Nous abordons la discrétisation spatiale, et gardons le temps continu pour l’instant. Nous
com-mençons par énoncer une propriété très importante, qui va servir de base à notre modèle numérique
de tige de Kirchhoff :
Propriété 5.3 Siκ
1,κ
2etτsont constantes le long de la tige de Cosserat (i.e.indépendantes de s),
alors la configuration spatiale de la courbe moyennerde la tige est unehélice.
Pour une meilleure compréhension du modèle discret de tige de Kirchhoff que nous proposons
dans la suite, sous le nom deSuper-Hélice, nous conseillons au lecteur d’examiner attentivement la
démonstration de la propriété ci-dessus, donnée en Annexe D.
Super-Hélice
Divisons maintenant la tige enN élémentss
S
Qd’indiceQ. L’intervalle
<0
L
>est subdivisé en
N segments
S
QQ4@1AANB. Ici, les lettres en capital telles queQdésigneront des variables sur chaque
morceau (et non sur des nœuds) et donc prendront implicitement les valeurs 1
.Q
.N. Soitχ
Qs
la fonction caractéristique pour le morceauS
Q. Nous définissons alors le nouveau modèle déformable
discret de Super-Hélice comme suit :
Définition 5.5 On appellera Super-Héliceune tige de Kirchhoff telle que ses torsion et courbures
τ
s
t
-κ
1s
t
-κ
2s
t
κ
is
t
iI 012sont des fonctions constantes par morceaux le long de la
tige :
κ
is
t
∑
1 Q N
χ
Qs
κ
iQt
pour i
0
1
2 (5.18)
où les quantitésκ
iQreprésentent les valeurs constantes des torsion et courbures de la tige sur chaque
élément S
Q(avec la convention κ
0Qτ
Q). De plus, on impose la continuité du repère matériel à la
jonction entre deux morceaux de tige successifs.
D’après la propriété 5.3, on déduit que la courbe moyenne r
s
t
d’une Super-Hélice est une
hélice par morceaux. De plus, il est aisé de voir que la condition de continuité du repère matériel le
long de la tige impose la continuitéC
1de la courbe moyenne. Finalement, on en conclut que la courbe
moyenner
s
t
d’une Super-Hélice est une courberégulière et hélicoïdale par morceaux, d’où le nom
choisi deSuper-Hélicepour désigner une telle tige.
Processus de reconstruction
Les degrés de liberté d’une Super-Hélice sont donc les 3N paramètres
κ
iQQ@1AANB
iI 012
qui
repré-sentent les torsion et courbures de la tige, constantes sur chaque morceauS
Q. Notonsκκκle vecteur de
taille 3N, composé des 3Nparamètres décrits ci-dessus :
κκκ
τ
1κ
11κ
21τ
Qκ
1Qκ
2Q4τ
Nκ
1Nκ
2N.
Ce vecteur définit donc l’ensemble descoordonnées généralisées de la Super-Hélice. On notera
κ
SHi
s
q
t
la torsion et les courbures, constantes par morceaux, qui se déduisent directement de ce
vecteur, et r
SHs
κκκ
t
etn
SHi
s
κκκ
t
la courbe moyenne et les repères matériels obtenus par
recons-truction.
L’Annexe D montre que cette reconstruction peut être effectuée de manière purement analytique,
en commençant l’intégration du bord encastré s
0, et en utilisant une solution symbolique pour
avancer d’un élément au suivant. Au final, on obtient desexpressions explicitespour lesn
SHi
s
κκκ
t
et pourr
SHs
κκκ
t
, données ci-dessous :
'i
0<0
2
>n
SH is
κκκ
t
∑
1 Q Nn
iQs
s
Q 1χ
Qs
r
SHs
κκκ
t
∑
1 Q Nr
Qs
s
Q 1χ
Qs
avec les expression formelles de t
Qn
1Qn
2Qetr
Qdonnées par les formules suivantes, sur chaque
morceau de tigeS
Q(i.e.pours
0<s
Q
1
s
Q>, en effectuant le changement de variableu
s
s
Q1
) :
tQuu τQ ΩQv0Qx κQ ΩQ cosΩQu v1Qx κQ ΩQ sinΩQu v2Q n1Quu κ1Q ΩQ v0Q τQκ1Q ΩQκQ cosΩQux κ2Q κQ sinΩQu v1Qx κ2Q κQ cosΩQu τQκ1Q ΩQκQ sinΩQu v2Q n2Quu κ2Q ΩQ v0Qx κ1Q κQ sinΩQu τQκ2Q ΩQκQ cosΩQu v1Q τQκ2Q ΩQκQ sinΩQux κ1Q κQ cosΩQu v2Qr
Qu
r
Q0
yτ
Ω
Qv
0Qzu
yκ
QΩ
Qv
1Qzsin
Ω
Qu
Ω
Q yκ
QΩ
Qv
2Qz1
cos
Ω
Qu
Ω
Q(5.19)
où κ
Q κ
2 1Qκ
2 2Q,Ω
Q κ
2 Qτ
2Q
, et
v
0Qv
1Qv
2Qest la base adaptée de l’élémentS
Q,
constante sur cet élément. Les points clefs de ces calculs sont donnés en Annexe D.
