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Chapitre 4. Insuffisances et lacunes du cadre mondial de gouvernance actuel

4.9 Difficultés en matière de recouvrement des avoirs

Le recouvrement des avoirs est un processus de longue haleine, mais une évolution positive se fait jour. Au Royaume-Uni, des avoirs ont été gelés et rapatriés au Nigéria (Vanguard, 2012). La Suisse a adopté une loi visant à accélérer le processus de blocage et de restitution des avoirs issus d’actes de corruption commis dans des pays qui n’ont pas les moyens de mener des enquêtes ou de recueillir des éléments de preuve, au motif qu’elle peut faciliter le recouvrement des avoirs13. Toutefois, des pays continuent d’autoriser des banques à recevoir des fonds illicites et de les conserver, alors que des procès sont en cours en vue de leur restitution, contrevenant ainsi à la recommandation du Groupe de haut niveau selon laquelle dans de tels cas, les fonds doivent être déposés sur un compte bloqué auprès de banques régionales de développement. Bon nombre de lois bancaires de pays développés (en Suisse, par exemple) autorisent toujours les banques à recevoir des transferts de fonds d’origine douteuse et de les conserver dans l’attente d’une procédure judiciaire, ce qui peut prendre 10 ans ou plus. Cette situation continue d’avoir des conséquences négatives sur les pays africains ; par exemple, l’Égypte ne parvient toujours pas à récupérer un montant avoisinant 11 milliards de dollars provenant de fonds publics qui aurait été transféré de façon illicite du temps de l’ancien président Hosni Moubarak en Suisse et dans certains pays membres de l’Union européenne.

Les pays africains eux-mêmes peuvent aussi renforcer les efforts déployés en matière de recouvrement des avoirs, par exemple en ordonnant la communication des informations concernant les actifs par les agents publics. Cette obligation a été inscrite dans la Constitution camerounaise de 1996, mais aucune disposition de ce type n’a été adoptée.

4.10 Refus d’attribuer un rang de priorité élevée à la lutte contre les flux financiers illicites ou conflits d’intérêt

En Afrique du Sud, de l’avis même des experts et de la Commission permanente des finances du Parlement (2017), la lutte contre les flux financiers illicites n’est pas une priorité pour certains éléments au sein de l’État. Cela semble être particulièrement le cas de la police

sud-africaine, dont les dirigeants ont à maintes reprises refusé d’assister à des séances parlementaires consacrées à des sujets concernant les flux financiers illicites, ou tout bonnement refusé de répondre aux questions quand ils assistaient à ces séances. Les membres de la Commission ont aussi souligné à plusieurs reprises que pratiquement aucune mesure n’avait été prise pour mettre en œuvre les recommandations formulées par diverses parties prenantes en vue de combattre les flux financiers illicites. La Commission a aussi souligné qu’aucun des 1 700 résidents sud-africains identifiés dans les Panama Papers n’avait été poursuivi (p. 3). Cela est le cas, bien que le Centre de renseignement financier ait examiné les Panama Papers et transmis les dossiers aux organismes chargés de poursuivre en justice les auteurs d’infraction. La police n’a « traité » qu’un seul des 31 cas transmis par la South African Reserve Bank (Banque centrale de la République d’Afrique du Sud) concernant des questions relatives aux flux financiers illicites14. La volonté politique et la corruption peuvent souvent avoir un lien direct avec la capacité des États développés et États en développement à actualiser et renforcer la législation, mais aussi à imposer son application afin de mettre bon ordre à la situation et d’inverser les flux financiers illicites.

Il convient de noter que la communauté internationale doit en outre attribuer dans une plus large mesure un rang de priorité élevée à la lutte contre les flux financiers illicites aux conseils donnés aux pays en développement. Par exemple, les indicateurs Doing Business de la Banque mondiale donne une note plus élevée aux pays dans lesquels, toutes choses égales par ailleurs, il est plus rapide et plus facile de créer une entreprise. Il peut cependant y avoir des effets pervers si les pays s’efforçant d’améliorer leur performance dans ces indicateurs ne se conforment pas aux règles concernant la communication des renseignements par les nouvelles entreprises. Le Groupe de haut niveau (ONU, non daté) a recommandé que les pays obligent toutes les sociétés à s’inscrire au rôle des impôts et à communiquer des informations sur le propriétaire réel, mais les efforts faits pour accélérer et faciliter ce processus peuvent conduire des pays à déroger à cette obligation. Cela peut compromettre les efforts fait pour lutter contre les flux financiers illicites, notamment le recours accru à l’inscription au rôle des impôts et la transparence concernant la propriété réelle.

4.11 Conclusion

On a montré, dans le présent chapitre, qu’il existe toujours des lacunes importantes dans les moyens de lutte contre les flux financiers illicites au niveau mondial et que ces lacunes permettent à ces flux de persister. Les domaines recensés dans le chapitre dans lesquels les mesures prises ne sont pas suffisantes sont notamment les suivants : l’octroi d’incitations fiscales non stratégiques, les difficultés en matière de recouvrement des avoirs volés, l’absence d’accord solide et global visant à lutter contre les flux financiers illicites au niveau mondial ou de mécanisme de coordination mondiale permettant d’aborder le problème sous tous ses aspects, le manque de transparence de la part des gouvernements et des entreprises, le peu d’efforts faits par les pays membres de l’OCDE pour mettre en œuvre les propres recommandations de l’Organisation en matière de lutte contre les flux financiers illicites, la mise en œuvre inadaptée des mesures antiblanchiment dans le secteur bancaire formel et d’autres mécanismes de transfert d’argent, les difficultés rencontrées dans la coopération internationale dans des affaires en lien avec les flux financiers illicites, en particulier dans le domaine fiscal, et la nécessité d’un accord global rendant obligatoire l’entraide judiciaire en matière pénale en cas de poursuites judiciaires dans les affaires liées aux flux financiers illicites, le refus d’attribuer un rang de priorité élevé à la lutte contre les flux financiers illicites

14 Voir à l’adresse : https://www.parliament.gov.za/group-details/1783#.

et le manque de moyens dont disposent les pays africains pour s’attaquer au problème sur le continent. Dans ce contexte, nous formulerons dans le prochain chapitre des propositions pour combler ces lacunes.

Chapitre 5. Conclusion et recommandations pour l’élaboration de