• Aucun résultat trouvé

Dès lors, dans l’optique de faire dialoguer les fruits de nos ateliers de co- construction avec ce qu’on retrouve dans la littérature sur la question linguistique, il est pertinent de nous appuyer sur les réflexions de Simard et Verreault, pour qui:

[Il faudrait] insister sur les faits suivants, abondamment attestés par la [littérature sur la question linguistique]: 1) une langue ne se maintient que si son utilité et son prestige sont assurés dans la société; 2) les institutions, telles les universités, exercent, aussi bien dans leurs pratiques que dans leurs politiques, une influence décisive sur la valeur d’une langue; 3) il est tout à fait possible de favoriser le bilinguisme des individus sans pour autant réduire l’importance de la langue première dans l’espace public. Chaque fois que le français perd sa primauté sur le plan social et institutionnel au profit de l’anglais, par exemple en tant que langue d’enseignement à l’université, il s’en trouve affaibli. Les francophones du Québec doivent se rappeler constamment qu’ils vivent dans une situation précaire où les deux langues en présence ne bénéficient pas de la même valorisation. Aussi, pour sauvegarder leur langue, doivent-ils en affirmer la prédominance comme langue officielle et comme langue de pratique professionnelle dans toutes les sphères publiques, à l’université comme ailleurs. Sinon, la situation sociolinguistique, dans laquelle ils vivent et veulent se développer en français, jouera inévitablement en faveur de l’anglais à cause de la valeur considérable dont cette langue est aujourd’hui investie. Les francophones

62

du Québec doivent toujours penser et agir avec la conviction que leur langue, le français, est une grande langue de civilisation à diffusion internationale, encore et toujours apte à la communication dans les tous les domaines du savoir et de l’activité humaine, y compris et surtout dans les plus hautes sphères du savoir41.

On peut alors revenir à nos interrogations de départ: quelle est la situation de la langue française à l’Université Laval et, par extension, dans les universités francophones du Québec ? Est-il même pertinent de poser une telle question dans le contexte d’une université francophone ? La langue française, n’est-elle pas après tout confortablement installée chez elle, au Québec, et dans les institutions de facto de langue française ? Et si le français était à l’abris, immunisé ? À la suite de cette exploration au cœur de la littérature sur la question linguistique et sur le statut de la langue française à l’Université Laval, force est d’admettre qu’il est tout à fait pertinent de poser la question de la place du français, surtout dans le contexte d’une université francophone comme la nôtre. Après tout, comme nous l’avons montré, celle-ci n’est pas à l’abris. Elle serait même dans une posture assez délicate: c’est comme si elle échappait du fait de sa position en apparence confortable à l’horizon des inquiétudes. Elle semble avoir un statut assez

officiel pour que la question de sa position ne nous apparaisse pas assez urgente afin

qu’on s’en occupe ici et maintenant. Or, nous pensons que les universitaires, les intellectuels et les chercheurs jouent un rôle très important dans la société du moment qu’ils façonnent la culture de la nation par leurs actes de création et d’interprétation. Ainsi, en se rapportant et en s’alignant au spectre intellectuel anglo-étasunien, ces sculpteurs de notre culture vont dès lors avoir tendance à s’appuyer sur une littérature

63

et même privilégier des thèses développées dans un contexte diffèrent du nôtre. Forcément, cela va avoir des effets sur les idées explorées – et l’orientation des recherches –, sans oublier les impacts sur le grand imaginaire collectif. En somme, il n’est certainement pas question de rejeter tout usage de la langue anglaise – l’ouverture vers cette dernière peut tout à fait enrichir notre espace culturel –, mais plutôt d’asseoir une telle ouverture sur le monde sur une véritable reconnaissance et valorisation de la langue française: reconnaissance qui passe par des mesures (proactives) concrètes.

64

Contributions des membres de notre communauté universitaire

À ce sujet, plusieurs contributions des membres de notre communauté universitaire apportent un éclairage fort intéressant – et une véritable structure de soutien – à notre réflexion. Par exemple, pour une doctorante en relations industrielles:

Dans [son] programme (doctorat en relations industrielles), et aussi à la maîtrise en relations industrielles, environ 90% des lectures sont en anglais. Les travaux doivent toutefois toujours être rédigés en français et les présentations en français. Il est aussi clairement inscrit lors de l'application au programme que la maîtrise de l'anglais est nécessaire. Je sais que plusieurs étudiant.e.s sont moins alaises avec les textes en anglais dû à la maîtrise de la langue. Plusieurs professeurs portent attention à sélectionner plus de textes en français lorsque cela est possible (ex: les textes de méthodologie, etc.)42.

À la lumière de ce contexte, la doctorante attire notre attention sur quelques constats:

Étant personnellement bilingue, ça ne me pose pas de problème. Je comprends qu'à ce niveau de spécialisation tous les textes pertinents ne peuvent pas tous être traduits. Je sais aussi que cela peut varier en fonction de l'origine de notre champ de recherche (ex: pour nous beaucoup de littérature « classique » provient du UK, USA), il me semble

42 Contribution de la part d’une doctorante en relations industrielles au dialogue sur la place du français à l’Université Laval, dans le cadre de notre démarche visant à ouvrir un véritable espace de dialogue sur la place du français.

65

normal que plusieurs textes d'origines soient en anglais. La prévalence des textes en anglais semble concorder avec la nature très « internationale » de la recherche qui est (malheureusement) quasiment toujours publiée en anglais. Je préfère lire en anglais des textes pertinents à ma formation que lire des textes moins pertinents parce qu'un professeur « devrait » offrir des lectures en français. Je ne considère pas que c'est une bonne chose en soit, mais il me semble que dans plusieurs champs de recherche il est impossible de ne pas se référer à la littérature anglophone. J'étais surprise de voir que des nouveaux étudiant.e.s ne pensaient pas que l'anglais était aussi important en recherche, ça me semblait traduire une incompréhension de notre champ de recherche (cela peut évidemment différer d'un champ à l'autre). Le système académique nous encourage à publier dans les « meilleures revues » (qui sont souvent anglophones) afin de bonifier notre curriculum vitae43.

En s’appuyant sur ses constats personnels, la doctorante recommande à l’université:

Je pense qu'évidemment les professeurs devraient prioriser la littérature en français lorsque cela est possible mais pas à tout prix (ex: pas de quotas de lectures en français). Je pense que les étudiant.e.s devraient être mieux informé.e.s de la nécessité de l'anglais lors de l'application dans les programmes (québécois et internationaux). Je pense qu'une mise à

66

niveau en anglais de niveau académique pourrait être offerte pour les étudiant.e.s en ressentant le besoin44.

Dans la lignée de ces remarques, un autre membre de notre communauté universitaire, médecin résident en gériatrie et candidat à la maîtrise en philosophie, insiste:

En fait, je trouve qu'à l'Université Laval, comme pour les autres universités francophones, le français est bien respecté. Or, dans les associations médicales et de recherche canadiennes, c'est tout le contraire. En tant que médecin et chercheur, je trouve que c'est un grave problème soit d'indifférence ou carrément de manque de respect des droits linguistiques des francophones. En vous remerciant pour votre démarche plus que nécessaire à l'heure actuelle45.