Intérêt du modèle de Super-Hélice
Remarquons que le modèle de Super-Hélice correspond en fait à une réduction du nombre de
degrés de liberté en espacede la tige de Kirchhoff. Grâce à ce modèle, on passe ainsi d’un nombre
infini de degrés de liberté
κ
is
iI 012s
<0
L
>à un nombre discret et fini de degrés de liberté pour la
tige
κ
iQQ@1AANB
iI 012
. Nous verrons dans la suite que, grâce au formalisme de Lagrange, il sera possible de
transposer les équations continues des tiges de Kirchhoff pour ce nouveau système à degrés de liberté
finis (nous appellerons ces nouvelles équationséquations des Super-Hélices). Tout l’avantage de cette
méthode sera alors dene faire aucune approximation en espace
1lors de la résolution numérique des
nouvelles équations mécaniques, puisque ces dernières seront déjà paramétrées par un nombre fini de
coordonnées généralisées. Dans le cas dynamique, une fois les équations des Super-Hélices écrites, il
restera alors à trouver un schéma numérique performant pour la discrétisation temporelle.
L’Annexe C présente le formalisme de Lagrange et un exemple simple de discrétisation d’un
système continu par réduction du nombre de ses degrés de liberté. Le lecteur pourra d’ores et déjà s’y
référer pour une meilleure compréhension de la suite (en particulier du Chapitre 7).
5 Bilan
Nous avons décrit dans ce chapitre les principales caractéristiques du modèle mécanique de tige
de Kirchhoff, et tâché d’en retranscrire les équations cinématiques et mécaniques de la manière la plus
claire possible vis-à-vis d’un non-spécialiste de la mécanique. Contrairement aux précédents modèles
utilisés pour simuler des cheveux individuels, ce modèle intègre à lui tout seul toutes les propriétés
souhaitables et nécessaires pour représenter le comportement d’un cheveu de manière réaliste, à savoir
les déformations élastiques en courbure et en torsion, les effets non-linéaires caractéristiques (mis en
évidence dans les deux chapitres suivants), ou encore la contrainte d’inextensibilité de la tige. Dans
la suite, tout l’enjeu consistera, d’une part, à proposer une méthode de simulation numérique de
ce modèle ; nous verrons que les méthodes proposées s’appuieront avantageusement sur le modèle
discret de Super-Hélice introduit dans ce chapitre. D’autre part, il s’agira de montrer que ce modèle
de tige mécanique est bien adapté en termes de réalisme, de stabilité numérique, et de performances
-à des applications virtuelles mettant en jeu des chevelures complètes, telles que la coiffure virtuelle
(Chapitre 6) ou l’animation de chevelures (Chapitre 7).
FIG. 5.7:Mascottes chevelues,c
Le 9 Télécom
1L’approximation spatiale du modèle continu de tige de Kirchhoff aura déjà été réalisée par le choix de courbures et torsion constantes par morceau, et donc en nombre fini, dans le modèle de Super-Hélice. L’intérêt d’une telle réduction du nombre de degrés de liberté d’un système mécanique continu, plutôt qu’une discrétisation standard consistant à trouver une solution approchée des équations continues du système (par différences finies ou éléments finis) est, comme nous l’avons vu au Chapitre 2, de pouvoir ensuite formuler des équations mécaniquescompatiblesavec le nouveau système mécanique discret, qui garantiront en particulier la conservation de son énergie mécanique.
Simulation statique de chevelures
ES LOGICIELS
existants pour la coiffure virtuelle se basent essentiellement sur des
approches géométriques pour la modélisation : un peu comme un dessinateur,
l’uti-lisateur trace autour d’une tête virtuelle des courbes, des surfaces ou des volumes,
qui vont servir à définir le support de la chevelure du personnage, puis il ajoute des
détails procéduraux (boucles, ondulations), jusqu’à parvenir à la coiffure désirée.
