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CHAPITRE III : LES PRATIQUES DE PREVENTION, DE DEPISTAGE ET DE PRISE EN

I. 2 - Des difficultés repérées

Reprenant l’analyse des cinq dispositifs, quelques difficultés méritent d’être soulignées :

a) Phase d’expérimentation

Des phases d’expérimentation plus ou moins longues sont mises en place selon les dispositifs et les départements. Lorsque celles-ci se prolongent trop dans le temps (jusqu’à deux ans), nous pouvons noter que les équipes, après maints questionnements, refontes du projet...

arrivent à des phases de saturation. La question du réinvestissement des professionnels, du portage du projet par l’équipe se pose alors réellement.

A noter également, notamment dans le cadre de certains dispositifs associant intervention à domicile et suppléance, que ces professionnels peuvent être amenés à poursuivre leur pratique classique en internat, couplée à cette expérimentation. La difficulté de passer d’un positionnement professionnel à un autre est régulièrement soulignée.

b) Critères d’orientation

Des indicateurs pour décider d’une orientation vers tel ou tel type de mesure semblent difficiles à repérer. A qui propose-t-on tel ou tel type de mesure ?

Comme le souligne Catherine Sellenet46 dans sa recherche relative à un dispositif de placement à domicile, « à l’origine, le secret espoir des professionnels du placement à domicile était d’intervenir plus préventivement que curativement... ce rêve, modeste et fou va être infirmé par notre étude sociologique. Le placement à domicile rencontre des familles précarisées, voire marginalisées, des familles « habituées » des interventions, malmenées par la vie et enkystées dans des problèmes multiples et récurrents... Elles ne constituent pas une population nouvelle à laquelle serait proposée une formule récente ».

Cette question des orientations renvoie à une définition précise dans le projet de service des critères de prise en charge et surtout à l’évaluation individuelle des situations (évaluation des compétences parentales, des difficultés et évaluation du développement de l’enfant, évaluation des aspects de l’environnement), de l’actualité et de l’acuité du danger.

Certains dispositifs ont mis en place des commissions professionnelles et pluri-institutionnelles « évaluant les compétences parentales, les facteurs de danger ».

46 Sellenet C. (2006), L’enfance en danger. Ils n’ont rien vu ?, Paris, Ed. Belin.

La question de l’évaluation et des outils dont disposent les professionnels pour permettre d’analyser et d’appréhender les questions que posent ces situations, et ce dans l’intérêt de l’enfant et en fonction des capacités parentales, est au cœur du débat aujourd’hui.

c) Evaluation des dispositifs

Nous pouvons constater que très peu de ces dispositifs ont fait l’objet d’une évaluation.

Quelques services effectuent néanmoins un travail évaluatif en interne.

Pour ce type de dispositifs, il paraît essentiel que l’évaluation soit pensée dans le cadre de la mise en place du projet afin que l’équipe y soit préparée, que le budget soit prévu et que le projet soit réadapté ou recadré si nécessaire, ce qui permettrait de suivre l’évolution du dispositif.

Une évaluation qui, d’une part, se mettrait en place uniquement de la hiérarchie vers les professionnels de terrain ne peut être vécue que comme un contrôle et provoquer des résistances.

La pérennité d’une évaluation sur le terrain ne peut être garantie que si des chercheurs ou experts externes construisent, avec les professionnels, des outils d’évaluation. Les praticiens pourraient ainsi se saisir de ces outils pour poursuivre un travail évaluatif continu, en interne.

D’autre part, la culture de l’évaluation n’est pas encore intégrée dans les pratiques de professionnels. Elle devrait être pensée dès la formation initiale.

