vins WEC 11, WEC 12 et PL, les modalités fermentées par la souche FX10

contiennent significativement plus d’esters éthyliques d’acides gras (du C

4

C

2

au C

12

C

2

) que

les autres modalités. Leurs concentrations diminuent au cours du temps et sont toutes

inférieures au seuil de perception considéré, quel que soit le temps de prélèvement. Les

EEAG ne peuvent donc pas avoir d’influence directe sur la modulation de la note fruitée des

vins. Les écarts mesurés entre les différentes modalités semblent également trop faibles pour

être perçus olfactivement, au regard des études préalablement menées sur les interactions

perceptives (Pineau et al., 2009).

Les acétates d’alcools supérieurs sont quant à eux principalement synthétisés par les levures

522D et FX10. L’acétate d’isoamyle, principal composé de cette famille, est présent dans les

vins à des concentrations supérieures à son seuil de perception et peut donc avoir un impact

direct sur l’arôme. Au vu de leurs concentrations, d’autres acétates comme l’acétate d’hexyle

et l’acétate de 2-phényléthyle pourraient également jouer un rôle dans la modulation des notes

fruitées via des phénomènes de synergie (Pineau, 2007).

Enfin, les esters branchés constituent la troisième sous famille d’esters pouvant avoir un rôle

central. Dans les quatre expérimentations, ils sont retrouvés en plus grande quantité dans les

vins fermentés par la levure 522D, à des concentrations proches voire supérieures à leur seuil

de perception. De plus, les écarts de concentrations observés, de l’ordre de quelques

microgrammes par litre, entre les différentes modalités, et notamment entre "522D" et

"FX10", devraient être suffisants pour modifier l’arôme fruité du vin et être perçus par les

dégustateurs (Pineau, 2007).

En complément des analyses chimiques, trois tests d’analyse sensorielle ont été

utilisés.

Le Napping®, utilisé pour étudier les vins du millésime 2011 a permis d’observer de façon

globale l’effet des différents couples sur l’arôme du vin. Il a ainsi été montré que le caractère

fruité est l’attribut le plus influencé par la souche de levures. Les vins fermentés par les

souches FX10 et XR ont été différenciés de ceux inoculés avec la levure 522D sur la base de

leurs notes fruitées. Les tests de classement et de profil conventionnel ont permis de confirmer

ces observations sur les trois vins du millésime 2012. Pour toutes les expérimentations, les

vins fermentés par la souche FX10 ont été perçus comme plus fruités que les vins inoculés

avec la levure XR ou 522D. A SE où FX10 n’a pas été testée, les modalités "XR" ont été

décrites comme plus fruitées que les modalités "522D".

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Lors des différents tests d’analyse sensorielle, les vins ont également été caractérisés par des

notes "fumé/grillé", souvent en opposition avec les notes liées au fruité. L’apparition d’un

masque de l’arôme fruité a déjà été décrite mais les composés responsables de cette odeur

n’ont pas été identifiés. Il pourrait s’agir de notes de réduction, dues à la libération de certains

composés volatils soufrés. Des travaux complémentaires, plus approfondis, sont nécessaires

pour déterminer l’origine de ces notes "fumé/grillé".

L’effet "levures" mis en évidence dans ce travail a été observé sensoriellement, y compris

après 3 et 12 mois d’élevage. Comme pour les esters, l’impact de la levure sur l’arôme fruité

persiste au cours du temps. Cependant, ces résultats ne concordent pas parfaitement avec ceux

de l’analyse chimique. Les trente-deux esters dosés ne permettent pas à eux seuls d’expliquer

les différences sensorielles perçues par le panel entre deux modalités. Ces résultats suggèrent

l’existence dans les vins d’autres composés volatils capables d’augmenter l’arôme fruité. La

détermination de ces molécules constitue le principal enjeu de la deuxième partie de cette

thèse.

Le vin est une matrice complexe, composée de centaines de molécules volatiles et non

volatiles potentiellement impliquées dans la modulation de l’arôme fruité. Le dosage d’une

grande partie de ces composés serait possible, néanmoins, il semble peu vraisemblable qu’une

méthode de criblage aussi large puisse permettre l’identification de molécules clés. Pour

permettre cette recherche efficacement, nous avons donc choisi de simplifier la matrice grâce

au fractionnement par chromatographie en phase liquide d’extraits de vin, méthode déjà

employée dans le laboratoire, et d’étudier les fractions d’intérêt conjointement par GC-MS et

par flairage.

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DEUXIÈME PARTIE : Mise en évidence d’interactions perceptives

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Chapitre 4 : Elaboration d’une stratégie guidée par l’analyse sensorielle dans le

but d’isoler une fraction odorante d’intérêt

Dans le but de cibler les molécules responsables des différences sensorielles observées

dans le chapitre précédent, des extraits de vin ont été fractionnés par chromatographie en

phase liquide à haute pression. L’étape préliminaire consiste à sélectionner les fractions

d’intérêt par simple flairage, puis à tester leur impact sur l’arôme fruité de diverses

reconstitutions aromatiques à l’aide de plusieurs tests d’omission.

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