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Les difficultés d'arrimage de l'intervention sociale avec l'intervention judiciaire

CHAPITRE IV LE CHOC DES CONCEPTIONS JURIDIQUES ET CLINIQUES DANS LE PROCESSUS CONDUISANT

Section 2 Les difficultés d'arrimage de l'intervention sociale avec l'intervention judiciaire

A) La nécessité d'un dépistage précoce. . . 153 B) La nécessité d'aviser rapidement les parents défaillants des

conséquences de leur inaction parentale. . . 157 C) Les mesures de protection requises pour réaliser un projet de vie

pour l'enfant. . . 158 D) L'impact d'un jugement de protection sur le processus judiciaire

conduisant au jugement d'admissibilité à l'adoption.

. . . 159 E) Le devoir du directeur de la protection de la jeunesse de dévoiler

les éléments favorables ou défavorables à la demande d'admissibilité à l'adoption. . . 161 F) La mise en garde de la Cour d'appel de ne pas considérer

l'adoption comme une panacée universelle cadre-t-elle avec la réalité de l'enfant abandonné? . . . 162

1. Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, mis en vigueur le 2 avril 1981, 1980 L.Q. c. 39. Le nouveau droit de la famille a été repris, avec certaines modifications, par le nouveau Code civil du Québec mis en vigueur le 1er janvier 1994.

2. Art. 32 à 34 C.c.Q. 3. L.R.Q., c. C-12, art. 39.

4. L.R.Q., c. P-34.1, art. 2.2. Voir aussi, art. 599 C.c.Q.

5. L.R.Q., c. P-34.1, art. 4. Cet article réfère à la continuité des soins et la stabilité des conditions de vie appropriées à ses besoins et à son âge.

6. Voir, à ce sujet, l'article 33 al. 2 C.c.Q. et 3 al. 2 de la Loi sur la protection de la jeunesse, L.R.Q., c. P-34.1.

7. L.R.Q., c. P-34.1, art 32, 38, 51. INTRODUCTION

La réforme du droit familial1, en vigueur depuis 1981, consacre l'évolution

jurisprudentielle qui faisait de l'enfant un véritable sujet de droit2. L'article 33

C.c.Q. affirme que l'intérêt de l'enfant constitue la pierre angulaire de toutes les décisions prises à son sujet. Le nouvel article 32 C.c.Q., qui reprend l'article 39 de la Charte des droits et libertés de la personne3, reconnaît expressément le

droit pour l'enfant d'avoir des parents qui s'occupent de lui.

La Loi sur la protection de la jeunesse édicte que les parents restent les premiers responsables de l'enfant4, et précise que s'il n'est pas possible de

retourner l'enfant protégé dans son milieu familial, on doit chercher à lui assurer la continuité et la stabilité en le plaçant dans un milieu familial normal, compte tenu de ses besoins et de son âge5.

Bref, toutes ces dispositions énoncent que l'enfant a le droit de bénéficier d'un milieu familial afin que ses parents, ou des tiers agissant à ce titre, se préoccupent de ses «besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques»6.

Lorsque les parents ne peuvent ou ne veulent plus, peu importent les motifs, s'occuper de façon concrète de leur enfant, il est fréquent que le directeur de la protection de la jeunesse doive prendre sa situation en charge pour lui fournir un milieu familial substitut.

Le directeur de la protection de la jeunesse7 doit également s'interroger sur

le choix d'un projet de vie pour l'enfant dont les parents ont cessé d'en assumer le soin, l'entretien ou l'éducation. Tout dépendant de son âge, de sa situation

8. Loi sur la protection de la jeunesse, L.R.Q., c. P-34.1, art. 72. 1. Le paragr. 5 de l'article 2.4 de cette loi indique que les intervenants doivent agir avec diligence, compte tenu que la notion de temps chez l'enfant est différente de celle des adultes. Cette disposition située dans le chapitre sur les «Principes généraux et droits des enfants» s'applique aussi à l'adoption qui relève du directeur de la protection de la jeunesse.

antérieure, le placement d'un enfant à plus ou moins long terme dans une famille d'accueil ne doit constituer une alternative que lorsqu'on ne peut faire

autrement. En effet, ce n'est pas la meilleure solution pour l'enfant puisque la

famille d'accueil ne lui offre que des parents temporaires. C'est pourquoi, nous devons nous demander si l'adoption ne serait pas la mesure la plus appropriée pour lui fournir de nouveaux parents affectifs permanents8. Ajoutons que la

quasi-totalité des enfants, dont la demande en déclaration d'admissibilité à l'adoption est fondée sur l'abandon au sens du paragr. 2 de l'article 559 C.c.Q, sont déjà pris en charge par le directeur de la protection de la jeunesse. Il est donc naturel de lui confier la responsabilité de vérifier si l'adoption constitue pour l'enfant abandonné la solution la plus adéquate pour répondre à ses besoins. Le législateur, préoccupé par l'inquiétant phénomène des abandons tacites, estime que le droit pour l'enfant d'avoir une famille afin d'y développer des liens

affectifs stables permet de le faire déclarer admissible à l'adoption. Il répond

ainsi à l'état d'incertitude vécu par de nombreux enfants abandonnés dans les faits, en confiant aux intervenants sociaux et judiciaires la responsabilité d'assurer le respect des droits de l'enfant en lui accordant la possibilité de s'identifier de façon permanente à une nouvelle famille affective lorsque ses parents ne maintiennent plus de liens avec lui, ou sont inaptes à le faire.

