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CHAPITRE 3 - ANTIDEPRESSEURS ET DIABETE DE TYPE II

3.4. Discussion

3.4.1. Synthèse des résultats

Cette étude, menée sur près de 64 000 femmes de la cohorte E3N, a cherché à examiner

l’association entre l’utilisation d’antidépresseurs et le risque de survenue d’un diabète de type II au

cours de 6 années de suivi. Après ajustement sur un large éventail de facteurs de confusion

potentiels, les utilisatrices d’antidépresseurs avaient un risque plus important de développer un

diabète de type II au cours du suivi comparées aux non-utilisatrices. Les analyses stratifiées sur les

tertiles du nombre de consultations médicales dans les douze derniers mois ont montré que cette

association était présente chez les participantes ayant un nombre intermédiaire ou élevé de

consultations médicales (tertiles 2 et 3) mais pas chez les participantes ayant un nombre faible de

consultations médicales (tertile 1). Lorsque les types d’antidépresseurs ont été considérés, les

femmes ayant un nombre intermédiaire ou élevé de consultations médicales (tertiles 2 et 3) et

utilisant des antidépresseurs de types imipramine ou des ISRSs avaient un risque plus important

de développer un diabète de type II au cours du suivi.

3.4.2. Résultats dans le contexte de la littérature

Les résultats des analyses non stratifiées par les tertiles du nombre de consultations

médicales sont en accord avec la majorité des études observationnelles basées sur des registres

109–

112,118

et deux méta-analyses

76,77

qui ont mis en évidence une association entre l’utilisation

d’antidépresseurs et le risque de développer un diabète de type II. Cependant, comme les

enquêtes basées sur des registres ne permettent pas de capturer les personnes atteintes d’un

diabète de type II non diagnostiqué, leurs résultats étaient potentiellement affectés par un biais de

détection. En effet, l’utilisation d’antidépresseurs requiert un contact avec le système de soins, ce

qui pourrait augmenter la chance d’un diagnostic pour une autre maladie au développement

silencieux comme le diabète de type II pour lequel l’hyperglycémie est longtemps

asymptomatique. Cette explication est en accord avec les résultats différentiels retrouvés dans les

analyses stratifiées par les tertiles du nombre de consultations médicales, et avec le manque

d’association entre l’utilisation d’antidépresseurs et le risque de survenue d’un diabète de type II

chez les femmes ayant un faible nombre de consultations médicales. Ces derniers résultats vont

dans le sens de l’hypothèse avancée pour expliquer les associations observées dans les études

basées sur les données de l’étude américaine NHANES

114

et sur celles anglaises de Whitehall II

113

qui ont également rapporté une possible association non-causale entre l’utilisation

d’antidépresseurs et le risque d’un diabète de type II.

112

3.4.3. Interprétation des résultats

A la différence des travaux de Kivimäki et al., il a été possible, dans la présente étude, de

tester l’hypothèse d’un biais de détection en tenant compte directement du nombre de

consultations médicales. Les résultats ont montré que les utilisatrices d’antidépresseurs

consultaient plus souvent (>11 consultations dans les douze derniers mois) que les

non-utilisatrices et qu’il n’y avait pas d’association entre l’utilisation d’antidépresseurs et le risque de

survenue d’un diabète de type II chez les femmes ayant un faible nombre de consultations

médicales dans les douze derniers mois. Ce résultat est en faveur de l’hypothèse d’un biais de

détection et suggère que l’association entre l’utilisation d’antidépresseurs et le risque accru de

survenue d’un diabète de type II rapportée dans la première partie des analyses de cette étude

ainsi que dans les études précédentes

75–77,110,111,119,120

ne serait pas causale.

L’utilisation d’antidépresseurs n’était pas associée au risque de diabète de type II chez les

femmes ayant un faible nombre de consultations médicales dans les douze derniers mois, que ce

soit avant ou après ajustement sur les facteurs de confusion potentiels (comme les

comportements de santé, les caractéristiques anthropométriques, celles liées à l’état de santé dont

les symptômes de dépression sévère et l’utilisation d’autres médicaments). Par conséquent,

l’absence d’une association n’est pas due à un artefact résultant d’un effet de suppression ou

d’inflation des facteurs de confusion.