Différents points mériteraient de faire l’objet d’investigations approfondies parmi d’autres : - la spécificité des indicateurs de prise en charge, notamment par rapport aux autres

mesures : AED, AEMO, placement en internat et en famille d’accueil,

- les limites de l’intervention, notamment jusqu’où aller dans la recherche de solutions de réseau pour éviter les ruptures, la lisière entre intervention intensive et intrusion, protection de l’enfant et droit à la protection de la vie privée,

- les pratiques effectives développées par les intervenants auprès des parents et des enfants,

- l’organisation des fins de mesure et le devenir.

d) Régulation en équipe

Ce type d’intervention repose dans certains dispositifs sur des temps de présence réguliers et fréquents au domicile des familles parfois incompatibles avec la distance indispensable à l’évaluation. C’est pourquoi ces modes d’intervention doivent s’exercer dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire, lieu de réflexion et de partage autour des situations vécues, et avec une nécessaire supervision du professionnel dans sa pratique. Dans cette mesure, le fait que tous les membres de l’équipe connaissent des personnes concernées, enfant ou parent, permet une intervention partagée au-delà du professionnel référent et évite le face-à-face trop individualisé.

Peu d’équipes ont parallèlement mis en place des supervisions qui leur permettent de travailler les pratiques en direction des familles, les pratiques entre professionnels et de préserver un regard objectif sur les situations individuelles.

e) Conséquences sur la formation des travailleurs sociaux

Les nouvelles pratiques de travail auprès des familles dans les dispositifs situés entre l’AED/AEMO et le placement confirment l’urgence d’un regard nouveau sur la formation des professionnels concernés.

Les professionnels n’interviennent plus selon des modes spécifiques, du type de l’expertise, mais dans une nouvelle approche combinant une phase d’observation, une « formation parentale » fondée sur une co-construction d’expériences avec les parents (il s’agit de « faire et d’être » avec les parents). Cette co-construction d’expérience avec les parents repose sur l’accomplissement avec eux d’actes de la vie quotidienne relatifs à l’éducation de l’enfant et à la vie avec un enfant ainsi qu’à l’accompagnement dans un certain nombre de démarches.

Parallèlement, les professionnels doivent constamment être vigilants en termes d’appréciation de la situation de l’enfant.

Ces nouvelles interventions des professionnels impliquent :

- de disposer de compétences conduisant les professionnels à passer d’une position d’expertise à une position de co-éducation avec les familles,

- de coupler une position d’intervenant en accueil avec une action au domicile,

- d’articuler soutien à l’évolution des parents et sauvegarde du bon développement de l’enfant,

- de proposer différents modes de prise en charge et d’approche en fonction de l’analyse de la situation,

- de croiser les références théoriques qui sous-tendent les interventions,

- d’évaluer régulièrement les situations familiales afin de réajuster le projet individuel tout en assurant l’efficacité de la mesure de protection en direction de l’enfant.

La formation des professionnels à ce nouveau type d’approche est indispensable. Elle doit intégrer et combiner les apports théoriques mais également leurs implications pratiques afin de constituer une garantie de professionnalisme. Elle devrait être dispensée, notamment en formation continue, à tous les intervenants amenés à exercer ce type d’accompagnement des familles, éducateurs, puéricultrices, assistants de service social, TISF, conseillers socio-éducatifs, etc.

f) La question des moyens

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Il s’avère nécessaire de cerner les indicateurs d’orientation vers ces nouveaux dispositifs, notamment au regard de l’AED ou de l’AEMO, afin de redéfinir et de clarifier les contours du dispositif, et ce, dans un souci de parfaite égalité entre les justiciables et de lisibilité.

Les services qui se mettent actuellement en place proposent une intervention intensive avec des moyens humains et financiers conséquents.

Le prix de journée est moindre que celui du placement et il est certain qu’un des objectifs est bien de le limiter. Par contre, il est de cinq à dix fois plus important que le prix de journée d’une AED ou AEMO.

Chaque professionnel, lors des mesures associant intervention à domicile et suppléance, assure un suivi de 6 à 8 situations permettant une grande disponibilité et un travail éducatif poussé avec les familles. Ceci n’est pas le cas en AEMO où le nombre moyen de mesures par travailleur social avoisine les 30.

47 Sur « la nécessaire émergence d’une approche économique en protection de l’enfance », voir P. Naves, Defalvard H. et al., Economie politique de l’action sociale, Ed. Dunod, 2006.

A noter que chaque équipe ne peut suivre qu’un nombre limité de situations ce qui renvoie à la question du public auquel ces mesures sont proposées.