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Introduction

Les bâtiments aujourd’hui – entièrement ou partiellement – classés au titre de monument historique s’élèvent à près de huit cent cinquante dans le canton de Neuchâtel et posent quelques questions à première vue très simples : qu’avons-nous hérité ? que conservons-nous aujourd’hui ? que devons-nous préserver pour demain ? pourquoi ? et comment ? L’histoire étant une perpétuelle reconstruction du passé en fonction du présent, ces interrogations vont constituer le fil conducteur de cet article.

A Neuchâtel comme ailleurs, la sensibilité envers les vestiges du passé commence par la conservation des écrits, pour s’élargir aux inscriptions anciennes, aux objets, puis aux bâtiments et enfin aux sites. L’ampleur du sujet nous oblige à limiter notre propos à l’émergence de l’intérêt envers le patrimoine bâti et à porter l’accent sur la mise en place d’une protection légale1. Nous évoquerons les moments charnières de ce développement et réduirons l’évocation des inventaires et des interventions concrètes à quelques exemples particulièrement significatifs2. Bornons-nous à rappeler que rares sont les constructions anciennes à n’avoir connu aucune altération, réparation ou transformation, leur survie étant en général étroitement liée à leur affectation et leurs qualités symboliques. Par sa valeur d’usage, le patrimoine monumental se distingue des zones archéologiques, alors que les impératifs de la conservation in situ le différencient des objets déposés dans des musées. N’oublions pas non plus que les initiatives neuchâteloises s’inscrivent dans un mouvement général initié par la France et l’Angleterre au début du XIXe siècle et qu’elles entretiennent des liens

1 Cet article s’appuie sur les recherches effectuées à l’occasion du mémoire de licence de l’auteure.

Claire PIGUET, Charles-Henri Matthey (1880-1956) ou une première approche de l’histoire de la conservation et de la restauration dans le canton de Neuchâtel, mémoire de licence de l’Université de Lausanne, 1990.

Nous y renvoyons une fois pour toutes le lecteur, de même qu’aux articles déjà publiés sur certains aspects du sujet. Claire PIGUET, « Le réveil d’une forteresse assoupie : les multiples facettes de la conservation du château de Valangin », Musée neuchâtelois (MN), 1996, pp. 99-109. Claire PIGUET, « Ricochets neuchâ-telois : la loi de 1902 et les restaurations dirigées par Charles-Henri Matthey », dans Denis BERTHOLET, Olivier FEIHLet Claire HUGUENIN(dir.), Autour de Chillon, archéologie et restauration du début du siècle, Lausanne, 1998, pp. 61-66.

2 L’histoire des interventions et de l’application des doctrines de restauration devrait faire l’objet d’articles spécifiques. Quelques pistes se trouvent dans les études de Marc EMERY, « Esquisse d’une histoire de la conservation et de la restauration en Pays neuchâtelois (première partie) », MN, 1988, pp. 109-113 et de la SECTION DE LURBANISME[Nadja MAILLARD], Regarder/Voir, Neuchâtel, 1999.

étroits avec les pratiques des cantons voisins. La loi neuchâteloise de 1902 procède enfin d’une longue accumulation d'expériences matérielles, politiques et idéologiques, même si ces dernières paraissent quelque peu décousues et parfois contradictoires.

Plus de deux siècles d’intérêt pour le passé L’époque des « antiquaires » (1750 à 1850) Une approche ponctuelle, individuelle et érudite

Dès le XVIIe siècle, des signes annonciateurs sont perceptibles en matière d’intérêt envers le patrimoine, mais la première mention connue d’une volonté délibérée de préserver un édifice ancien remonte au milieu du XVIIIe siècle. Au vu des ravages provoqués par le violent incendie de 1747, le Conseil d’Etat décide de vendre le château de Valangin, propriété du roi de Prusse. A la grande surprise de ce dernier, l’initiative se heurte au refus catégorique de la population, pour laquelle le bâtiment constitue une marque d’identité incontournable. De son côté, le souverain « trouve bien étrange que des gens qui se piquent d’esprit gardent encore dans ce tems là, contre toute raison, de telles masures qui ne servent de rien comme des monumens respectables, et qu’ils s’avisent d’en demander la conservation »3. Après quelques années de discussion, les Valanginois obtiennent le

« rétablissement » du château, c’est-à-dire une intervention comprenant la démolition d’une partie des bâtiments au profit du sauvetage du corps principal (1766-1772).

Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, quelques personnalités neuchâ-teloises se prennent également de passion pour les vestiges d’histoire régionale, mêlant les approches archéologique, historique, artistique, archivistique, numismatique et naturaliste4. S’inscrivant dans la tradition des cabinets de curiosités, elles visent selon les cas à l’étoffement de connaissances générales, à l’accroissement de leur collection privée, à la constitution de noyaux de musées publics et parfois à la sauvegarde de vestiges anciens.

3 Archives de l’Etat de Neuchâtel (AEN), Missives, vol. 28, rescrit de Frédéric II aux maîtres bourgeois de Valangin et de Boudry, 6 mai 1749 ; référence citée dans les notes de Jean Courvoisier (AEN).

Le rescrit s’adresse également aux autorités de Boudry qui s’opposent à la vente de leur propre château.

4 Pour les premières manifestations archéologiques, voir les textes de Christian de Reynier et de Marc-Antoine Kaeser dans le présent numéro. Pour le début des musées neuchâtelois, voir Monique Jaton-Plüss, « La politique artistique de la Commune bourgeoise de Neuchâtel 1816-1884 », MN, 1978, pp. 101-120, et « Le mécénat privé à Neuchâtel 1816-1884 », MN, 1980, pp. 122-144.

Jugée pauvre en «ruines» ro-maines, Neuchâtel ne connaît guère d’émulation et de recherches sur l’Antiquité, en dehors du ma-nuscrit Recherches sur les Antiquités de la Principauté de Neuchâtel en Suisse, rédigé en 1807 par l’archi-tecte et sculpteur Aubert Parent.

Il faut attendre le début du XIXe siècle et le regain d’intérêt à l’égard du Moyen Age et de ses manifestations architecturales pour voir débuter les recherches sur l’histoire monumentale régionale.

En 1805, Le Véritable messager boiteux de Neuchâtel publie une gravure (fig. 1) et une description fort détaillée du tombeau des de la Ville estimant que «ces sta-tues pouvant avoir quelqu’intérêt historique, il convient de les faire réparer, puisque sans cela

& dans leur état actuel, il vaudrait mieux les détruire, que de continuer à les tenir dans le local qu’elles occupent maintenant »5.

Une fois acquise, la « restauration » de cet ensemble funéraire médiéval constitue par contre une intervention majeure (1837-1840)6. Les travaux dépassent la simple réparation, puisqu’une nouvelle couche de

5 Archives de la Ville de Neuchâtel (AVN), Procès-verbal de la Commission des travaux publics (TP), 2 septembre 1837.

6 Pour plus de détails, voir Claire PIGUET, « La restauration du monument des comtes par Charles-Louis-Frédéric Marthe (1837-1840) », Revue historique neuchâteloise, 1997, pp. 173-182 ; Claire PIGUETet Marc STAEHLI, « Le tombeau des comtes de Neuchâtel », Art + Architecture en Suisse 1, 2003, pp. 44-53.

Fig. 1. Monument des comtes avant sa restauration.

Le véritable messager boiteux de Neuchâtel, 1805.

Fig. 2. Aquarelle présentée, en 1838, par Charles-Louis-Frédéric Marthe aux autorités de la ville comme support à son projet de restauration du monument des comtes (Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel).

(Photographie : Service de l’urbanisme, Neuchâtel, Anne de Tribolet, 1996).

polychromie contribue à rendre une prestance inédite aux quinze statues tombales et à la niche qui les abrite (fig. 2). Le monument sort ainsi de l’oubli. « Une lueur se fit pourtant dans les cerveaux lorsqu'on vit ce monument complètement restauré, repeint, argenté, doré, décorer la Collégiale d'une façon triomphante tout à fait imprévue et lui donner un relief et une valeur historique proclamée par de bons juges. »7

En l’absence de prises de position claires, seule une lecture en filigrane des interventions permet de discerner les motivations et les choix qui ont présidé aux chantiers. Malgré des circonstances politiques fort différentes et près de cent ans d’écart, les travaux effectués à Valangin et au tombeau des comtes de Neuchâtel contribuent à renforcer un sentiment d’apparte-nance à une histoire locale et à rassembler un certain nombre de gens autour de valeurs communes.

Aucune doctrine de restauration reconnue ne guide à cette époque les interventions matérielles, le résultat dépendant essentiellement de l’éthique des responsables. Cela va du simple sauvetage avec son lot de brutalités dans le cas du château du Val-de-Ruz à une approche étonnamment respectueuse et une véritable remise en valeur pour le monument funéraire.

