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Chapitre 5 Étude des démarches déployées par des élèves de quatrième secondaire en science et

5.6 Discussion

L’étude présentée dans cet article avait pour but de documenter les démarches de production d’une carte conceptuelle en modalité manuscrite et en modalité informatisée. Une meilleure compréhension de ces processus s’avère une condition essentielle pour adapter adéquatement la formation préalable à la cartographie conceptuelle aux particularités inhérentes

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au support de production. En combinant les données issues de la verbalisation de la pensée et celles de l’observation directe des actions des participants, il a été possible de faire ressortir les caractéristiques de trois types de démarches : une démarche qui consiste à élaborer les propositions sur-le-champ, une démarche centrée sur l’anticipation des relations et une démarche centrée sur la catégorisation des concepts.

Comme il a été décrit lors de l’analyse des résultats, les participants ont tendance à rédiger les propositions sur-le-champ lorsqu’ils effectuent la tâche à l’ordinateur, alors que les individus vont repousser à plus tard la mise en relation des concepts lorsqu’ils font la même tâche de manière manuscrite. Cela fait en sorte que l’individu, à l’écrit, a le temps de se former une image mentale plus complète de sa carte conceptuelle avant de commencer à tracer les liens entre les concepts, et ce qui explique peut-être, qu’il manifeste moins d’opérations de révision. À l’inverse, dans la modalité informatisée, cette représentation mentale se forme au moment même de la construction de la carte, et cela expliquerait pourquoi les participants ayant utilisé cette modalité révisent et corrigent plus souvent le contenu de leur carte au cours de la tâche. La facilité à modifier le contenu d’une carte à l’ordinateur est d’ailleurs un autre facteur contribuant probablement aux différences observées relativement à la fréquence des stratégies de modification du contenu (Watson et coll., 2016). Ces observations concordent d’ailleurs avec les propos d’un enseignant rapportés dans l’article de Royer et Royer (2004), indiquant que les élèves ont manifesté plus d’intérêt à réviser leur carte à l’ordinateur qu’à l’écrit.

À plusieurs égards, les résultats de cette étude rejoignent ceux de travaux antérieurs, dont ceux dans le domaine de la recherche sur les processus d’écriture. En effet, il existe plusieurs parallèles à faire entre la production d’une carte conceptuelle et la production d’un texte écrit. Dans un cas comme dans l’autre, l’utilisation d’un outil informatisée fait en sorte qu’un individu met en œuvre moins de stratégies de planification au début de la tâche ; il se lance plus rapidement dans la mise en texte (ou la mise en forme de la carte) ; et procède à des stratégies de planification plus ciblées (Haas, 1989). La mise en texte (ou la mise en relation des concepts) est quant à elle plus fragmentaire et est plus souvent interrompue par d’autres processus (Diarra, 2013 ; Van Waes et Schellens, 2003). Enfin, en ce qui concerne la révision, même s’il semble que l’outil informatique favorise les opérations d’ajout, de suppression ou de remplacement dans la production (Diarra, 2013), les individus portent plus d’attention à la révision des éléments en

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surface du texte ou de la carte (Bridwell-Bowles, Johnson et Brehe, 1987 ; Hult, 1988 ; Lutz, 1987 ; Van Waes et Schellens, 2003) et moins à la révision en profondeur du contenu de la production.

Bien entendu, de tels résultats méritent d’être nuancés. D’abord, la présente étude, qui prend appui sur un échantillon de convenance composé seulement de huit cas, ne prétend pas avoir atteint le seuil de saturation des données. Un nombre plus grand de participants et un échantillonnage plus hétérogène (les participants avaient entre 14 et 16 ans et étaient issus de la même école et du même niveau de scolarité) auraient pu aboutir à une plus grande variété de démarches de cartographie conceptuelle. Il est toutefois intéressant de noter que, même dans les conditions limitées de cette recherche, quelques démarches différentes ont été observées. Ensuite, il faut rappeler que la transcription et le codage final n’ont été effectués que par un seul chercheur pour des raisons logistiques. Si le temps et les ressources l’avaient permis, il aurait été utile d’effectuer un exercice de contre-codage pour vérifier le degré de fidélité du codage, mais aussi pour clarifier le lexique de codes. Une autre stratégie pour s’assurer de la cohérence du codage aurait été de vérifier la fidélité intracodeur. Puis, il faut s’apercevoir que certains facteurs et variables n’ont pas été contrôlés dans cette étude. Dans leur étude, Ruiz-Primo, Shavelson, et coll. (2001) ont par exemple observé des démarches différentes selon le niveau de maîtrise préalable des connaissances disciplinaires. Lim, Lee et Grabowski (2009) ont quant à eux montré que les individus bénéficient davantage de la cartographie conceptuelle comme stratégie d’apprentissage lorsqu’ils démontrent un niveau plus élevé d’habiletés d’autorégulation des apprentissages. Contrôler le niveau de connaissances antérieures et les habiletés d’autorégulation des apprentissages serait en toute logique un moyen d’approfondir l’étude des démarches des participants. Les habiletés en informatique des individus, ainsi que leur attitude et leur niveau d’anxiété face à l’utilisation de l’ordinateur sont également des variables qui méritent d’être contrôlées lors de prochaines études sur les différences entre l’évaluation traditionnelle sur support papier et l’évaluation assistée par ordinateur (Erdogan, 2009 ; McDonald, 2002 ; Shudong, Hong, Young, Brooks et Olson, 2007). Enfin, il serait pertinent d’examiner scrupuleusement les caractéristiques spécifiques du support de passation. Les comportements des participants auraient pu être différents si un autre logiciel de

