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III. Le Musée du quai Branly – Jacques Chirac : un musée festif et inclusif ?

2. Les Before et week-ends spéciaux au musée du quai Branly – Jacques Chirac : du terrain à

2.3. Diagnostic de la communication et étude des représentations autour de ces

· Analyse visuelle des supports de communication

Les supports de communication distribués in situ tiennent sur un format A5 recto verso. Ils suivent une ligne artistique fixe depuis que nous fréquentons ces soirées, on peut même évoquer une véritable « charte graphique » immuable dans le temps. Elle se compose des éléments suivants :

· Au recto : un visuel séduisant et coloré

· Le logotype de la marque BEFORE, labellisant l’événement

· Le thème de la soirée accolé à ce label, souvent accrocheur ou intrigant · Les dates et informations pratiques

· Les multiples hashtags liés à la soirée dont l’officiel : #BeforeMQB

· Au verso : deux colonnes déroulant de façon claire et située les multiples activités, classées par lieux et non par chronologie ou activités.

Le peu de variation dans les supports de communication ne peut être qu’une question de commodité : on sent que l’institution veut enraciner cette identité visuelle dans la mémoire des visiteurs. A titre personnel, nous constatons qu’il est touours rassurant de retrouver une iconographie à la fois stable mais toujours renouvellée lorsqu’une nouvelle soirée BEFORE se présente. Les

122 http://www.quaibranly.fr/fileadmin/user_upload/1-Edito/6-Footer/8-Missions-et-fonctionnement/Rapports- activites/Int_RA_2018_BD_PP.pdf

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Supports de communication papier des Before et week-ends spéciaux du musée du quai Branly

· Analyse sémiologique des supports de communication

Il nous semble incontournable de nous pencher sur les termes utilisés par les organisateurs de ces soirées dans leurs adresses aux publics ciblés. Bien souvent, ils médiatisent avant même la venue physique au musée des univers « festifs, exotiques et insolites » et établissent “un pacte de divertissement assuré” (promesse) avec le lecteur/futur visiteur.

En classifiant les termes d’un corpus des sept supports de communication (flyers) distribués sur place, mais également sur les programmes déroulés sur les événements Facebook (relai principal pour promouvoir ces soirées) nous avons pu dégager septgrandes catégories de termes et expressions, regroupées en champs lexicaux :

141 Champ lexical du monde festif de la nuit :

BEFORE / DJ Set Tropical / photocall / Bar / Live

Champ lexical de la disruption, de l’éphémère, de la surprise :

HAPPENING / Visites flash / bar éphémère / remixées / Inédites / Prenez-garde ! / Champ lexical du mouvement, de la libre circulation :

Visite libre / explorez l’exposition / en toute liberté / déambulation / Parcourez / déhancher / Visitez librement

Champ lexical de la découverte, du voyage :

Ailleurs / carnet de voyage / découvrez / explorez / exploration sonore / Percez les secrets / partez à la découverte / Initiez-vous / Laissez-vous emporter / Percez les mystères

Champ lexical de la participation par l’action :

Visites dessinées / réalisez votre propre carnet / posez et repartez avec votre photo / workshop / libérer le corps dessiné / investir la piste de danse / Initiation / Venez défier / Posez / laissez- vous marquer / Prenez le contrôle / personnalisez / Venez vous déhancher / En détournant images et typographies

Champ lexical de l’ailleurs, de l’exotisme et de l’altérité :

L'ailleurs / les autres / regards exotiques / multiculturel / partez à la rencontre Champ lexical de l’immersion :

Plongez au cœur de / Plongée / Plongez dans l’univers

Les thèmes abordés sont ainsi toujours fortement liés aux valeurs pronées par le musée : découverte de l’altérité, voyage, dialogue des cultures etc. Les termes évoquent toujours un univers onirique fort à potentialité d’actions et d’engagement corporel et sensoriel. Octave Debary et Mélanie Roustan, dans leurs observations de terrain au musée du quai Branly, évoquent également une « visite vécue sur le mode de l’exploration, de la désorientation » ainsi qu’une « expérience émotionnelle forte ».123

Cartographie des espaces du musée concernés par des activités d’après l’analyse de sept supports de communication :

La particularité de ces événements réside également dans l’usage singulier du “corps visitant” qui y est encouragé par rapport aux visites de journée. Cet usage nous apparait comme spatialement “expansif”. En effet, le foisonnement revendiqué d’opportunités “sociales,

123 Mélanie Roustan, Olivier Debary, Voyage au musée du quai Branly: anthropologie de la visite du Plateau des collections, Collection "Musées-mondes."

