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La discussion s’organise en trois thématiques : a) construction d’expérience pour les apprenants (§ 7.1), b) conception de formation (§ 7.2), c) développement et gestion d’environnement numérique de formation (§ 7.3).

7.1 Construction d’expérience

Dans le champ qui nous intéresse, celui des sciences de l’éducation, nous souhaitions identifier des éléments propres aux apprentissages (construction d’expérience). Ces éléments d’analyse sont identifiables seulement par les autoconfrontations (§ 4.6) dans lesquelles les étudiants évoquent les constructions d’expériences relatives aux projets. La première situation qui illustre ceci est celle de l’Étudiant A qui réalise dans le courant du mois de mars 2011 son

premier document de présentation à l’aide de PowerPoint17. Il s’agit des prémices du document de présentation que le groupe va utiliser lors de la journée finale d’évaluation le 15 juin 2011. Relativement à ceci, nous pouvons évoquer que c’est son accident, qui le contraint à une certaine immobilité ce qui va lui permettre de « profiter » de ce temps pour construire son document « PowerPoint ».

En termes d’apprentissage, le Groupe 6 réorganise son action au regard de la définition de l’interdisciplinarité. L’Étudiant R interpelle A et C autour de cette notion. Pour lui, ils ne font pas de l’interdisciplinarité mais de la pluridisciplinarité puisqu’ils n’interviennent jamais en commun autour des problèmes rencontrés (celui qui rencontre un problème le résout dans sa sphère de compétence sans discuter avec les autres). R en prend conscience et indique aux deux autres : « Stop ! On arrête tout, on fait fausse route ! » (23 février 2011). Les trois décident de stopper le projet, de discuter et de clarifier les modalités de travail pour la suite.

Ils réorientent le projet sur un mode interdisciplinaire de façon à ce que l’ensemble du groupe participe de façon imbriquée aux différentes étapes du projet. Dans cette remise à plat des concepts théoriques, les trois étudiants remarquent que leurs apprentis ne sont pas suffisamment actifs et impliqués (A, C et R travaillaient davantage que leurs apprentis). La clarification des concepts théoriques apportés durant la journée de présentiel en janvier (26 janvier 2011) prend corps pour les trois étudiants.

L’ensemble des groupes témoigne d’une construction d’expérience autour de la découverte des professions qu’ils côtoient dans ce projet. Si la plupart n’évoque pas de fait précis, R fait part de l’expérience qui évoque cette idée. Lorsque ses apprentis dessinateurs en microtechnique terminent les plans du Bétomat et les transmettent aux maçons, ces derniers ne peuvent les lire. Si dans les deux métiers des plans existent, les normes ne sont pas les mêmes. Un élément, d’apparence mineure va bloquer les maçons dans la lecture du plan. Il s’agit de l’unité utilisée par les dessinateurs. Ces derniers utilisent le millimètre (et encore plus souvent le centième de millimètre et le micron) comme référence alors que les maçons utilisent le centimètre et le mètre. R (dessinateur) réalise tout comme A (maçon) que d’autres normes existent respectivement à chaque métier.

Tous les membres évoquent la découverte d’univers professionnellement différents des leurs. La première situation est celle de R et C qui découvrent le milieu carcéral dans lequel

17 Un outil de PREAO (Présentation Assistée par Ordinateur) né en 1987 (v1.0) et développé par Microsoft.

officie A. Le deuxième cas est celui de R qui découvre la différence entre ses propres apprentis qui possèdent des « aptitudes scolaire élevées » et ceux de A qui sont en grande difficulté scolaire et sociale. Dans la troisième situation l’étudiant N découvre les univers de L et O qui ont en charge des personnes en réinsertion scolaire et sociale.

À travers les éléments évoqués ci-dessus par les étudiants, nous souhaitons pointer ce qui ressort de notre étude en termes de construction d’expérience : on ne peut déterminer précisément les apprentissages qui vont être réalisés durant la formation même si nos objectifs et nos intentions sont clairement déterminés. Lors des autoconfrontations, on remarque des différences entre les apprentissages souhaités par les objectifs de la formation et les apprentissages qu’ils font réellement. Le seul étudiant qui évoque des éléments relatifs à l’interdisciplinarité est l’étudiant R. Tous les autres évoquent des apprentissages en dehors des objectifs même du projet. Ceci signifie pour nous que les apprentissages ne sont pas prédictibles. Il faut donc rester modeste dans notre capacité à transmettre ce que nous avions prévu.

Les étudiants engagés à l’IFFP dans le dispositif de formation pédagogique passent de compétences techniques très spécifiques à leur métier (maçonnerie, mécanique, cuisine, etc.) à des compétences intégrant l’utilisation de nouveaux outils (PowerPoint, Beamer, outils bureautique, etc.) et de nouvelles pratiques (présentation, organisation et animation de réunion, gestion de personnes, etc.). Cette recherche le met en évidence, la mise en interdisciplinarité apporte des espaces favorisant l’émergence de ces nouvelles pratiques. Dès lors, une piste intéressante se donne à voir ici dans la possibilité de réintégrer ces compétences dans la définition des objectifs de la formation qui permettrait ainsi une décentration de l’objectif « scolaire » d’appropriation de la notion d’interdisciplinarité par les étudiants.

7.2 Conception pédagogique de la formation

La configuration des dynamiques d’activité collective des deux groupes étudiés montre des différences en ce qui concerne le déroulement du projet. Malgré des consignes identiques, les participants des deux groupes changent de rôle durant toute la durée du projet.

