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Une des différences majeures entre les catholiques et les protestants concerne précisément le degré de dévotion portée à Marie, personnage qui incarne l’attente et la foi de toute l’Église

dans la liturgie catholique. Le culte marial a, en effet, ouvert la voix à la création de

nombreuses associations catholiques tel que « la Légion de Marie »

321

dans les pays

anglo-saxons, y compris l’Irlande du Nord. Ainsi, en donnant ce prénom à son personnage, Stewart

Parker indique que Marianne a une ascendance catholique. Pourtant, ce n’est pas le prénom de

« Marie » qu’il choisit mais une version plus moderne, tout comme Christophe, le prénom du

fils qu’elle porta. Ces deux noms de baptême peuvent laisser à penser que l’auteur puisa dans

le passé des éléments pour raconter le présent, mais non pas dans le but de le figer, plutôt dans

un espoir pour l’avenir. De la même façon, Stewart Parker prénomma son second personnage

catholique Lenny, diminutif de Léonard et de Léon, prénom lui-même porté par plusieurs

papes. Ici encore la version moderne de l’appellation peut dénoter l’envie de se détacher du

passé pour se tourner vers le futur. Parker a donc opté pour des prénoms modernes, mais

toujours en relation avec leur confession religieuse, pour ses personnages catholiques. En

revanche, ses personnages protestants portent des noms plus anciens car le protestantisme a

une très forte tendance à choisir les « prénoms individuels dans le corpus biblique, avec

notamment une certaine prédilection pour ceux de l’Ancien Testament »

322

. Ce phénomène

social indique clairement le profond désir de cette communauté religieuse à renouer avec le

passé et les origines même du texte sacré en signifiant « une identification spontanée des

fidèles à l’humanité croyante et exemplaire de l’Ancien Testament »

323

. Une des amies de

Marianne, Ruth

324

, entre en scène, à l’acte 1 scène 2, afin de trouver refuge et réconfort auprès

320 Marian : […] I had a child once Lenny : No. Marian…

Marian : I called him Christopher. Because he was a kind of Christ to me, he brought love with him… the truth and the life… (Pentecost, p. 244).

321 La légion de Marie, créée aux États-Unis en 1931, est la plus grande organisation apostolique de laïques au sein de l’Église catholique. Le Vatican se positionne en faveur de cette association, soutenue par les six derniers papes. Son but principal est de glorifier Dieu à travers la sanctification de ses membres. Ces derniers deviennent des instruments de l’Esprit Saint à travers des prières et des offices. Ils prêchent une évangélisation « de porte à porte », se consacrent à l’éducation religieuse, la visite des prisonniers, des membres de la paroisse, des malades et des personnes âgées etc. La légion est, par essence, une extension du cœur et des mains du prêtre. In http://www.legionofmary.org/lom.html.

322 O. Millet & P. de Robert (eds.), op. cit., p. 257.

323Ibid., p. 259.

d’elle après avoir été frappée par son mari une fois de plus. Dans l’Ancien Testament,

l’histoire de son éponyme est narrée de manière charmante, bucolique et douce dans le Livre

de Ruth et met en exergue les valeurs familiales

325

. Il est d’autant plus pertinent de la part de

Parker d’avoir prénommé l’un de ses personnages ainsi car le judaïsme rattache l’histoire de

ce personnage à la fête de la Pentecôte pour deux raisons. D’une part, la Pentecôte est connue

pour être la fête de la moisson et, en arrivant en Judée, Ruth se mit à glaner au temps de la

moisson. D’autre part, l’hésitation de Ruth quant à épouser un autre homme que son défunt

mari met en relief la vertu de fidélité envers les morts mais aussi envers la Torah

326

, et la

Pentecôte (Shavouot) commémore le don de la Torah. Par ailleurs, cette histoire biblique

s’intéresse en particulier au sort des femmes afin d’illustrer les liens idéologiques et

