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5. ANALYSE CRITIQUE DES RÉSULTATS

5.1 Analyse de la durabilité des circuits courts

5.1.2 Dimension socioéconomique

Sur le plan socioéconomique, le seul critère dénoté comme à « Agir » est celui qui consiste à savoir si les circuits courts représentent une avenue bénéfique pour l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement, soit les producteurs, acteurs agroalimentaires et consommateurs finaux. Ici, quelques nuances sont à établir selon les différents acteurs impliqués.

Pour les producteurs, Toffoli mentionnait qu’au-delà de 200 000 à 300 000 $ de revenus annuels bruts, il n’est pas avantageux de se consacrer à la commercialisation en circuits courts. Selon le dernier recensement de Statistique Canada (2020c), le nombre de fermes enregistrant 249 000 $ et moins de revenus est de 19 801, ce qui représente 68 % des fermes québécoises. Ainsi, pour une majorité de fermes, la diversification de la commercialisation pour y intégrer les circuits courts peut s’avérer intéressante. Les producteurs qui y participent actuellement le font pour différents motifs. Dans l’analyse de Chiffoleau et Prevost (2012), cinq profils d’agriculteurs sont exposés. Il y a le type pragmatique qui diversifie sa commercialisation en circuits courts et longs à des fins de profitabilité. Le type novateur, qui s’implique dans les circuits courts afin de proposer des activités de commercialisation nouvelles, qui répondent aux attentes sociales. Le spécialiste engagé cherche à solliciter l’engagement des consommateurs à travers les circuits courts, alors que l’hédoniste efficace voit à rentabiliser ses activités de manière à assurer sa qualité de vie. Enfin, il y a le type idéaliste, soit le petit producteur qui aspire à un retour aux sources et qui mène des activités commerciales en circuits courts de façon marginale seulement. Évidemment, ces profils de producteurs sont le fruit de grandes tendances et connaissent des frontières flexibles. Or, au Québec, les producteurs de type pragmatique sont ceux qu’il importe de solliciter en matière de diversification des activités de commercialisation, afin qu’ils intègrent plus facilement les circuits courts. En effet, dans l’optique de rendre l’agriculture provinciale plus durable à travers la commercialisation en circuits courts, il importe de solliciter adéquatement les grandes productions, desquelles proviennent les pratiques généralement moins écoresponsables. La création de valeur ajoutée doit être perceptible afin qu’elles exercent une transition agroenvironnementale. Les producteurs pragmatiques occupent une fonction essentielle dans l’approvisionnement de proximité pour les moyennes et grandes surfaces urbaines et périphériques (Chiffoleau et Prevost, 2012).

Il importe néanmoins de souligner que la commercialisation en circuits courts comprend des tâches et responsabilités nouvelles, auparavant effectuées par les intermédiaires, ce qui implique des ressources financières, temporelles et humaines pour les agriculteurs (Chiffoleau et Prevost, 2012). La commercialisation en circuits courts comprend également des volumes de ventes moins élevés en général, ce qui mène à un constat : l’avenue des circuits courts n’est pas plus profitable que la commercialisation conventionnelle, mais elle permet de garantir des débouchés pour l’écoulement des productions et l’acquisition de connaissances et de compétences distinguées. Les agriculteurs qui y participent ont d’ailleurs tendance à avoir de plus hauts niveaux d’études complétés. (Mundler et

Laughrea, 2016) Du point de vue des acteurs agroalimentaires, l’approvisionnement en circuits courts contribue à la différenciation des produits alimentaires transformés. Des enjeux découlent cependant de la fiabilité et de la constance de l’offre en aliments locaux, qui varient en fonction des aléas climatiques et des impondérables de nature humaine. Face à ces enjeux, les transformateurs et artisans sont susceptibles de devoir se tourner vers des sources d’approvisionnement conventionnelles, afin de répondre à la demande.