Conformément aux résultats présentés ci-dessus, dans les deux groupes, les étudiants passent allègrement d’un rôle à l’autre suivant les aléas et les directions que prend le projet.

Cette interchangeabilité perpétuelle des rôles nous pousse à remettre en question la notion d’attribution de rôle évoqué par les tenants du courant CSCL (Dillenbourg, 2002 ; Schneider, Synteta et Frete, 2002). Nous mettons en question la notion de rôle en même temps que nous réinterrogeons la notion de scripts (également relatif au courant du CSCL). Les résultats présentés au chapitre précédent montrent que les groupes s’organisent et se ré-organisent continuellement en fonction des coïncidences, des aléas ou du simple déroulement du projet.

Une scénarisation ou « séquentialisation » de l’activité définie a priori par un script nous semble occulter ici la non-prédictibilité et la non-linéarité des activités des étudiants sur le projet.

En accord avec les principes énactifs, l’attribution de rôle ou la création de séquence prédéfinissant l’activité humaine ne peut être prédite : les rôles et les scripts existent, mais sont émergents à chaque instant dans le déroulement du projet.

7.3 Construction et gestion d’environnement numérique de formation

En termes d’apport pour la conception d’environnements numériques de formation, nous sommes davantage d’avis qu’une voie se situe vers des systèmes ouverts et malléables. Nous rejoignons l’idée qu’une scénarisation des activités, ainsi que l’introduction de rôle ne s’avèrent pas pertinente au regard des dynamiques d’activités collectives. Les deux groupes étudiés, malgré des objectifs parfaitement similaires n’empruntent pas le même chemin. Nous avons pu observer dans le Groupe 6 deux imprévus majeurs (accident d’un des membres et abandon d’un autre) qui changent les orientations successives que prend le groupe dans son activité pour y faire face. Lorsqu’un membre abandonne et l’autre est victime d’un accident, les rôles sont redistribués de façon à pallier aux imprévus.

Notre proposition rejoint l’idée qu’il faut se diriger vers des environnements « plus riches et appropriés à des situations, conditions et contextes variés » (Dimitracopoulou, 2005, cité par Lonchamp, 2007, p.1). Lonchamp (2007, p.1), toujours dans le même texte, cite cette fois Suthers (2005) qui donne en ces termes les propriétés des environnements numériques :

"reconfigurables, adaptatifs, et offrant des collections d’affordances et de formes de guidage flexibles".

Notre étude démontre le besoin de tendre vers cette adaptativité. D’une part, les différents groupes se sont appropriés les outils de façon forte différente selon leurs propres besoins. La

situation emblématique de ceci (déjà évoquée plus haut) se matérialise lorsque pour une même fonction qui vise la gestion temporelle du projet, des groupes ont utilisé l’Outil

« Synthèse » d’autre l’Outil « Documents » et d’autre l’Outil « Traceur ». U-nity couplé à un dispositif pédagogique fondé sur la non-imposition de rôle et de séquence offre aux étudiants la possibilité d’adapter les différents outils à leurs besoins particuliers.

Rappelons que notre projet se situe dans une optique de développement itératif. Le développement itératif est caractérisé « par une interaction entre théories en cours d’élaboration et expérimentations de prototypes successifs qui explorent l’espace des conceptions possibles » (Stahl et al., 2006, cité par Lonchamp, 2007). En accord avec ceci, les étudiants ont émis durant l’entier du processus et lors des autoconfrontations des indications sur les limites de certains outils. Sur cette base, la possibilité existe d’améliorer les possibilités de la plate-forme. Les éléments émis et récoltés ont mis en évidence les éléments suivants :

• Espace d’écriture de l’Outil « Synthèse » trop petit

• Impossibilité de mettre des illustrations dans l’Outil « Synthèse »

• La difficulté à lier un document (Outil « Documents ») à un texte écrit (Outil

« Synthèse »)

• Impossibilité de déposer certains types de document

Ces considérations qui entrent dans un processus itératif, conformément à notre projet, mettent en évidence deux éléments qu’il faut prendre en compte lorsqu’il s’agit de concevoir des ENF.

Premièrement, pour le moment, le concepteur doit encore intervenir pour réaliser les développements proposés par les étudiants car ceux-ci n’ont pas la possibilité de réaliser directement des modifications sur les fonctionnalités et les possibilités mêmes de la plate-forme. Une étape supplémentaire pourrait consister à rendre la plate-forme « malléable » qui traduit mieux le fait que « ce sont les utilisateurs qui font évoluer leur propre système […].

Cette propriété se traduit en termes de malléabilité. » (Bourguin, 2000, p.62). La malléabilité

« […] introduit des caractéristiques particulières. Elle ne correspond pas exactement à la possibilité de développer l’application, ni d’utiliser l’application, mais sous-entend un peu des deux. Une application malléable est à la fois utilisable et modifiable par ses propres

utilisateurs. L’activité de redéfinition correspond elle-même à une des facettes de son utilisation." (Bourguin, 2000, p.64). Il revient donc aux concepteurs d’élaborer des environnements les plus malléables possible.

Deuxièmement, une piste d’ouverture possible, pour aller encore plus loin que la notion de malléabilité, doit prendre corps dans une capacité d’adaptativité automatique des environnements. Par adaptativité, Laroussi et Carron (2011, p.397) entendent la capacité d’adaptation automatique de la plate-forme aux besoins des apprenants. Il s’agit donc de propriétés qui vont plus loin que la simple personnalisation, l’extensibilité et l’adaptabilité mais qui intègre véritablement l’adaptation automatique : « l’adaptativité ».