142 éducatives, de divertissement” etc. est également communiqué à travers les lieux. Habituellement, les activités de médiations sont en effet cantonnées aux espaces d’exposition permanentes et temporaires, salles d’ateliers. Dans le cas qui nous intéresse, nous constatons que tous les espaces, y compris ceux dits liminaires – hall d’entrée, entrée de l’exposition, bar, espaces de circulation - peuvent potentiellement abriter une activité. Ce déploiement physique tentaculaire semble être une démarche voulue par les organisateurs : il renvoie à une idée de fourmillement, de vivacité et d’ubiquité de l’action culturelle et communicationnelle.

Le changement de temporalité des médiations (soir) est accompagné d’un changement spatial : activités et dispositifs pédagogiques se délocalisent et investissent des lieux ordinairement médiatiquement “plus neutres” : ces “seuils” dont nous avons parlé en partie II. Hormis une signalétique dirigeant vers les centres d’intérêt du musée, ils sont généralement dénués de fonction communicationnelle, pédagogique, encore moins ludique.

Le message renvoyé au visiteur de nocturnes serait implicitement celui d’un musée entièrement mis au profit de son divertissement, pouvant aller jusqu’à une certaine saturation ?

En tant que visiteuse, un trouble nous est parfois venu en constatant cette abondance de points “névralgiques”, points d’intérêt concomitants. Il se produit alors un sentiment parfois désagréable, bien connu des générations actuelles : la peur de ne pas être au "bon endroit” au “bon moment” (Fear of missing out : la peur de passer à côté d'une information, d’une sollicitation ou d’une expérience plus importante ou valorisante que celle vécue124). Au risque de confiner à la déambulation hasardeuse : Céline Schall rappelle ainsi la thèse de Monique Renault (2000) qui qualifie ces seuils occupés de « seuils occultés ». Ils ”désactivent la rupture

avec l’espace urbain. Selon elle, le musée qui a un seuil occulté devient progressivement une toile de fond pour une promenade, mis sur le même plan qu’une après-midi de lèche-vitrine. »

La déambulation fait partie intégrante en effet de ces événements, encouragés par la multiplicité d’activités et peut en effet induire dans certains cas un « effet promenade ».

124 ” Psychotherapists believe FOMO is rooted in our ancient survival instincts. When we perceive that other people are enjoying life more than we are, signals are sent to the brain that make us feel unsafe or threatened. In severe cases, we may even feel like we’re losing control over our lives. These irrational thoughts lead to irrational behaviors – including impulse purchases.” Anna Johansson, FOMO Marketing in the Age of Social Media, disponible en ligne sur : https://www.relevance.com/fomo-marketing-in-the-age-of-social-media/

143 événements de notre corpus, ce qui rend compte d’une mise en événement très large et presque exhaustive du musée :

Hall d’accueil / Mezzanine Ouest / Mezzanine Est / Théâtre Claude Lévi-Strauss / Salles de cours / Toit-terrasse / Jardin / Atelier Martine Aublet / Plateau des collections permanentes / Galerie Jardin / Théâtre de verdure / Salon de Lecture Jacques Kerchache / Salle de cinéma / Dans l’exposition

Du côté du quai Branly, Sandy Pasquarelli nous confia que bon nombre de ses homologues d’autres musées seraient intéressés de produire des événements d’une telle ampleur mais que le cadre spatial (et financier) ne le permettrait pas. Elle reconnait volontiers que l’architecture spatieuse imaginée par Jean Nouvel et notamment le théâtre Claude Lévi-Strauss représente une opportunité unique de mise en événement et d’accueil massif mais confortable des publics (entre 1500 et 3000 par Before).

On comprend ainsi à quel point la réussite de ces soirées est également liée à la capacité d’accueil exceptionnelle et d’action permise par l’architecture.