Durant cette période, volontiers qualifiée d’époque des « antiquaires », l’intérêt pour le passé et ses vestiges émane d’érudits ou de petits groupes d’individus. L’attention de ces derniers se porte avant tout sur des monu-ments aisément identifiables, en général difficiles à démolir ou à vendre en raison de leur valeur symbolique, souvent sans rapport avec leur valeur d’usage ou leur fonction d’origine. La curiosité intellectuelle et l’attache-ment viscéral ne suffisent que rarel’attache-ment à garantir la survie d’un édifice ; seule la convergence des dimensions scientifique, symbolique et politique permet de concrétiser son sauvetage.

Le duo des frères ennemis de l’Académie

A Neuchâtel, la création de l’Académie (1838) va susciter une source supplémentaire d’émulation dans le domaine de la connaissance du patrimoine bâti, ainsi que sa première reconnaissance institutionnelle.

Titulaire de la chaire d’archéologie à partir de 1839, Frédéric DuBois de Montperreux (1798-1850)8 inscrit les « monuments » régionaux au nombre de ses axes de recherche. « Depuis onze ans je m'occupe à recueillir tous les matériaux qui peuvent servir à l'histoire monumentale de notre

7 AVN, dossier Ecole de dessin professionnel et de modelage I, rapport du comité, discours de Louis Favre, 1898-1899.

8 Voir Denis KNOEPFLER, « Frédéric DuBois de Montperreux, archéologue, géologue, professeur à l’Académie (1798-1850) », dans Biographies neuchâteloises, tome 2 : des Lumières à la Révolution, Hauterive, 1998, pp. 99-106.

pays. »9 Il ébauche un premier inventaire, mais s'offusque devant les nombreux actes de vandalisme et destructions, déplorant en 1846 que

« bon nombre de monumens du goût de nos ancêtres, que j'ai trouvé intacts en 1835 n'existent déjà plus que dans mon porte-feuille »10. En mal de reconnaissance, l’archéologue nous laisse des propos qui conservent toute leur saveur au début du XXIe siècle. « Dans un siècle de transition et d'oubli des nobles traditions historiques, comme le nôtre, on remarque une tendance générale à mépriser et à effacer ce qui peut rappeler un passé honorable, comme si l'on avait honte de ce passé, parce qu'il n'était pas régi par les théories prétendues libérales de nos jours. »11 Il se heurte rapidement aux ambitions de son collègue et historien Georges-Auguste Matile (1807-1881)12en charge de l’enseignement du droit ; tous deux se

19 AEN, fonds Dubois de Montperreux, lettre de Frédéric DuBois de Montperreux au président du Conseil d’Etat, 10 février 1846.

10 Ibid.

11 Ibid.

12 Voir Maurice de TRIBOLET, « Georges-Auguste Matile, juriste et professeur (1807-1881) », dans Biographies neuchâteloises, tome 2 : des Lumières à la Révolution, Hauterive, 1998, pp. 191-197.

Fig. 3. Collégiale de Neuchâtel. Relevé de la façade sud publié dans l’ouvrage de Frédéric DUBOIS DE MONTPERREUX, Les Antiquités de Neuchâtel, Zurich, 1852, pl. XXVb.

disputent entre autres la primeur de l’étude de la Collégiale. S'insurgeant contre la prééminence de l'art antique aux dépens des réalisations médiévales, l’historien et l'archéologue incarnent en fait deux approches différentes mais complémentaires des monuments anciens : l'étude des textes et l'examen des vestiges archéologiques. Ces démarches auraient pu aboutir à une fructueuse collaboration sans leur incessante rivalité. En 1847 et en 1852, la publication de leur ouvrage respectif13 (fig. 3 et 4) – et surtout la richesse des illustrations qu’ils renferment – confèrent une importance nouvelle à la Collégiale. Le débat peine par contre à dépasser le cercle restreint des érudits et des passionnés d’histoire et d’archéologie, puisque cinquante ans plus tard le directeur de l’Ecole de dessin professionnel et de modelage se souvient « des réflexions [que ces recherches] inspiraient à beaucoup de gens. Fallait-il être toqué pour perdre son temps à dessiner de telles vieilleries qui n'avaient ni queue ni tête ! A quoi cela pouvait-il bien servir ? »14

13 Georges-Auguste MATILE, Dissertation sur l'église collégiale de Notre-Dame de Neuchâtel, Neuchâtel, 1847. Frédéric DUBOIS DE MONTPERREUX, Les Antiquités de Neuchâtel, Zurich, 1852 (publication posthume).

