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Discrimination paralinguistique vocale non affective : patrons d’activité

CHAPITRE III : DISCUSSION GÉNÉRALE

3.2 Volet 1: Vieillissement normal & traitement paralinguistique vocal – apports

3.3.3 Discrimination paralinguistique vocale non affective : patrons d’activité

3.3.3.1 Mise en place de processus de plasticité cérébrale

En parallèle à l’obtention, par les deux groupes d’âge, de performances de discrimination comparables, et tout comme ce qui est observé pour l’étude d’écoute passive, les adultes âgés, lors de la tâche de discrimination vocale, recrutent des régions cérébrales additionnelles comparativement aux réseaux neuronaux des jeunes adultes. Ces régions additionnelles se situent principalement au niveau du cortex frontal et temporal.

Le fait d’observer de manière concomitante un patron de performances comportementales similaire entre les adultes jeunes et âgés ainsi qu’un recrutement neuronal additionnel chez les aînés suggère fortement la présence de mécanismes compensatoires chez ces derniers. Ainsi, le recrutement de réseaux cérébraux additionnels aurait permis aux participants âgés de performer au même niveau que les jeunes adultes à la tâche de discrimination. Les participants adultes sélectionnés pour l’étude ayant des scores de MoCA supérieurs au seuil clinique de troubles cognitifs légers (TCL), cette compensation suggère que les aînés inclus dans cette étude possèderaient un niveau élevé de réserve cognitive (pour revue, voir Stern, 2009 ou Tucker & Stern, 2011), ce qui permettrait à leur cerveau de s’adapter en étendant son réseau neuronal actif et de performer au même niveau que les jeunes adultes. Afin de confirmer la présence de processus compensatoires neurofonctionnels, il est toutefois essentiel de s’intéresser au lien existant entre la performance comportementale et les niveaux d’activation des réseaux neuronaux surnuméraires. Hypothétiquement, lors de compensation, les seuils de discrimination obtenus à la tâche adaptative par les participants âgés devraient être corrélés avec les niveaux d’activations des régions qu’ils recrutent de manière additionnelle. Concrètement parlant, plus les seuils de discrimination sont faibles (témoignant d’une bonne performance à la tâche), plus les activations des réseaux surnuméraires devraient être élevées. La présence d’une telle relation confirmerait que le recrutement des régions additionnelles a bel et bien contribué à la réalisation de la tâche cognitive. Cependant, lorsque pour la tâche de discrimination, ces relations sont investiguées statistiquement à l’aide de corrélations, aucune relation significative n’est mise en évidence, et ce, pour les trois réseaux surnuméraires objectivés chez les aînés (par souci de concision, ces résultats négatifs ne sont pas détaillés dans

l’Article 2 de cette thèse). Ainsi, même s’il semble tout à fait plausible que l’ajout de réseaux neuronaux ait permis aux aînés de maintenir un niveau de performance comparable à celui des jeunes adultes, l’absence de corrélation entre les variables, sans totalement invalider l’hypothèse compensatoire, ne la supporte pas en sa totalité. Cet aspect, qui résulte possiblement d’un artefact statistique, sera discuté plus en détail dans la section 3.5 de ce chapitre.

3.3.3.2 Niveaux de complexité

Pour la tâche de discrimination vocale, un paradigme psycho-acoustique permettant d’ajuster la présentation des stimuli en fonction des performances aux essais précédents est utilisé, assurant ainsi le contrôle du niveau de complexité de la tâche. Lorsque les cartes d’activations des deux groupes d’âge sont comparées, l’effet principal du niveau de complexité ainsi que l’interaction âge x niveaux de complexité sont tous deux non significatifs. Ces résultats suggèrent que les réseaux neuronaux sous-tendant la réalisation de la tâche de discrimination vocale sont similaires pour les deux groupes et ce, indépendamment des deux niveaux de complexité. Cela peut également indiquer que les différences quant aux réseaux neuronaux recrutés sont trop faibles pour avoir été mises en évidence.

Certaines études observent toutefois que les patrons d’activations produits par une tâche comprenant un faible et un haut niveau de complexité sont distincts pour les jeunes adultes et les aînés, ces derniers présentant un réseau d’activations plus étendu pour de faibles niveaux de complexité. Un réseau comparable entre les deux groupes serait quant à lui observé lorsque le niveau de complexité est élevé et que les performances sont adéquates (pour revue, voir Reuter-Lorenz & Park, 2010). Afin de rendre compte de cette observation, le phénomène CRUNCH a été proposé (Reuter-Lorenz & Cappell, 2008). Ce dernier présume que le cerveau âgé aurait besoin d’engager des ressources neuronales plus étendues afin de rester aussi efficace que celui des jeunes adultes et ainsi pallier les difficultés de traitement de l’information survenant avec le vieillissement. Ces activations additionnelles, qui auraient une fonction compensatoire, prendraient place pour de faibles niveaux de complexité chez les adultes âgés. Lorsque les demandes inhérentes à une tâche augmentent, une surcharge du réseau neuronal surviendrait, ce qui induirait éventuellement un traitement inadéquat de l’information ainsi qu’un

déclin de la performance. Contrairement à cette hypothèse, les données de neuroimagerie de l’étude de discrimination vocale ne mettent pas en évidence, pour les aînés, de réseaux neuronaux distincts pour les niveaux faible et élevé de complexité, tout comme elles n’objectivent pas, pour les deux niveaux de complexité, de réseau dissemblable pour les adultes jeunes et âgés. L’ensemble de ces résultats va donc à l’encontre de CRUNCH. À l’inverse des études de cette thèse, les données ayant permis d’élaborer cette hypothèse proviennent essentiellement de protocoles utilisant des tâches évaluant des fonctions cognitives de haut niveau, principalement la mémoire de travail. Le fait que nos résultats ne correspondent pas à ce que CRUNCH propose met pour la première fois en lumière la possibilité que ce modèle ne puisse être généralisé à des processus mentaux de plus bas niveau, tels que les processus de discrimination perceptuelle évalués dans cette étude.

3.3.4 SYNTHÈSE : QUE PERMETTENT DE CONCLURENT LES ÉTUDES DE NEUROIMAGERIE?

Les études de neuroimagerie rapportées dans cette thèse sont les toutes premières à explorer de manière empirique la façon dont le vieillissement normal affecte les substrats neuronaux sous-tendant les capacités de traitement paralinguistique vocal non affectif. Ces résultats pionniers indiquent de manière non équivoque que des phénomènes de plasticité cérébrale sont présents chez les adultes âgés lors du traitement de l’information vocale. Pour la tâche d’écoute passive, une réduction de l’activation d’une portion du cortex auditif est observée conjointement au recrutement additionnel de régions frontales, temporales et pariétales. Quant à la tâche de discrimination vocale, en dépit de performances comportementales comparables, les adultes âgés recrutent des régions frontales et temporales que les jeunes adultes ne sollicitent pas. Ces réaménagements neuronaux suggèrent tous deux l’installation de processus de nature compensatoire. En ce qui concerne la tâche de discrimination vocale, cette hypothèse de compensation neurofonctionnelle n’est néanmoins pas totalement confirmée, en raison de l’absence de corrélation significative entre les seuils de discrimination et l’intensité de l’activation des réseaux surnuméraires identifiés. Enfin, toujours pour la tâche de discrimination vocale et pour les deux groupes d’âge, les réseaux neuronaux induits pour les deux niveaux de complexité sont similaires. Ce résultat est interprété comme

témoignant de l’impossibilité de généraliser le phénomène CRUNCH aux processus cognitifs de plus bas niveau.