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CHAPITRE 2. L’EMERGENCE DE LA GESTION DE LA DIVERSITE EN FRANCE

2. UN DISCOURS SUR LA GESTION DE LA DIVERSITE BROUILLE

Nonobstant le développement de dispositifs publics d’incitation et d’encouragement, les objectifs assignés à la gestion de la diversité telle que portée par l’Etat restent flous. Le caractère négocié des textes fondant la gestion de la diversité a pour conséquence une asymétrie dans les définitions qui lui sont attribuées, traduisant les rapports de force des parties prenantes à leur élaboration. En outre, la gestion de la diversité mêle des logiques et des finalités différentes, potentiellement concurrentes, sans qu’aucune indication ne soit donnée sur la manière de les hiérarchiser ou de les concilier. Il en ressort un discours institutionnel brouillé, portant à confusion non seulement sur les intentions ultimes des promoteurs privés et publics de la nouvelle pratique managériale, mais également sur les moyens concrets qu’ils proposent de mettre en œuvre dans le cadres d’une gestion de la diversité.

2.1. Un contenu laissé à la libre appréciation des entreprises

2.1.1. Une définition des publics-cibles variable

La définition française de la « diversité » est clairement rattachée au concept de « discrimination » et semble faire consensus. Selon la Charte de la diversité, l’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur la diversité dans l’entreprise et le label Diversité, tous trois soutenus par l’Etat, la diversité est définie par les différences qui constituent des motifs de discrimination cités par la loi, à savoir : l'origine, le sexe, les mœurs, l'orientation sexuelle, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l'apparence physique, le patronyme, l'état de santé, le handicap, l'état de grossesse, l'âge, la situation de famille, les caractéristiques génétiques. Pourtant, la Charte de la diversité, l’ANI et le label Diversité ne se concentrent pas in fine sur les mêmes publics. Tout d’abord centrée sur les « minorités visibles » et les publics particulièrement éloignés de l’emploi, la Charte de la

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diversité est aujourd’hui élargie à tous les motifs de discrimination. Parallèlement, bien que les partenaires sociaux reconnaissent la définition exhaustive de la diversité, ils choisissent dans l’Accord National Interprofessionnel de se concentrer, dans un premier temps est-il précisé, sur les minorités ethniques et les habitants des quartiers. Le label Diversité vise pour sa part les individus potentiellement concernés par les discriminations définis par la loi, à l’exception des discriminations fondées sur le genre qui font déjà l’objet d’un label Egalité.

2.1.2. Des exigences essentiellement procédurales

Le caractère essentiellement procédural des textes fondant la gestion de la diversité. La Charte de la diversité, l’Accord National Interprofessionnel (ANI) relatif à la diversité dans l’entreprise comme le label Diversité engagent les entreprises à mettre en place des procédures, mais n’indiquent pas les résultats visés par ces mesures. Les trois textes recommandent notamment :

- La formation ou la sensibilisation des cadres et des salariés aux enjeux de la lutte contre les discriminations et de la diversité ;

- Le dialogue avec les représentants des personnels sur la situation de l’entreprise et sur la mise en place d’une gestion de la diversité ;

- La formalisation d’un suivi concernant la situation de l’entreprise en terme de diversité, les actions mises en œuvre et leurs résultats, ainsi que la mise à disposition de moyens humains pour ce faire.

Les engagements pris par les entreprises à travers ces textes relèvent donc davantage de procédures recommandées dans toute stratégie d’accompagnement du changement, associant les différentes parties prenantes à la mise en œuvre d’actions décidées par la direction et organisant son suivi, sans que le contenu de ce changement soit véritablement précisé.

A l’exception de la mise en place d’actions relevant de la prévention de la discrimination, dont le principe est clairement posé dans les trois textes, le contenu de la gestion de la diversité demeure flou et aléatoire. La gestion de la diversité est souvent expliquée de manière tautologique : les dirigeants sont invités à mettre en place une gestion de la diversité pour « répondre aux enjeux de la diversité », ou permettre « la recherche de la diversité » au sein de l’entreprise. La Charte de la diversité suggère certes de refléter dans les effectifs de l’entreprise la diversité démographique de la société française, mais cette idée n’est pas reprise dans les deux autres documents. L’obligation de passer, de manière transversale, l’ensemble des activités de l’entreprise – recrutement, gestion des carrières, communication externe, relations avec les acteurs externes, etc. – au crible de la gestion de la diversité n’est évoquée que par le cahier des charges du label Diversité. Hormis le principe de prévention des discriminations, les objectifs et le contenu assignés à la gestion de la diversité semblent être laissés à la libre appréciation des entreprises, selon ce qu’elles considèrent être leurs besoins spécifiques. Les objectifs de la gestion de la diversité en terme de résultats attendus n’apparaissent ni dans les textes d’engagement que sont la Charte de la diversité ou l’ANI, ni dans le cahier des charges du label Diversité. Les « bonnes pratiques », diffusées par les réseaux d’entreprise et par les pouvoirs publics, et participant à la définition des actions de ce qui constitue une bonne gestion

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de la diversité, n’apparaissent que sous la forme de suggestions proposées de manière décentralisée par plusieurs entreprises considérées comme « leaders » dans le domaine. La pertinence de ces bonnes pratiques est laissée à l’appréciation de chaque entreprise qui reste libre de s’en inspirer ou non.

2.2. Un positionnement des administrations publiques inégal

Outre le flou de la définition de la gestion de la diversité, le message véhiculé par l’ensemble des acteurs publics ou liés à l’Etat manque de cohérence globale, avec des positionnements contrastés. Alors que la gestion de la diversité a été fortement relayée par le Ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances entre 2005 et 2007 et par le Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire depuis 2007, elle est évoquée avec parcimonie par les acteurs publics les plus impliqués dans la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité. La HALDE, l’Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l'Egalité des Chances (ACSE) et le Ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, s’appuient essentiellement sur les concepts de lutte contre les discriminations et de promotion de l’égalité dans la définition de leurs missions et la présentation de leurs actions. Ils mobilisent certes le terme de « diversité », pour relayer des initiatives privées et européennes, telles que la Charte de la diversité, mais sans le définir, ni expliquer dans quelle mesure celui-ci s’articule à la lutte contre les discriminations et à la politique d’égalité des chances.