14 AVN, dossier Ecole de dessin professionnel et de modelage I, rapport du comité, discours de Louis Favre, 1898-1899.

Fig. 4. Collégiale de Neuchâtel. Relevé de la façade occidentale et du chevet publié dans l’ouvrage de Georges-Auguste MATILE, Dissertation sur l’église collégiale de Notre-Dame de Neuchâtel, Neuchâtel, 1847, pl. III.

Grâce à leurs inventaires, leurs relevés, leurs classements typologiques et chronologiques, les deux professeurs contribuent pourtant à instaurer une méthode et une rigueur de travail, – vraisemblablement inspirée du milieu naturaliste –, encore peu répandues au sein des cercles d’amateurs souvent cultivés mais dilettantes. La fermeture de l’Académie en 1848 sonne le glas de cet élan. Matile émigre aux Etats-Unis et DuBois de Montperreux décède en 1850, sans laisser d’émules.

Par une approche scientifique balbutiante, quelques chercheurs s’efforcent ainsi de dépasser la quête d’objets isolés, d’organiser les nouvelles connais-sances avec davantage de systématique, de développer les méthodes d’interprétation, ainsi que de diffuser le résultat de leurs recherches par des publications. Tout à leurs études, les deux professeurs neuchâtelois cherchent des soutiens ponctuels auprès de l’Etat pour leurs ouvrages ou leurs fouilles, mais ne proposent aucune mesure générale de protection, alors que la France et la Prusse disposent pourtant déjà de législations ad hoc et d’embryons de structures administratives.

Les balbutiements de l’ingérence étatique

En mars 1848, Neuchâtel se dégage de l’orbite prussienne et se dote d’un régime républicain. Elargissant son champ d’action, l’Etat codifie rapidement de nombreux domaines, comme la lutte contre le feu, le réseau routier, l’hygiène ou l’éducation. Le 22 juillet 1848, le Grand Conseil accepte un « Arrêté concernant les monuments publics » qui confère aux communes la responsabilité de conserver les « biens d’utilité publique ». Son champ d’action recouvre le patrimoine bâti aussi bien que les allées, les plantations d’arbres, les poteaux des routes, les insignes ou les inscriptions officielles, en un mot, des biens publics fort divers. Son impact est difficile à évaluer, mais laisse tout de même poindre la notion d’intérêt général, sans toutefois voir l’Etat prendre beaucoup de responsabilités en matière culturelle.

Les profondes mutations sociales, politiques et économiques de la seconde moitié du XIXe siècle soumettent les mentalités et le paysage urbain à de fortes pressions. Les travaux de démolition et de reconstruction alternent avec les campagnes de sauvetage de bâtiments anciens. En 1860, l'ancien hôtel de ville de Neuchâtel dont l'arche contrarie la circulation de la nouvelle rue du Seyon est détruit sans autre forme de procès, au moment même où s'engagent les premières discussions relatives à la restauration de la Collégiale. La tour médiévale des Chavannes tombe sous les coups de pioche en 1867 pour des raisons d'hygiène (fig. 5), à l’heure où les

Fig. 5. Dernier vestige de l’enceinte de la ville, la tour des Chavannes succombe aux impératifs de l’hygiène et de la circulation en 1867, malgré le baroud d’honneur de la Société d’histoire et d’archéologie. Photographie Bruder frères (Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel).

responsables de la d’alignements et d’extension urbaine, d’embellissement et de mesures d’hygiènes que de « vieilles pierres », alors que les propriétaires privés bénéficient de la légèreté du cadre juridique16.

De temps à autre les personnes intéressées sont autorisées à récupérer de belles pièces sculptées ou des éléments anciens significatifs, à les inté-grer à des collections publiques ou simplement à les employer pour leur usage privé. Edifiée en 1876, la « Tour de Pierre » de Boudry se présente comme l’un des nombreux pavillons de plaisance néo-gothiques construits à cette époque, mais se distingue de la plupart d’entre eux par l’emploi d’authentiques éléments médiévaux (fig. 7). En 1872, son propriétaire Louis-Philippe de Pierre rachète en effet de nombreux « débris provenant

15 Rapport sur la restauration de la collégiale de Neuchâtel, juillet 1862, Neuchâtel, 1863.

16 Durant la seconde moitié du XIXesiècle, le développement urbain et les constructions sont régis par la législation en matière de routes (1849) et de lutte contre l’incendie (1850, 1861, 1865, 1870, 1877, 1878) ; il faut attendre la loi sur les constructions de 1912 pour voir les constructions de l’ensemble du canton soumises au principe du permis de construire. Pour plus de détails, voir Claire PIGUET, Inventaire suisse d’architecture 1850-1920 (INSA), Neuchâtel, Berne, 2000, p. 165.