Au cours de la modélisation, la physique du cheveu et tous les mécanismes physiques liés aux
opéra-tions de coiffage sont donc complètement (et délibérément) ignorés, l’unique but étant de parvenir à
l’image de la coiffure finale souhaitée. À l’opposé de ces approches, nous nous intéressons aux
phé-nomènes physiquesliés à la pousse de cheveux et à la coiffure. Dans un contexte de prototypage pour
l’industrie cosmétique, comprendre l’influence des propriétés physiques, structurelles et ethniques
des cheveux sur la forme de la chevelure au repos est en effet essentiel afin d’identifier ensuite les
paramètres à modifier (par un produit cosmétique) pour obtenir tel ou tel effet. Ce pas significatif
vers la simulation physique de coiffures fait par ailleurs percevoir de nouvelles applications dans le
domaine de la réalité virtuelle : par exemple, l’entraînement à la coupe de cheveux par simulation,
pour les apprentis coiffeurs ; ou encore, à destination du grand public, la prédiction de l’apparence
d’une personne réelle après une coupe, calculée automatiquement à partir des caractéristiques de ses
propres cheveux (données microscopiques, carte d’implantation sur le cuir chevelu, etc.).
Dans ce chapitre, nous présentons de premiers travaux menés dans ce sens, le but étant de
gé-nérer des chevelures naturelles de manière physiquement réaliste, en tenant compte des propriétés
physiques, structurelles et ethniques des cheveux individuels. Notre méthode s’appuie sur la physique
des tiges de Kirchhoff présentée au chapitre précédent, appliquée ici dans le cas statique. La Section 1
décrit le simulateur statique de cheveu unique mis au point par Basile Audoly en 2001, dans le cadre
de la collaboration avec L’Oréal sur la modélisation de cheveux : dans ce modèle, appeléHair3D, la
forme à l’équilibre d’un cheveu est calculée de manière stable et efficace par la minimisation de son
énergie potentielle. Nous mettons également en évidence les paramètres physiques importants du
si-mulateur qui nous seront utiles par la suite pour générer des formes de cheveux réalistes. En Section 2
nous proposons une extension de ce modèle de cheveu unique à l’échelle d’une chevelure complète.
Notre logiciel final est capable de prédire la forme d’une chevelure naturelle, pour des types ethniques
variés, et à partir d’un nombre réduit de paramètres intuitifs. Dans cette seconde partie, nous
présen-tons également l’interface utilisateur mise en place pour créer des coiffures rapidement, et de manière
intuitive. Cette interface offre à l’utilisateur la possibilité de réaliser virtuellement des opérations de
coiffure classiques telles que le mouillage, la coupe et le séchage. Enfin, nous présentons en Section 3
des résultats de coiffures obtenus ainsi qu’une validation de notre approche.
FIG. 6.1:Cheveux bouclés réelsvs.synthétiques. De gauche à droite : configuration à l’équilibre d’un cheveu bouclé ; mèche générée de manière procédurale à partir de ce cheveu ; mèche réelle dont on s’est inspiré pour la modélisation ; chevelure complète composée d’une centaine de mèches ; chevelure réelle dont on s’est inspiré pour la modélisation.
Le travail développé dans ce chapitre a fait l’objet d’un papier court à Eurographics en 2005
[BAQ
05], ainsi que d’une présentation à l’AFIG en 2005 [BAC
05] (prix du second meilleur
pa-pier).
1 Modèle statique d’un cheveu unique
Nous nous plaçons dans le cas statique des tiges de Kirchhoff (plus de dépendance en la
va-riable tempst). Nous considérons pour l’instant que le cheveu est uniquement soumis au champ de
la pesanteur. Les autres forces extérieures (notamment les forces de contact) seront considérées en
Section 2.2.
Sous ces hypothèses, les équations mécaniques de Kirchhoff (5.11) et (5.12) se récrivent :
∂Fint ∂s
s
ρSg
0
∂Mint ∂ss
t
s
OF
ints
0. (6.1)
Ces équations, combinées aux équations cinématiques (5.9), sont non-linéaires, en particulier à
cause du termet F
intdans l’équation des moments (voir Annexe B pour une réécriture explicite de
ce terme dans le cas 2D).