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cartographie conceptuelle avait été utilisé (Weinerth et coll., 2014) ou encore si les participants n’avaient pas reçu d’étiquettes amovibles.

À cet égard, Weinerth et coll. (2014) ont bien montré que les écrits au sujet de la cartographie conceptuelle se sont peu intéressés à la facilité d’utilisation (usability) des programmes informatiques servant à produire des cartes conceptuelles et que, de manière générale, les études qui y ont accordé de l’attention l’ont fait de façon superficielle. La facilité d’utilisation fait pourtant partie des principes directeurs en matière de testing et d’évaluation assistée par ordinateur (computer-based testing) depuis de nombreuses années (The International Test Commission, 2006). Une réflexion similaire peut avoir lieu quant aux diverses façons de produire une carte conceptuelle sur support papier. Il apparaît donc important de tenir compte du contexte (par ex., le contenu des tâches) et des conditions dans lesquels ces stratégies sont mises en œuvre.

La maîtrise de la technique de cartographie conceptuelle est d’ailleurs un élément contextuel à prendre en considération. Le cas particulier du participant 8 soulève quelques questionnements à cet égard, notamment au sujet de la transférabilité des habiletés spécifiques d’une modalité à une autre. La démarche qu’il a suivie lors de la tâche principale, faite sur support papier, ainsi que les difficultés qu’il a rencontrées laissent penser que celui-ci a peut- être essayé de transférer telles quelles les stratégies développées lors des activités préparatoires faites à l’ordinateur.

La formation est sans contredit un enjeu clé afin de s’assurer que les individus maîtrisent la technique de la cartographie conceptuelle. Non seulement la formation doit permettre à l’individu de développer certaines stratégies propres à cette technique de représentation des connaissances, mais elle doit aussi leur permettre de maîtriser certaines stratégies spécifiques à la modalité de production de la carte. Dans le cadre de cette étude, même si la formation offerte aux élèves était plus longue que celles proposées dans plusieurs autres travaux de recherche (Dogusoy-Taylan et Cagiltay, 2014 ; Gurlitt et Renkl, 2010 ; Hilbert et Renkl, 2008 ; Ruiz- Primo, Schultz, et coll., 2001 ; Ruiz-Primo, Shavelson, et coll., 2001 ; Yin et coll., 2005), plusieurs observations indiquent que la formation n’était pourtant pas complète. Ces observations rejoignent celles de Hilbert et Renkl (2008), tel que discuté dans la section présentant le cadre théorique. Les programmes de formation plus longs, étalés sur plusieurs

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séances et composés d’activités variées, semblent être plus appropriés pour s’assurer que les individus maîtrisent suffisamment la technique de la cartographie conceptuelle (Bartels, 1996 ; Bell, 2018 ; Rice et coll., 1998).

La formation à la cartographie conceptuelle est d’ailleurs importante, peu importe le contexte. En situation d’apprentissage, comme l’ont souligné, le respect des consignes, comme l’étiquetage des relations, ou encore la mise à contribution de certaines stratégies de planification et de contrôle du contenu sont essentielles pour profiter pleinement des avantages pédagogiques de cette technique de représentation des connaissances (Hilbert et Renkl, 2008). Un enseignant a donc la responsabilité de mettre en place une séquence d’apprentissage appropriée pour ses étudiants ou élèves de manière à les aider à maîtriser ces consignes et ces stratégies.

En contexte d’évaluation des apprentissages, la maîtrise de la technique de la cartographie conceptuelle est quant à elle en enjeu critique lié à la validité des interprétations des résultats. Idéalement, les conditions de passation d’une tâche d’évaluation ne doivent pas interférer avec ce qui est évalué. Ni l’expérience antérieure par rapport à la cartographie conceptuelle ni le choix des modalités ne doivent faire obstacle à l’extériorisation des connaissances de l’individu, sans quoi il s’agit de menaces potentielles à la validité (Sireci et Zenisky, 2015). La formation préalable est un mécanisme qui sert autant que possible à minimiser la contamination des données par des facteurs indésirables.