L'adoption devient donc, en matière de protection de la jeunesse, comme dans les autres situations, une façon privilégiée par le législateur de venir au secours de l'enfant, comme en fait foi le délai relativement court qu'il pose pour déterminer s'il y a abandon. Il prend ainsi position en faveur de l'adoption de

l'enfant auquel il veut procurer la continuité et la stabilité dans une société où ces deux éléments sont devenus plus que jamais essentiels à son intégration au monde des adultes.

Le législateur pose deux conditions d'admissibilité à l'adoption qui visent à éviter toute injustice à l'égard des parents et à permettre à l'enfant de bénéficier

9. Art. 559. «Peut être judiciairement déclaré admissible à l'adoption : . . .

Alinéa 2 L'enfant dont ni les père et mère ni le tuteur n'ont assumé de fait le soin, l'entretien ou l'éducation depuis au moins six mois;»

. . .

10. Art. 561. «L'enfant ne peut être déclaré admissible à l'adoption que s'il est improbable que son père, sa mère ou son tuteur en reprenne la garde et en assume le soin, l'entretien ou l'éducation. Cette improbabilité est présumée».

d'un milieu familial affectif de substitution dans des délais raisonnables. La

première, l'abandon, repose sur le constat factuel de l'inexécution des principaux

devoirs parentaux décrits par les vocables «soin, entretien ou éducation» au paragr. 2 de l'article 559 C.c.Q. Cette première condition satisfaite fait naître une présomption d'improbabilité de reprise en charge résultant du défaut d'assumer

de fait le soin, l'entretien ou l'éducation de leur enfant, soit par désintérêt, soit

par inaptitude mentale ou intellectuelle des parents. La deuxième condition permet de vérifier si la reprise en charge de l'enfant par les parents est possible en leur offrant l'opportunité de renverser la présomption d'improbabilité, édictée à l'article 561 C.c.Q., pour faire obstacle à l'admissibilité à l'adoption.

Les deux conditions préalables à l'admissibilité à l'adoption ont donné naissance à diverses tendances, tantôt pour donner effet à la volonté du législateur de procurer à l'enfant des parents désireux de s'en occuper, tantôt pour refuser de déclarer l'enfant adoptable afin de maintenir des liens affectifs parfois plus apparents que réels ou des liens biologiques avec les parents d'origine et ce, à partir de constructions juridiques qui ne correspondent pas, le plus souvent, à la réalité vécue par l'enfant.

Nous allons d'abord traiter, dans le premier chapitre, de l'évolution jurisprudentielle de la notion d'abandon à partir de l'analyse des diverses interprétations des conditions d'abandon énoncées dans le paragr. 2 de l'article 559 C.c.Q.9 Nous aborderons ensuite, dans le deuxième chapitre, l'étude des

conditions relatives à la probabilité d'une réelle reprise en charge de l'enfant pour renverser la présomption d'improbabilité édictée à l'article 561 C.c.Q.10

Nous examinerons, dans le troisième chapitre, dans quelle mesure les tribunaux utilisent le critère de l'intérêt de l'enfant pour vérifier s'il y a eu abandon et déterminer la vraisemblance de la probabilité de la reprise en charge proposée

11. Art. 543. «L'adoption ne peut avoir lieu que dans l'intérêt de l'enfant et aux conditions prévues par la loi.

Elle ne peut avoir lieu pour confirmer une filiation déjà établie par le sang.»

12. Art. 33. «Les décisions concernant l'enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.

Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.»

par les parents11. On se demandera également si ce critère peut constituer un

élément distinctif et autonome12 pour refuser la déclaration judiciaire

d'admissibilité à l'adoption lorsque toutes les autres conditions sont remplies. Le quatrième chapitre est consacré au processus conduisant à la présentation d'une déclaration d'admissibilité à l'adoption. Avec comme toile de fond l'ordonnance de protection préexistante, le choc des conceptions juridiques et cliniques est inévitable. En effet, au-delà des idéologies et des conceptions judiciaires résultant de l'application de la loi, nous verrons que la manière d'enclencher le processus de l'adoption, en regard des gestes posés antérieurement par les intervenants sociaux, peut influencer les tribunaux au point de créer parfois des insatisfactions profondes de part et d'autre. Nous ferons donc état des difficultés concrètes d'arrimage entre l'intervention sociale et l'intervention judiciaire en nous demandant comment améliorer la dynamique prévalant en matière d'adoption lorsqu'il s'agit d'un enfant en voie d'être abandonné.

Nous consacrons une étude élaborée à la déclaration d'admissibilité à l'adoption fondée sur l'abandon parce que la majorité des conflits en matière d'adoption résultent de l'inaction parentale qui permet aux tribunaux de substituer une décision judiciaire au consentement parental.

CHAPITRE I L'ÉVOLUTION DE LA NOTION D'ABANDON DANS

UNE DEMANDE EN DÉCLARATION D'ADMIS-