économiques qui les unissaient aux hommes, notamment dans le cadre du mariage. Parker,

qui s’interrogeait sur la condition féminine à Belfast, impute à Ruth le devoir de représenter

leur force. Même si elle est d’abord victime de la violence de son mari, elle trouve le courage

de le quitter et d’échapper à son destin. Dans un même temps, elle reste attachée à la Bible,

allant même jusqu’à citer un passage des Actes des apôtres (récit de la Pentecôte) de

mémoire. Il est alors surprenant que Parker ait prénommé son mari, David

327

. Le personnage

de David n’entre jamais sur scène, nous ne savons de lui que ce que Ruth, Marianne et Lenny

en disent : il est un policier violent qui bat sa femme depuis de nombreuses années et qu’une

dépression nerveuse conduira à l’hôpital. Les aventures de son éponyme sont racontées dans

la Bible au sein des Livres de Samuel. Contrairement au personnage de Parker, le roi David

est présenté comme étant un personnage charmant, glorieux et charismatique. Il est aimé de

tous, des hommes, pour qui il est un modèle, et des femmes, qu’ils courtisent. C’est un

stratège brillant sur le plan militaire, un musicien de première classe, mais qui peut se montrer

ferme et autoritaire lorsqu’il l’est nécessaire. Les histoires du roi David sont les plus

glorieuses de la Bible. Le David rencontré dans la Bible est dépeint comme étant comique et

picaresque, ce qui est loin d’être le cas du personnage de Parker, pathétique et redoutable. Le

dramaturge semble ici avoir recours à ce mode ironique afin de mettre en lumière les valeurs

humaines de Ruth, qui troquera son amour pour ce personnage antipathique, qui reste en outre

325 Pour en résumer le récit, Ruth était une jeune femme moabite qui, après être devenue veuve, décida de suivre sa belle-mère, Noémie, jusqu’en Judée, le pays d’origine qu’elle avait quitté pour cause de famine. Elles rencontrèrent de nombreuses difficultés financières auxquelles Ruth tenta de remédier en épousant Booz, riche propriétaire de terres à Bethléem, et donna naissance à Jobed, destiné à devenir le grand-père du roi David.

326 Nom que les Juifs donnent au Pentateuque, par extension, ensemble formé par le canon biblique et le Talmud.

héroïque pour elle

328

, contre une escapade avec un homme plus sympathique, Peter. Peter

329

,

ou Pierre en français, apparaît dans le Nouveau Testament pour être le porte-parole des

disciples de Jésus Christ, puisque, le jour de la Pentecôte

330

, il fut le premier des apôtres à

accomplir un miracle au nom de Jésus. Les catholiques romains tiennent Pierre pour premier

Pape de l’histoire du catholicisme puisqu’il fut le seul des disciples de Jésus à recevoir cette

promesse de lui :

Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et

la Puissance de la Mort n’aura pas de force contre elle. Je te donnerai les clés

du Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux, et

tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux

331

.

Cette interprétation particulière de ce passage du Nouveau Testament marque ici encore une

différence d’ordre théologique entre les deux confessions. Les protestants, en effet, rejettent

l’autorité du Pape. Néanmoins, Pierre représente pour les deux confessions un être

exceptionnellement bon. Ainsi, le personnage de Parker semble corroborer cette idée

d’apporter la bonne parole. De retour d’Angleterre, où il était allé chercher une certaine

reconnaissance professionnelle, il se permet d’émettre un avis assez objectif sur la grève

menée par sa propre communauté et dénonce la violence en Irlande du Nord. Nous apprenons

que, même s’il grandit au sein d’une famille protestante, il ne partage guère les idées

protestantes et critique sans ambages les actes de violence de leurs instigateurs. Il quitta

l’Irlande du Nord, où il lui semblait que Dieu n’existait plus. Pour toutes ces raisons, il n’est

donc pas étonnant de l’entendre citer son éponyme biblique le jour de la Pentecôte afin

d’apporter une sérénité attendue:

Alors Pierre, se présentant avec les onze, éleva la voix, et leur parla en ces

termes : « Hommes juifs, et vous tous qui séjournez à Jérusalem, sachez ceci,

et prêtez l’oreille à mes paroles ! Ces gens ne sont pas ivres, comme vous le

supposez, car c’est la troisième heure du jour… » (P, p. 73)

332

328 Ruth dit de David : « .. My David’s out there on those streets day and night risking his life to protect other people » (Pentecost, p. 190).

329 Prénom grec.

330 Ac 2, 14-41.

331 Mt 16, 18.

332 Peter : « But Peter standing up with the eleven, lifted up his voice and said unto them : Ye men of Judea and all ye that dwell at Jerusalem, let this be known unto you and hearken to my words : for these are not drunken as ye suppose, seeing it is but the third hour of the day…» (Pentecost, p. 240).

À travers ces passages extraits de la Bible et récités par Peter, mais aussi Ruth, Parker semble