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Différences de couleurs

5. Discussion

5.2 Hypothèses explicatives

5.2.3 Différences de couleurs

La dernière hypothèse, et la plus probable, serait le fait que la différence entre les couleurs utilisées était beaucoup plus proche dans notre expérience en comparaison de celles utilisées dans l’étude d’Irons et al. (2012). En effet, dans notre expérience, chaque couleur cible avait une différence de 60° avec la couleur distractrice l’accompagnant, et donc de 120°

avec l’autre couleur cible dans le cas d’une recherche de deux couleurs. Dans l’étude d’Irons et al. (2012), les différences de couleurs n’étaient pas précisées en degré afin de permettre la comparaison, mais les codes couleur RVB des cibles et distracteurs étaient donnés, ce qui nous a permis de reproduire les couleurs qu’ils ont utilisées. Comme illustré sur la Figure 14, les couleurs cibles étaient le vert et le rouge chez Irons et al. (2012), et dans leurs premières expériences le bleu était la couleur distractrice. Dans ce cas, les trois couleurs sont visuellement très différentes les unes des autres et donc facilement différenciables. Ils ont ensuite reproduit leur expérience en utilisant un distracteur de couleur ambre, non linéairement séparable entre les deux couleurs cibles. Même dans ce dernier cas, bien que les différences soient diminuées, les couleurs restent suffisamment différenciées. Par contre, dans notre expérience, comme les couleurs cibles pouvaient être n’importe lesquelles sur l’espace CIELAB, mais toujours avec une différence fixe, il s’agit sur la Figure 14 d’un exemple potentiel de deux couleurs cibles pour un essai, avec leur distracteur non linéairement séparable. Pour que l’exemple soit plus parlant, les couleurs cibles choisies sont proches de celles utilisées par Irons et al. (2012). On remarque que les couleurs utilisées dans notre expérience sont donc beaucoup plus proches que celles utilisées dans l’expérience d’Irons et al. (2012), il y a déjà moins de différence visuellement entre les teintes des deux couleurs cibles, et surtout entre chacune de ces couleurs et la couleur distractrice. Il est donc plus difficile pour les participants de faire la différence dans ce dernier cas entre la couleur cible et la couleur distractrice, que dans l’expérience d’Irons et al. (2012).

Figure 14 : Illustration des différences de couleur entre les deux couleurs cibles potentielles et le distracteur accompagnant la cible, dans l’étude d’Irons et al. (2012) et dans la nôtre.

Par ailleurs, Moore et Weissman (2010) ont également conclu qu’il était possible de maintenir de multiples modèles attentionnels simultanément avec une tâche de capture contingente. Dans leurs expériences, les couleurs se montraient là aussi plus différentes que dans la nôtre (voir Figure 15). Il semblerait donc que toutes les études étant parvenues à démontrer la présence de multiples modèles attentionnels n’aient utilisé que des couleurs plus éloignées que celles que nous avons utilisées, car elles ont seulement testé la possibilité de maintenir deux modèles attentionnels simultanément, alors que nous avons également étudié pour trois couleurs, ce qui nous a obligé à réduire la différence entre les différentes couleurs.

Figure 15 : Illustration des différences de couleurs entre les deux couleurs cibles et le distracteur dans un essai potentiel de l’étude de Moore et Weissman (2010)

Il semblerait donc qu’il soit possible de rechercher plusieurs couleurs différentes en maintenant de multiples modèles attentionnels, mais uniquement si les couleurs sont suffisamment distinctes. Cette limitation pourrait bien être due à la capacité de l’attention visuelle. D’après certains auteurs (Bacon & Egeth, 1994 ; Folk & Anderson, 2010 ; Folk &

Remington, 1998), le système attentionnel pourrait être plus largement ou plus finement ajusté selon les objectifs du participant et de la façon dont la cible est différenciée des distracteurs.

Si la cible est un singleton, les paramètres de contrôle attentionnels peuvent être fixés selon la propriété ou la discontinuité. Par contre, si la cible ne peut être discriminée qu’en fonction de caractéristiques individuelles, on doit adopter un mode de recherche de caractéristiques qui est plus exigeant en ressources (Bacon & Egeth, 1994 ; Irons et al., 2012). Cela voudrait donc dire que comme la recherche dans notre cas était une recherche de caractéristiques et non pas une recherche de singleton, exigeant donc plus de ressources, le système attentionnel n’a pu être assez finement ajusté pour rechercher des couleurs semblables. Chez Irons et al. (2012), la recherche consistait également en une recherche de caractéristiques, mais la différence entre les couleurs était apparemment suffisante pour la recherche visuelle.