3.4.4. Forces et limites de l’étude

Les résultats de cette étude doivent être interprétés au regard de quelques limites.

Premièrement, la majorité des variables ont été obtenues par auto-questionnaires et peuvent donc

être soumises à des biais de déclaration. Deuxièmement, certains biais peuvent persister dans les

comparaisons entre types d’antidépresseurs si le choix d’une classe d’antidépresseurs en

particulier a été influencé par les facteurs de risque de diabète de type II, mais un large éventail de

variables de confusion potentielles ont été prises en compte dans les analyses afin de réduire les

différences entre groupes comparés. Troisièmement, un biais de confusion résiduel peut encore

être présent en raison de variables qui n’auraient pas été recueillies dans la base de données ou qui

n’auraient pas été enregistrées avec assez de détails pour retirer complètement leur effet de

confusion des analyses. Bien que les analyses aient été ajustées sur les symptômes de dépression

sévère, l’échelle CES-D n’étant pas un instrument diagnostic, il n’a pas été possible de capter

113

toutes les composantes pertinentes de la dépression. Quatrièmement, un bais de déplétion des

sujets à risque ne peut être exclu. En effet, les personnes n’ayant pas toléré un antidépresseur

dans le passé auront une plus grande probabilité de ne pas y être exposées de nouveau, ce qui

suggère que les personnes exposées aux antidépresseurs dans le passé n’auraient pas le même

risque de diabète que les personnes utilisant ces médicaments pour la première fois. Ce biais

pourrait sous-estimer les associations avec l’utilisation d’antidépresseurs. Cinquièmement, des

erreurs de classification concernant la variable d’utilisation d’antidépresseurs ont pu avoir lieu

puisque certaines femmes pourraient ne pas avoir pris la totalité ou partie de leur prescription.

Ces erreurs de classifications pourraient sous-estimer les associations avec l’utilisation

d’antidépresseurs. De plus, les informations sur les doses n’étaient pas disponibles dans les bases

de remboursement de la MGEN. Sixièmement, bien qu’un grand nombre de participantes aient

été incluses dans la présente étude, le nombre d’évènements était faible pour la catégorie

d’utilisation mixte d’antidépresseurs. Septièmement, la population d’étude n’incluait que des

femmes volontaires ; il est donc possible que les résultats ne soient pas transposables aux

hommes ou à la population générale. Enfin, il n’a pas été possible de distinguer les cas de diabète

de type I et de type II. Cependant, un nombre très faible de cas incidents de diabète de type I est

attendu au vu de l’âge des femmes de la cohorte, c’est pourquoi l’ensemble des cas de diabète a

pu être considéré comme de type II.

Malgré ces limites, cette étude inclut un grand nombre de participantes avec un schéma

longitudinal et un suivi de 6 années permettant de réaliser des analyses en prenant en compte les

différentes classes pharmacologiques d’antidépresseurs et selon les tertiles du nombre de

consultations médicales. Ces analyses tenaient également compte des changements d’utilisation

d’antidépresseurs au cours du suivi. Puisque les données sur les remboursements

d’antidépresseurs ainsi que les facteurs potentiels de confusion ont été enregistrés de manière

prospective avant la survenue du diabète de type II, un biais de mémoire est exclu. Pour finir, il a

été possible de prendre en compte dans la présente étude un large éventail de facteurs de

confusion potentiels. En particulier, il a été possible de séparer l’association des symptômes de

dépression sévère de l’utilisation d’antidépresseurs avec le risque de diabète de type II.

114

3.4.5. Conclusion

L’association entre l’utilisation d’antidépresseurs et le risque de survenue d’un diabète de

type II semble être le résultat d’un biais de détection, renforçant l’hypothèse de sa non causalité

évoquée dans la littérature. Les effets négatifs de l’utilisation d’antidépresseurs sur le risque de

diabète de type II ont pu être surestimés dans de précédentes études. Cependant, d’autres études

sont nécessaires pour confirmer ces résultats et vérifier la plausibilité biologique de cette

association si elle existe, comme par exemple l’examen de l’association entre l’utilisation

d’antidépresseurs et l’altération du métabolisme glucidique qui précède la survenue d’un diabète

de type II.

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