Fig. 6. Collégiale de Neuchâtel. Construction de la tour nord et reconstruction de la tour sud en 1867-1868. Photographie anonyme (Service cantonal de la protection des monuments et des sites).

Fig. 7. Tour De Pierre à Boudry. A partir de 1876, les vestiges de l’ancienne tour méridionale et des chapelles occidentales de la Collégiale font partie intégrante de ce petit pavillon néo-gothique.

(Photographie : Service cantonal de la protection des monuments et des sites).

de la restauration de la Collégiale »17. Il se défend de toute spéculation et motive sa démarche « par un sentiment archéologique et en quelque sorte patriotique »18. A tort ou à raison, il prétend éviter « que ces débris & vestiges ne restent pas à toujours ensevelis dans des dépôts obscurs où on les oublie & où ils ne seront utiles à personne, tandis qu'employés par moi, après avoir autant que possible été réassortis, dans une construction à la vue de tout le monde, ils pourront en toute liberté être vus & examinés, par ceux qui s'intéressent à ces sortes de choses »19. En 1880-1881, les impératifs d’hygiène scolaire ont raison du superbe encadrement du XVIe siècle de la maison des Bourgeois de Valangin en transformation. Scindé en deux baies, il réapparaît en 1885 dans la façade sud de la maison de l’architecte Louis-François Perrier (1849-1913) à Champ-du-Moulin (fig. 8)20.

17 AVN, B1 520/19, lettre de Louis-Philippe de Pierre au Conseil administratif de la Commune, 3 juillet 1872. Voir également les récents travaux de Bernard Boschung, Christian de Reynier et Claire Piguet pour le Service cantonal de la protection des monuments et des sites.

18 Ibid.

19 Ibid.

20 Florence HIPPENMEYERet Claire PIGUET, Champ-du-Moulin, maison Rousseau, dépliant édité par le Service cantonal de la protection des monuments et des sites, Neuchâtel, 1999.

Fig. 8. Maison Rousseau à Champ-du-Moulin. Démontés de la maison des Bourgeois de Valangin, les superbes encadrements de fenêtres de la fin du XVIesiècle confèrent un caractère cossu à cette ancienne maison rurale dès 1885. (Photographie : Service cantonal de la protection des monuments et des sites).

Contrairement à l’engouement contemporain pour l’archéologie

« lacustre », l’architecture ne fait pas encore l’unanimité pour sa fonction identitaire. Devant l’intensification des échanges mais également des ventes et des pillages, devant l’accélération du développement et du renouvellement urbains apparaissent ponctuellement des démonstrations de l’attachement du public aux bâtiments anciens. L’époque n’est pas dépourvue de contra-dictions et de tiraillements entre foi envers le progrès et craintes face au changement. Chacune de ces actions isolées va néanmoins contribuer à créer un contexte favorable pour mettre en place une véritable protection du patrimoine.

Cent ans de protection légale

La mobilisation de la Société d'histoire et d'archéologie du canton de Neuchâtel en faveur du patrimoine

Dès sa fondation en 1864, la Société d’histoire et d’archéologie du canton de Neuchâtel (ci-après : la Société) poursuit un double objectif : élargir l’étendue des connaissances sur le passé et diffuser ces nouveaux acquis au sein d’un public le plus large possible. Par ses initiatives concrètes dans les domaines de la recherche historique, de l’archéologie, de la restauration de bâtiments, de la muséologie et de la législation, cette dernière va largement dépasser le champ d’activités de la plupart de ses consœurs. Durant la période agitée qui suit l’instauration de la République, elle évite en outre toute provocation politique et emploie l’histoire comme moyen de rassembler les Neuchâtelois, contribuant de façon déterminante à la définition et au développement d’une identité régionale21.

La Société publie dès sa création la revue Musée neuchâtelois – aujourd’hui Revue historique neuchâteloise – et soutient une floraison d’ouvrages sur l’histoire monumentale régionale dont la qualité et l’abondance des illustrations renforcent l’impact (fig. 9). Très active sur le terrain, elle s’intéresse rapidement au patrimoine bâti.

« L’étude du passé ne se fait pas seulement dans les livres, ceux-ci ont besoin des monuments pour les expliquer et surtout pour les confirmer ; les monuments parlent à notre imagination bien plus vivement que ne peuvent le faire les pages

« L’étude du passé ne se fait pas seulement dans les livres, ceux-ci ont besoin des monuments pour les expliquer et surtout pour les confirmer ; les monuments parlent à notre imagination bien plus vivement que ne peuvent le faire les pages