Enfin, sous la loupe du consommateur, l’approvisionnement en circuits courts dispose d’une accessibilité à géométries variables. Une étude menée par Mundler et Laughrea (2016), au sein de trois territoires québécois diversifiés, soit Lotbinière, Brome-Missisquoi et Lac-Saint-Jean Est, démontre que des freins interdépendants se dressent sur les plans de l’accessibilité physique, intellectuelle et économique pour plusieurs consommateurs. En effet, dans certains quartiers défavorisés, l’accessibilité géographique à des commerces d’alimentation est souvent restreinte, ce qui rend l’alimentation saine et diversifiée et l’approvisionnement en circuits courts difficiles, voire impossibles. En 2013, l’Institut national de la santé publique dévoile une analyse à cet effet et soutient que 45,5 % de la population québécoise confondue demeure dans des secteurs où l’accès aux commerces alimentaires est faible. C’est également 5,7 % des Québécois qui habitent dans des « déserts alimentaires », des zones défavorisées où les commerces alimentaires sont absents. Cette analyse étale un lien entre l’accessibilité aux dépanneurs et commerces de restauration rapide, qui tend à diminuer en fonction du niveau de vie des quartiers urbains. (Robitaille et Bergeron, 2013) En termes d’accessibilité intellectuelle, Mundler et Laughrea (2016) indiquent que pour les tranches sociétales démunies et marginalisées, l’éducation et la sensibilisation à une saine alimentation sont restreintes, ce qui défavorise l’approvisionnement en circuits courts. Enfin, comme l’approvisionnement en produits locaux est généralement perçu comme plus dispendieux, il n’est pas considéré par les citoyens aux portefeuilles limités. Il est aussi dénoté que l’approvisionnement par les ménages en circuits courts implique habituellement de plus grandes quantités achetées, par exemple par l’entremise de l’ASC où des paniers remplis de légumes sont offerts, et qu’il existe un risque certain de gaspillage alimentaire. Les ménages doivent donc être justement éduqués sur la conservation et la consommation efficiente de leurs aliments.

Dans l’optique de répondre aux enjeux relevés pour les producteurs, transformateurs et consommateurs sur le plan économique, quelques avenues sont à envisager. Dans un premier temps, afin de rendre la commercialisation en circuits courts plus intéressante pour les moyennes et grandes productions québécoises, il serait avantageux d’implanter des usines de transformation localement, plutôt que d’exporter les matières alimentaires premières à ces fins, et de les importer ensuite pour la consommation. L’appui auprès de l’agro-industrie secondaire et tertiaire provinciale contribue grandement à la réduction du kilométrage alimentaire, de même qu’à la souveraineté alimentaire des régions. Par ailleurs, intégrer des industries agroalimentaires dans les milieux ruraux où des

installations sanitaires sont prédisposées permet d’augmenter la multifonctionnalité et de rehausser l’attractivité des zones périurbaines (Domon et Ruiz, 2008), notamment grâce à la création d’emplois. De même, l’implantation de ces usines dans les campagnes et la collaboration avec tous les types de productions permettent d’assurer un approvisionnement en matières premières fiable et d’avoir des liens rapprochés avec les fournisseurs. Puis, pour les consommateurs, l’identification des déserts alimentaires et des quartiers où l’accessibilité physique à une alimentation de qualité est faible doit mener à l’implantation de commerces alimentaires adaptés. Conjointement, la population doit avoir accès une meilleure éducation alimentaire, dès le plus jeune âge, à travers des ateliers de sensibilisation dans les écoles et des campagnes publicitaires dédiées au grand public. Des cuisines collectives sont en outre présentes dans plusieurs municipalités québécoises. Elles permettent aux participants de planifier ensemble des recettes, de réaliser les emplettes responsables en divisant les coûts, de cuisiner collectivement et d’évaluer l’expérience commune. (Regroupement des cuisines collectives du Québec, 2020) Des outils diversifiés existent pour permettre aux consommateurs québécois de se réapproprier leur alimentation à l’aide de produits locaux et de saison.

Dans un cadre plus large, pour encourager l’ensemble des acteurs de la chaîne agroalimentaire à collaborer plus étroitement au Québec, l’exemple de l’AMAP en France et du régionalisme en Nouvelle-Angleterre sont porteurs de plusieurs bénéfices potentiels. L’AMAP permettrait de décentraliser la gestion de la commercialisation en circuits courts, alors que les différents bassins de population régionaux du Québec pourraient entrer directement en relation avec leurs producteurs locaux, afin de définir les besoins alimentaires et d’en négocier la juste valeur. Le régionalisme nécessiterait pour sa part de larges restructurations et une ouverture d’esprit, mais il serait possible de développer ce genre de système aux côtés de la province ontarienne. L’Ontario détient des cadres politique, légal, sociodémographique et géoclimatique essentiellement similaires à ceux du Québec (MAPAQ, 2019c). Depuis, 2009, il existe un Accord de commerce et coopération entre le Québec et l’Ontario. Le chapitre 10 de cet accord est spécialement dédié au commerce agroalimentaire bilatéral entre les deux provinces. Ces dernières reconnaissent la nécessité de combiner leurs efforts en matière de production et de transformation, avec l’objectif de répondre aux attentes sociétales en matière de durabilité, de qualité et de diversité alimentaire. Ce contexte politique est donc favorable à la mise en place d’un régionalisme ancré. Cette collaboration à plus grande échelle assurerait la sécurité alimentaire, surtout lorsqu’une crise mondiale affecte les canaux d’approvisionnement.