De son côté, le modèle de recherche guidée de Wolfe (1994 ; Wolfe, Cave, & Franzel, 1989) proposait que l’information de couleur est codée de manière préattentive en quatre catégories : rouge, vert, jaune et bleu. Le contrôle top-down permettrait ensuite de pondérer l’information d’un canal de manière plus importante que celle des autres canaux, attirant ainsi l’attention sur les objets qui contiennent cette couleur-là. Ce modèle suggère plutôt une précision moindre de l’attention, mais d’autres modèles suggèrent que l’attention pourrait être ajustée sur des couleurs plus fines. Navalpakkam et Itti (2006) ont par exemple démontré que les participants étaient capables de rechercher des cibles rouges à saturation intermédiaire parmi des distracteurs rouges de saturation élevée et faible. Leurs résultats suggèrent donc que l’attention peut être accordée sur des régions bien spécifiques de l’espace colorimétrique si nécessaire (Irons et al., 2012). Pour autant, cette dernière théorie est contredite par d’autres recherches utilisant des paradigmes d’indiçage spatial qui ont trouvé une capture attentionnelle par les indices de couleurs similaires. Par exemple, dans l’étude d’Ansorge et Heumann (2003), comme illustré sur la Figure 16, quand les participants recherchaient une cible verte, les indices de couleurs similaires à la cible (bleu-vert) capturaient l’attention, alors que les indices de couleurs plus éloignées (jaune-rouge) ne capturaient pas l’attention des participants. Dans ce cas, les participants semblaient donc ne pas être capables de faire la distinction entre des couleurs proches, la différence de couleur entre l’indice similaire et la cible étant de 30°, alors que la différence entre la cible et l’indice éloigné était de 90°. Par ailleurs, Anderson et Folk (2010) ont pour leur part démontré que le degré de capture par un indice coloré était directement relié à son degré de similarité avec la couleur cible. Pour autant, selon Irons et al. (2012), dans ces deux dernières études, contrairement à la leur, la cible que les participants recherchaient était un singleton coloré. Ainsi, les participants pourraient avoir adopté un large modèle attentionnel englobant les couleurs similaires à celle de la cible, alors que dans leur étude, la cible était accompagnée d’un distracteur de couleur, obligeant les participants à restreindre leur modèle de recherche sur une région colorimétrique plus fine.

Irons et al. (2012) en concluaient donc que les participants devaient être capables, selon la

tâche, de régler leur modèle attentionnel sur des régions larges ou plus fines de l’espace de couleurs. A l’inverse, selon Ansorge et Becker (2014), au vu des études démontrant une capture attentionnelle par les couleurs semblables mais pas par les couleurs différant largement de la cible (Ansorge & Heumann, 2003), il semble clair que l’attention n’est pas réglée sur une seul teinte particulière. De plus, Grubert et Eimer (2016) ont démontré que les résultats comportementaux obtenus par Irons et al. (2012) n’étaient pas confirmés par les mesures électrophysiologiques, car une N2pc était provoquée par les indices de couleur non cible, ce qui signifie que ces couleurs attiraient tout de même l’attention, mais qu’elle se retirait rapidement et donc l’effet de capture ne se reflétait pas dans les temps de réaction.

Figure 16 : Illustration des indices de couleur non similaire (qui ne capturaient pas l’attention) et similaire (qui capturaient l’attention) avec la cible dans l’étude d’Ansorge et Heumann (2003)

Il n’y a pas de réponse définitive à la façon dont les couleurs sont utilisées dans la recherche visuelle et comment elle sont liées les unes aux autres. Une possibilité serait que les couleurs de différentes catégories (par ex. rouge, vert, bleu, jaune) représentent des entités qui ne soient pas liées les unes aux autres dans la recherche visuelle. Des recherches antérieures ont démontré que la recherche est plus rapide lorsque la cible et les distracteurs appartiennent à des catégories de couleurs différentes que lorsqu’ils appartiennent à la même catégorie, et ce même si les distances entre les couleurs étaient égales (Gilbert, Regier, Kay,

& Ivry, 2006). Il semble donc que les catégories de couleurs peuvent constituer des entités spéciales dont la séparation facilite la recherche. La question qui se pose est de savoir qu’est ce qui forme une catégorie de couleur. Ansorge et Becker (2014) ont étudié dans quelle mesure les couleurs de différentes catégories sont reliées les unes aux autres pendant la capture de l’attention en demandant aux participants de rechercher une cible d’une certaine couleur tout en ignorant un indice non pertinent qui pouvait se présenter soit au même emplacement, soit dans un autre. Leurs résultats soutiennent l’hypothèse selon laquelle un modèle attentionnel est responsable du contrôle top-down, et que la couleur du modèle ainsi que les couleurs ressemblantes seraient recherchées, alors que les couleurs différentes seraient défavorisées, mais leurs participants ne sont pas parvenus à rechercher spécifiquement les cibles vertes sans que les couleurs non pertinentes ne capturent leur attention, alors qu’ils en étaient capables pour les cibles jaunes et bleues, pour lesquelles il y

avait un effet de capture contingente. Ces résultats laissent penser qu’ils avaient un contrôle top-down plus faible pour la couleur verte. Dans notre cas, nous n’avons pas vérifié s’il existait des différences entre les couleurs, mais des participants nous avaient dit avoir plus de peine lorsqu’ils avaient pour cible une couleur dans les tons bleu-vert.

En résumé, il semble que dans notre expérience, les couleurs étaient trop proches pour que l’attention des participants ne soient capturée que par les couleurs pertinentes mais pas par les autres. Au vu de la littérature qui montre des résultats et des théories contradictoires, il ne semble par contre pas très clair quelle différence est suffisante pour le système attentionnel et quelle différence est trop proche pour permettre une bonne distinction. Par ailleurs, il semblerait que cela soit plus difficile pour certaines couleurs que pour d’autres, ce qu’avaient également rapporté certains participants à notre expérience, qui trouvaient qu’il était plus difficile de différencier les couleurs dans les tons bleu-vert que les autres.

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